FRANCE 24 en reportage à N’Djamena – F24

Alors qu’un accord de non-agression a été signé à Dakar avec le Soudan, N’Djamena reste sous tension. Virginie Herz, grand reporter à FRANCE 24, s’est rendue sur place. Elle nous livre ses impressions sur la situation.

Samedi 15 mars 2008

Le déguerpissement est l’un des grands sujets conversation en ce moment dans la capitale tchadienne. Le déguerpissement, c’est le fait d’être forcé de quitter son domicile et de voir sa maison rasée par les autorités. C’est ce qui est arrivé à quelques milliers d’habitants de N’Djamena après la bataille de février. Officiellement, l’Etat récupère les terrains qui lui appartiennent et la mairie prévient en dessinant une croix sur les maisons concernées. Il s’agit d’un plan de restructuration de la ville prévu de longue date mais beaucoup accusent le gouvernement d’avoir profité de l’état d’urgence pour accélérer le processus sans que nul ne puisse réagir.

Le premier quartier qui a été visé est Goudji… une zone trop proche de l’aéroport, d’après les autorités, mais surtout un quartier habité en majorité par des Goranes, l’ethnie d’un des leaders de la rébellion. Près de la mosquée, seul bâtiment non rasé, quelques anciens se retrouvent et continuent de surveiller leur quartier où il ne reste plus que des décombres. Pour eux, c’est évident, « le gouvernement a voulu punir les habitants qui ont applaudi les rebelles« .

A plusieurs kilomètres de là, à Farcha, dans le centre de N’Djamena, même scénario d’habitations dévastées. Partout des personnes âgées qui errent dans les ruines ou récupèrent des briques. Rapidement ma caméra attire l’attention. Difficile de filmer et d’interroger les habitants sans provoquer rapidement un attroupement. Les enfants, bien sûr, ont envie de passer à la télévision, mais les adultes aussi, sont curieux de savoir ce que vient chercher une journaliste occidentale chez eux. En général, cela se finit sous un arbre, un peu à l’abri de la chaleur étouffante.

Une jeune mère de huit enfants, drapée de rouge, prend la parole et explique qu’on lui a donné trois jours pour quitter sa maison, sans qu’on lui propose ni compensation, ni relogement. La plupart de ses voisins sont dans le même cas. En attendant une aide du gouvernement, ils s’arrangent tant bien que mal en allant habiter chez des cousins ou en repartant dans leur village d’origine.

Le maire de la capitale assure que des logements sont en construction. Ces déguerpissements se font dans le cadre d’un plan d’urbanisation, tout comme d’ailleurs, la construction d’un fossé autour de la capitale. Le maire appelle ça un « canal » sensé régler les problèmes d’évacuation des eaux et qui pourrait même se développer en boulevard périphérique. Mais la population est sceptique. Pour beaucoup, il s’agit d’une tranchée défensive en cas de nouvelle attaque rebelle, une tranchée qui alimente les inquiétudes quant à l’avenir.

Vendredi 14 mars

Vol de nuit, arrivée sous un soleil voilé. A travers le hublot, une brume de poussière empêche de distinguer N’Djamena du désert environnant. Un désert plat et uniforme, loin des dunes et des oasis qu’on peut voir dans les atlas pour enfants. La capitale tchadienne ne présente aucun relief. Peu de maisons dépassent les deux étages et, si l’on fait abstraction des voitures, il est aisé de songer à l’époque où N’Djamena était une garnison construite par les Français au milieu de nul part et s’appelait Fort Lamy.

Ici la guerre latente fait partie du quotidien. Hier encore, le gouvernement a prévenu que des rebelles, soutenus par le Soudan, avaient traversé la frontière, réveillant les craintes d’une nouvelle attaque. La dernière date de février, quand les rebelles ont menacé pendant deux jours le pouvoir au sein même de la capitale. La population est inquiète, incertaine. Mais plus que par les rebelles, elle semble terrorisée par les exactions commises la nuit par des soldats et des policiers qui profitent du couvre-feu pour régler leur compte. Officiellement, il s’agit d’agents véreux qui « agissent pour leur propre compte« , explique le chef de la police dans un journal local de deux pages qui peut encore publier pendant l’état d’urgence instauré il y a un peu plus d’un mois. La plupart des autres médias, les radios privées notamment, ne diffusent plus de journaux parlés en raison du régime de « l’autocensure préalable« .

En brève, le journal annonce aussi que les enfants de l’Arche de Zoé vont retrouver leurs parents aujourd’hui. En France, c’est l’actualité tchadienne de la journée. Mais ici à N’Djamena, les personnes que je rencontre, que ce soit dans une gare routière ou dans un café du « quartier latin« , n’en ont pas entendu parler. En décembre, quand les autorités tchadiennes avaient arrêté les membres de l’ONG qui tentaient de transférer 103 soit-disant orphelins vers la France, l’affaire de l’Arche avait déclenché des réactions passionnées. Aujourd’hui, elle ne suscite aujourd’hui plus que de l’indifférence.

Même l’annonce par le Président Déby d’une possible grâce pour les six membres de l’association avant la fin du mois ne provoque guère d’émoi. Il est vrai qu’on ne critique pas une décision présidentielle, du moins publiquement. Les plus informés, parlent de marchandage entre la France et le Tchad. Avec conviction certes, mais aussi beaucoup de lassitude. Les habitants de la capitale ont d’autres préoccupations : cela fait près de quarante ans qu’ils ne connaissent pas vraiment la paix, 17 ans que le régime est en place sans que leur quotidien ne s’améliore et depuis l’attaque de février, les prix ont augmenté, l’administration fonctionne au ralenti et des milliers d’entre eux sont « déguerpis« .


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