Un ancien ministre soudanais devenu chef de guerre – Le Monde
De tous les chefs rebelles du Darfour, Khalil Ibrahim est le seul qui ait appartenu, d’abord, à l’appareil d’État. Descendant d’un grand sultan de la région frontalière entre Tchad et Soudan, le chef du Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) appartient au groupe des Zaghawa Kobe, faible numériquement mais influent dans le commerce et l’élevage dans les deux pays.
Par sa naissance, comme par son tempérament, Khalil Ibrahim se voit promis à un avenir brillant. Il est également très pieux. Après des études de médecine, il rejoint les cellules clandestines des Frères musulmans soudanais (Front national islamique), qui préparent, dans les années 1980, l’assaut du pouvoir.
En 1989, l’organisation réussit à organiser un coup d’Etat qui installe à la présidence un officier qu’elle pense contrôler : le général Omar Al-Bachir. La soif de pouvoir de Khalil Ibrahim se heurte à son origine darfourienne, qui le cantonne à des gouvernements régionaux. Le docteur sera ministre de la santé, de l’éducation, et même de la sécurité, rejoignant aussi, à un moment, la machine milicienne montée par le pouvoir central pour s’attaquer aux sudistes, avant de s’en éloigner, effaré, selon lui, par ses excès.
Khalil Ibrahim rompt bientôt avec le pouvoir, pour des raisons qu’il décrit ainsi : « Dans la clandestinité, nous parlions d’établir l’égalité entre les Soudanais. Une fois au pouvoir, la plupart des responsables se sont consacrés à s’enrichir et à construire des maisons, en oubliant la population. Je me sentais trahi. »
UNE CONNAISSANCE DE L’ETAT
Son départ du Soudan, à la fin des années 1990, précède de peu sa participation à la rédaction par un groupe dissident soudanais d’un Livre noir, recueil de statistiques mettant en évidence l’écrasante domination dans l’appareil d’Etat des membres de trois tribus riveraines du Nil, aux dépens de tous les autres groupes soudanais. L’ouvrage collectif a demandé, pour être compilé, une connaissance aiguë de l’Etat. Cette bombe est distribuée discrètement en 2000. Même le président Bachir en trouve un jour un exemplaire sur son bureau en rentrant de la prière du vendredi. Toujours prompt à se parer de larges responsabilités, Khalil Ibrahim s’en attribuera la paternité.
Désormais en exil, il crée avec des proches le Mouvement pour la justice et l’égalité, qui apparaît au grand jour en 2001. Deux ans plus tard, commence la lutte armée, teintée du soupçon que le JEM puisse servir de sous-marin pour une future prise du pouvoir par des groupes islamistes dissidents.
Jean-Philippe Rémy