Procès Hissène Habré : Les témoins « chargent » l’ancien président du Tchad et son régime – Le Soleil
Le ballet des témoignages à charge continue. Hier, les témoins qui sont passés devant la Chambre d’Assises de la Chambre africaine extraordinaire (Cae) n’ont point épargné le régime de Hissène Habré. S’ils ne disent pas avoir subi une répression directe, ces témoins n’hésitent pas de faire état de propos que des « victimes » leur auraient rapportés dans ce sens.
La dame Madina Fadoul Kitir, entendue à titre de témoin, a poursuivi hier sa déposition. Elle est notamment revenue sur les difficiles conditions de sa détention. Elle a surtout insisté sur une séquence toute particulière. En effet, au moment de sa libération, les autorités de la prison lui auraient remis du savon et mis à sa disposition de l’eau afin qu’elle prenne une douche. Ensuite, selon toujours son récit, on lui a demandé de faire son ablution et de jurer de ne rien raconter de ce qu’elle aurait subi dans les geôles. La télévision aurait également été mise à contribution. Des cameras ont été déployées pour éterniser le cérémonial de sortie. « Avant même que je ne sois chez moi, les membres de ma famille étaient au courant de ma mise en liberté, car les images leur étaient déjà parvenues », a-t-elle indiqué.
Evoquant la responsabilité de l’ancien président du Tchad, la dame a tenu le même langage que la plupart de ses prédécesseurs. Selon elle, celle-ci ne saurait être ignorée dans la mesure où Habré était le président de la République. « Cette position l’oblige à veiller au bien-être de tous et de s’ériger en bouclier contre tout mal exercé sur son peuple », a-t-elle dit. Durant son arrestation, la dame avait fait état de saisie de ses biens. L’avocate de la partie civile Me Jacqueline Moudeina a dès lors voulu savoir de ce qu’il était advenu des biens en question. Selon la dame, ses biens ont été effectivement saisis par ceux qui étaient chargés de son arrestation, et qu’elle n’a jamais pu récupérer.
La dame avait indiqué que son arrestation est survenue parce qu’elle était soupçonnée d’avoir aidé son mari en cabale. Un des avocats des victimes, Me Assane Dioma Ndiaye, a dès lors demandé quelle était la position de son époux pour qu’il soit si recherché. La dame de répondre que son mari n’était ni militaire encore moins un homme politique. « Il était un simple fonctionnaire », a-t-elle précisé. « Pourquoi alors cet acharnement » ? insiste l’avocat. La dame réitère que son mari ne constituait nullement d’obstacle pour qui que ce soit.
Me Mounir Ballal, un des avocats de la défense, a demandé au témoin si elle savait les raisons de l’arrestation de son mari. Mme Fadoul Kitir réagit en indiquant ignorer les tenants et les aboutissants de l’incarcération de son époux. La dame avait en outre affirmé que son mari avait été arrêté par les éléments de la Dds. Et l’avocat de demander si elle était présente lors de cette arrestation. Elle a répondu par la négative. Toutefois, Madina Fadoul Kitir persiste à affirmer que seule la Dds était habilitée à arrêter des gens. Nul doute, selon elle, c’est la Dds qui a procédé à l’arrestation de son mari. L’avocat de la défense de poursuivre : « N’avez-vous jamais vu un document contenant la signature du président Hissein Habré demandant à ce que l’on procède à l’arrestation de qui que ce soit ». Mme Fadoul Kitir a rétorqué par la négative. « Je n’ai jamais vu un document signé par le président Hissein Habré, donnant l’ordre de procéder à une quelconque arrestation », a t-elle dit.
Autre point soulevé par l’avocat de la défense, c’est le frère du témoin qui a servi d’interprète lors de la déclaration du procès-verbal. L’avocat a demandé à la dame si elle serait surprise d’apprendre que son mari a été tué lors d’affrontements entre les forces gouvernementales et les rebelles. Elle répond que son mari ne savait pas manier une arme, qu’il était un fonctionnaire et ne s’occupait point de questions politiques. En outre, Me Mounir Ballal a mis en avant les rapports apparemment très étroits qu’entretenaient le témoin Mme Fadoul Kitir et l’épouse de l’actuel président du Tchad, Idris Deby Itno. Le témoin assume connaître cette dernière, mais dit ne plus la fréquenter depuis des années déjà. Madina Fadoul Kitir a en outre affirmé n’avoir jamais reçu de décharges électriques lors de son arrestation. Ce qui est en parfaite contradiction avec les affirmations du parquet général.
Témoin par procuration
Brahim Tassi, agent de sécurité de son état, est passé hier devant la Cae, à titre de témoin. L’homme s’emmêle les pinceaux. Il comprend mal la formulation de certaines questions et sert des réponses inappropriées. Confiant, il a quand même tenu, malgré les carences qu’il semble traîner dans la maîtrise de la langue de Molière. Selon ses dires, il était à la tête d’une mission, dit-il, chargée de recueillir les témoignages de victimes. Il donne des indications, cite des localités, fait des descriptions, mais la teneur de ses recherches reposent sur des propos recueillis sur la base de témoignages « de victimes de tortures ou de parents de victimes ». Il certifie dans le cadre de ses recherches, avoir sillonné le Tchad de Nord à l’Est, du Sud à l’Ouest. Sa mauvaise interprétation de certaines questions le rend parfois impulsif. C’est quand par exemple, sur une question d’un des assesseurs, il demande au magistrat de se référer à « son avocat pour avoir sa réponse ». Brahim Tassi reconnaît ne disposer d’aucune formation dans le domaine de collecte et traitement d’informations, soulignant qu’il n’est motivé que par « la manifestation de la vérité ».
Brahim Tassi, revenant sur les missions de collecte d’informations qu’il aurait réalisées, souligne : «Nous avons effectué plusieurs missions d’investigations ». Au cours de ces tournées, poursuit-il, « des témoignages sont recueillis, faisant état d’arrestations, de tortures et même d’assassinats ». Le témoin a cité plusieurs localités du Tchad où, dit-il, la mission se serait rendue lors des enquêtes. « Dans ce cadre, des charniers ont été découverts », dit-il.
« A Thiene, il y a eu des découvertes, ensuite direction Giriba. Deux fosses communes ont été localisées à Djiecki. A Grigui également », précise le témoin. Son récit macabre fait froid au dos. Toutefois, aucune preuve en mesure de corroborer de pareils propos n’a été produite. Il se contente d’invoquer des propos qu’on lui aurait rapportés. «Des individus égorgés pour certains, et d’autres criblés de balles», a-t-il raconté devant la barre. A Giriba, une fosse commune composée de douze individus a également été découverte. A Mongo, le décor macabre est similaire, selon les dires de Brahim Tassi. A Mattaya, trois fosses communes auraient été découvertes. A 35 km de la sortie de Ndjamena, le témoin révèle qu’ils y ont aussi découvert des fosses communes.
La défense, par la voix de Me Mounir Balal, s’est quant à elle refusée de poser des questions au témoin qu’elle juge parler par « procuration ». Le témoin n’a rien vu, ni constaté. Partant de ce principe, elle s’est abstenue de poser des questions « à un individu venu de nulle part ».
FATIME HACHIM SALE, TEMOIN : « J’ai accouché en prison »
Elle cite des noms, fait des descriptions, gesticule. Mme Fatimé Hachim Sale, entendue hier à titre de témoin, fait état à l’image de ses prédécesseurs de difficiles conditions de détention. Elle cite les mêmes noms, parlant « des geôliers », qui lui auraient rendu la vie difficile lors de son incarcération. Le temps qui passe ne semble apparemment pas lui jouer un mauvais tour. En effet, c’est avec force détails et de manière spontanée que la dame a des heures durant raconté son séjour carcéral dans les locaux d’un commissariat de police au Tchad à l’époque du régime du président Habré. Un récit orné de détails. Avant son arrestation, le témoin Mme Fatimé Hachim Salé affirme qu’elle était commerçante et fournisseur du gouvernement tchadien. Elle travaillait en collaboration avec son mari.
Le témoin et son mari livraient donc des véhicules au Gouvernement tchadien et à la Coopération française. Aussi, Mme Fatimé Hachim Sale dit avoir été arrêtée suite à une déconvenue avec le commandant des Douanes de l’époque, alors qu’elle était en état de grossesse très avancé. C’est au cours de son arrestation qu’elle aurait accouché.
Habré, l’endurant !
Hissein Habré tient bien ses 73 ans. Il fait montre d’une persévérance qui dépasse l’entendement. Amené de force tous les matins, il reste impassible sur sa chaise, écoutant les débats menés, sous le contrôle du président des Chambres africaines extraordinaires (CAE), Gberdao Gustave Kam. Le temps qui passe ne l’atteint point. De 09h à 17h 30, il garde la même posture. Cette capacité de résistance, à son âge, est source d’interrogation. Soit l’ex-homme fort de Ndjamena jouit d’une santé de fer hors du commun, comme l’a noté le psychologue commis par la Chambre africaine extraordinaire dans son rapport de personnalité. Ou il a des réserves d’énergies à couper le souffle. Même si le « lion du désert », comme on l’appelait autrefois alors qu’il était en plein règne au Tchad, n’a plus cette force physique du fait de l’âge, sa capacité d’endurance demeure encore intacte.
Par Oumar BA