Des soldats de maintien de la paix essaient d’avancer doucement – IPS
Le lieutenant-colonel de l’armée polonaise, Marc Gryga, ne s’est pas rendu compte qu’il envisageait de construire la principale base de son pays ici dans l’est du Tchad au-dessus d’un cimetière. Elle ne ressemblait à aucun cimetière que vous voyez aux Etats-Unis ou en Europe, déclare-t-il, se référant à l’absence de pierres tombales.
Mais les responsables locaux de cette ville lointaine, près de la frontière soudanaise n’avaient pas peur de dire à Gryga qu’il avait y foutu de la merde — et l’EUFOR, la force de maintien de la paix de l’Union européenne forte de 4.000 soldats, déployée au Tchad pour protéger les réfugiés venus du Darfour et les travailleurs humanitaires, a rapidement accepté de construire la base de la North Star ailleurs. Heureusement, les troupes de Gryga n’avaient pas encore commencé à construire, alors le changement de cap n’a pas été pas drastique.
L’incompréhension au sujet de la base polonaise était juste la première d’une série de désaccords mineurs entre l’EUFOR et les Tchadiens. En plus du choix d’un endroit pour la base, l’accès aux approvisionnements en eau locaux et les dégâts que les véhicules militaires de l’EUFOR causent aux routes fragiles du pays sont également à l’origine des frictions.
Une question — l’eau — pourrait justement s’avérer trop controversée pour un compromis durable.
L’est du Tchad aride a toujours connu des pénuries d’eau. En 2004, un quart de million de réfugiés du Darfour se sont installés dans la région, exerçant plus de pression sur les sources d’eau locales. Le travail intense d’un grand nombre de groupes humanitaires — le forage de nouveaux puits, la construction de barrages pour capter l’eau pluviale, l’ouverture de canaux pour alimenter les réservoirs souterrains en eau de pluie — a atténué, mais pas éliminé le problème.
Actuellement, l’EUFOR est en train de déployer des milliers de soldats et de tonnes d’équipements, nécessitant tous des dizaines de milliers de litres d’eau par jour — et les pénuries d’eau sont devenues une crise d’eau.
C’est certain, l’EUFOR savait que l’eau serait un problème. Lorsque les 100 soldats de Gryga étaient déployés en avril pour commencer à construire la ‘North Star’, ils ont affrété un avion-cargo de fabrication russe, Antonov, — le deuxième type d’avion le plus grand au monde — pour transporter de l’eau en bouteilles au Tchad. Mais cette eau n’a pas duré longtemps. Aujourd’hui, les Polonais — et 100 Français, Irlandais et Belges qui ont travaillé avec eux — reçoivent des convois hebdomadaires d’eau en bouteilles du centre logistique français à Abéché.
L’eau que ces convois français apportent ne provient pas des sources tchadiennes — elle est expédiée de sources étrangères, alors dans un sens, elle ne fait pas du mal aux villes orientales desséchées. Mais les camions doivent voyager sur des routes jamais conçues pour une telle utilisation dense dans le but de fournir de l’eau.
Ces routes sont spécialement fragiles là où elles traversent les milliers de lits fluviaux secs du pays, ou ‘wadis’. Pendant la longue saison pluvieuse du Tchad, à peu près de juin en octobre, le gouvernement tchadien place des barrages routiers pour empêcher les véhicules de traverser les ‘wadis’ et d’endommager les routes. Ceux qui doivent absolument traverser payent des frais.
Mais le sergent d’état-major de l’armée française, Alexandre Barbet, dont le travail consiste à escorter les convois, déclare que les Français conduisent tout droit sans payer. Que feront-ils?, demande-t-il de façon rhétorique. L’EUFOR considère ces frais comme des pots-de-vin.
La construction actuelle au Camp de la North Star est un travail qui demande beaucoup d’eau, nécessitant des milliers de litres d’eau pour damer et niveler la terre, par exemple. Pour cela, les troupes de Gryga ont foré leur propre puits. Mais la nappe phréatique dans cette partie du Tchad est en train de s’affaisser du fait de l’utilisation abusive et de la pluviométrie en baisse, et le puits de Gryga s’est avéré une déception. Il ne reste qu’une seule option : les puits locaux.
Nous essayons d’éviter de prendre de l’eau périodique des puits locaux, affirme Gryga. Mais parce les ressources d’eau sont si limitées ici, nous devons prendre cette eau de temps en temps. Nous voulons vraiment éviter de donner l’impression que nous sommes en train de mettre en danger la population locale en prenant trop d’eau.
Nous devons partager, a indiqué le ministre polonais de la Défense, Bogdan Kilch, lors d’une visite du 28 juin à Iriba, dans l’est du Tchad, faisant allusion à l’eau de la région.
Bakhit Abdaraman, le sultan d’Iriba, est du même avis, mais a souligné que les approvisionnements en eau seuls ne satisferont pas aux besoins de tout le monde. Nous devons rechercher (de nouvelles sources), a-t-il dit. Des ingénieurs travaillant pour des organisations humanitaires à Iriba indiquent qu’il devient de plus en plus difficile de creuser de nouveaux puits viables à cause de la nappe phréatique qui s’affaisse du fait d’une utilisation abusive.
Pendant ce temps, l’EUFOR continue de beaucoup compter sur les ressources d’eau existantes. Le matin du 27 juin, une équipe logistique française en provenance de la ‘North Star’ a rendu une visite à Help, un groupe humanitaire ayant des bureaux dans l’est du Tchad, pour tirer de l’eau de leur puits. Ils sont partis avec 8.000 litres d’eau — assez pour satisfaire aux besoins de 500 familles tchadiennes moyennes par jour. Cette eau, stockée dans de grandes outres en caoutchouc, approvisionnera la cuisine, les douches et la lessive de la ‘North Star’ pendant deux semaines.
La même équipe française connaît très bien l’impression que l’EUFOR fait sur la population locale. Plusieurs de ces Tchadiens qui sont informés de la mission de l’EUFOR de protéger les réfugiés et les travailleurs humanitaires approuvent généralement la situation. Mais lorsqu’il s’agit de détails intéressants, la présence militaire étrangère reste sur le cœur de certains.
Le 26 juin, l’équipe française est arrivée à Iriba dans deux camions dans le but d’acheter des boissons non alcoolisées et des cigarettes pour un petit bar que l’équipe gère après des heures à la ‘North Star’. Le commandant Mendi Bouland a invité ce journaliste de le suivre, mais a souligné, adoptant une attitude discrète : certains quartiers d’Iriba n’aimaient pas voir des étrangers, a-t-il dit.
En effet, dans le marché à plein à air grouillant de monde d’Iriba, des hommes criaient et soulevaient leurs poings jusqu’à ce que l’équipe se cache dans un coin. Trouvant un boutiquier amical devant un éventaire interne, Bouland a acheté du savon, a ensuite échangé des numéros de téléphone et a promis de revenir bientôt.
Les relations sont en réalité assez bonnes, en ce qui concerne les Français, déclare Bouland, ajoutant que la longue histoire de la France au Tchad — d’abord en tant que colonisateur, maintenant comme un supporter ferme du régime du président Idriss Deby — a laissé de profonds liens linguistiques et culturels. Mais les Polonais, dit-il, sont un autre problème.
Gryga est conscient de son problème de relations publiques. Il indique qu’il rencontre une fois ou deux par semaine l’administration locale et des chefs tribaux dans le but de les tenir informés des activités de l’EUFOR et de demander leurs opinions. Et il tend un rameau d’olivier pour compenser la prise d’eau et les routes endommagées.
Une fois que le contingent polonais complet viendra en août, Gryga affirme qu’il reconstruira les routes des ‘wadis’ et donnera des provisions aux écoles primaires locales. La sécurité sera toujours sa mission principale, dit-il, mais la sécurité n’est pas tout.