Comment Al Bachir nous a-t-il livré à Idriss Deby ? – 4ème Partie (fin)
Récit de Adoum Erdimi
ANS, la police criminelle de Deby
Comme je l’avais annoncé dans le dernier récit, nous sommes arrivés à N’djamena le mardi 12 juillet 2011 aux environs de 9 heures locales. La cellule dans laquelle on nous a enfermés est une chambre-salon d’une villa qui est utilisée par l’ANS pour ses réunions. Cette salle a été spécialement réquisitionnée pour nous y séquestrer.
Dès notre arrivée sur les lieux de notre incarcération, les menottes des pieds ont été échangées par des chaines cadenassées. Les menottes, tout comme la bande élastique noire, devaient être rendues aux agents des services secrets soudanais qui nous ont livrés à Deby. Les menottes des mains soudanaises ont été également troquées par des tchadiennes, plus petites et tranchantes. Elles font si mal que vous avez le sentiment qu’elles vous blesseront au moindre faux geste. Je me suis laissé dire : au Soudan c’était la bande élastique noire, au Tchad ce sera les menottes des mains, à la guerre comme à la guerre. La cellule est sans fenêtres mais elle est éclairée et ventilée. Le premier jour, nous avions été frappés d’ostracisme par nos geôliers. Ils nous adressaient à peine la parole et nous dévisageaient avec beaucoup de mépris ou de crainte, je ne saurais le dire. Notre demande de faire des ablutions ou aller aux toilettes a été balayée d’un revers de la main. On nous dit d’attendre la tombée de la nuit, et ceci pour deux raisons je pense. D’abord ils ne voulaient pas que quelqu’un qui nous connait nous voit et sache que nous sommes détenus en ces lieux mais aussi parce que tout simplement ’il n’y avait pas des toilettes dans cette concession. En effet, à travers les trous de la porte, on les voyait en train de creuser des latrines dans un coin de la cour. Dans l’après-midi, on nous servit en guise de repas de la viande grillée, du pain et de l’eau, et le soir deux misérables sandwichs. Bien que n’ayant rien mangé depuis notre dernier diner la veille au Soudan, nous n’avions pas du tout faim. Tout notre esprit était préoccupé par le sort, les sévices que le tyran Deby allait nous réserver ou les humiliations qu’il nous fera subir. Comme toujours mille questions, aucune bonne et satisfaisante réponse. Psychologiquement on avait moralement admis, dès l’instant de notre embarquement dans l’avion à destination de N’djaména que tout simplement on est conduit à l’abattoir de Deby. Mais il était impossible d’empêcher d’autres questions de nous traverser l’esprit. A partir du moment où nous avions foulé le sol tchadien, on n’a pas arrêté de penser aux humiliations et tortures. S’il nous était donné de choisir entre la mise à mort immédiate et les humiliations et ou la torture, on aurait certainement choisi la première. Mais apparemment nos geôliers ou plutôt leurs patrons n’ont pas fait la même opinion. Ils avaient opté pour la seconde option. Le premier élément du menu qui nous a été servi est la séquestration, les poignets menottés et les chaines aux pieds pendant les trois premiers jours. Au 4ème jour, nos geôliers vinrent miraculeusement nous débarrasser de nos menottes mais les pieds continuèrent à garder leurs chaines cadenassées. Une lueur d’espoir nous traversa l’esprit pendant un petit instant. Mais dès la nuit tombée, nos geôliers vinrent nous remettre les menottes aux poignets, donc retour à la case du départ. Ainsi donc les pieds gardaient leurs chaines cadenassées de façon permanente mais les poignets seraient libres de leurs menottes pendant la journée.
Pendant les dix premiers jours de notre séquestration, l’alimentation était dérisoire et aléatoire : un misérable sandwich, une ou deux fois par jour. Nos sorties pour les ablutions ou les toilettes étaient également très mal gérées pendant cette période. En effet il nous était interdit de sortir pendant le jour. Il faut toujours attendre le coucher du soleil ou l’aube. Parfois on attendait plus de 24 heures, ce qui était naturellement très pénible. Contrairement à ce que nous avons connu à la prison de Kober à Khartoum, ici à l’ANS, il n’y a aucune réglementation, ni pour l’alimentation ni pour les toilettes, moins encore pour la prière. Certains ignorent même les heures de prière.
Suite à l’intoxication médicamenteuse qu’il a subie au Soudan, le Colonel Daoud souffrait énormément. Parfois, il ne fermait pas les yeux pendant 24 heures. Malgré les efforts de l’infirmier, l’état du Colonel ne s’améliorait guère. D’ailleurs, l’infirmier de l’ANS était tout simplement dépourvu des moyens. Un jour, il profita d’une courte absence de notre gardien pour nous dire : «votre parent ne veut pas mettre la main dans la poche pour s’occuper de la santé des prisonniers ; je suis désolé de vous voir souffrir ainsi».
Au milieu de la 3ème semaine de notre incarcération à l’ANS, le responsable de la prison vint nous informer qu’il a eu l’autorisation de son chef pour nous enlever définitivement les menottes des poignets. De mieux en mieux, me suis-je laissé dire ou tout simplement le dernier profond soupir, c’est à dire une illusion. C’était un soulagement mais nous demeurons les pieds enchainés 24 heures sur 24. Nous profitons de cette occasion pour poser nos doléances sur la prière, l’alimentation et les toilettes. C’est là que le chef des geôliers nous dévoila un pan sur le système d’alimentation des prisonniers à l’ANS. Il affirma qu’ici aucun budget n’est destiné à l’alimentation des prisonniers et qu’il se débrouille de sa poche pour faire le minimum pour que les gens ne meurent pas de faim. Où fait-il tout simplement comme tous les responsables des forces de défense et de sécurité au Tchad. Ils vivent sur les dos de leurs troupes. Ici ses troupes ce sont les prisonniers. Chaque chef perçoit directement la PGA (prime d’alimentation générale), le salaire (des vivants, des morts et des fictifs) et il les gère à sa guise. Il détourne comme il le veut une bonne partie de toutes les ressources mises à sa disposition. Il n’a de compte à rendre à personne, puisque tous ses responsables en font autant. Et puis si un méchant canard vient lui chercher noise ou des poux sur la tête, il lui suffira d’aller voir le plus haut placé de son clan dans le système et il aura définitivement la paix. Ainsi fonctionne le système mis en place par Deby. Il se fait de plus en plus rare. Peut-être il nous évitait pour ne pas écouter nos doléances.
Trois geôliers s’occupent de notre garde. L’un était pratiquement permanent, et les deux autres temporaires, juste pour seconder et appuyer la premier. Suite à nos doléances, la situation alimentaire s’est un peu améliorée, un demi-sandwich le matin et une boule au gombo le soir. Ce qui semble corroborer notre hypothèse sur le détournement. Les sorties pour les ablutions et les toilettes se sont aussi un peu améliorées. De toutes les façons, on vivait au gré de l’humeur de nos geôliers.
Avec le temps, nous avons constaté que tous les gardiens de la prison de l’ANS étaient des proches parents du Coordonateur Général de l’ANS, Mahamat Ismail CHAIBO. La plupart étaient originaires de la région de Kapka et Dirong. Ils ne connaissent qu’un seul chef, le Coordonnateur et n’obéissent qu’à lui sans broncher. Les autres Zakhawas et Tchadiens ne sont pas désirables ici, en dehors d’un cuisinier sudiste et l’infirmier Ouaddaien de Biltine qui est surveillé de près pendant ses visites.
Nos geôliers évitaient de causer avec nous quand ils étaient en groupe mais par contre dès qu’un gardien se retrouvait seul avec nous, il exagérait et allait parfois au-delà de la limite du pensable. Ainsi donc avions-nous remarqué qu’ils n’avaient aucun bon sentiment pour leur grand patron Deby qu’ils qualifiaient d’homme foncièrement mauvais, clanique et irrespectueux de la parole donnée. Ils affirmaient qu’ils l’avaient aidé à contenir la rébellion de «ses parents» pendant 5 ans et aujourd’hui tous les jeunes de kapka et Dirong sont obligés de rentrer au village parce qu’ils seraient lésés au sein de la grande muette. Ils accusaient aussi la rébellion de l’Est, et surtout les Zakhawas d’avoir manqué de sensibilisation pour rallier le maximum des tchadiens à leur cause. Un autre paradoxe remarqué dans les paroles de nos geôliers et qui nous avait beaucoup étonnés. En effet, pour nous parler de Deby, ils disent «votre parent», de Hinda «votre femme» et des Itnos «vos parents». Ils ne se considèrent pas du tout comme faisant partie intégrante du régime de Deby. Ils avaient juste une mission, celle d’appuyer leur parent Chaibo dans son travail, et le jour où cette mission arriverait à terme, ils plieraient bagages et partiraient. C’est ce qu’ils auraient fait après le limogeage de leur parent en Août dernier.
Au fil du temps, nous avons pu situer l’emplacement de notre séquestration. Nous étions séquestrés dans la salle de réunion de l’ANS situé juste à l’entrée de l’ANS, sur le côté droit. Nous sommes pratiquent en face des bureaux du Premier Ministre qui nous a habitué à ses sirènes fréquentes. La concession est clôturée par un mur en béton armé de 3 mètres de hauteur. Le mur est sécurisé par un fil barbelé touffu et robuste. Nous n’avions aucun contact avec les autres prisonniers de l’ANS. D’après nos geôliers, ils seraient dans l’édifice qui se trouve à l’entrée de l’ANS mais du côté opposé au nôtre. Mon frère YAYA ERDIMI est séquestré dans ce bagne depuis bientôt 4 ans. Depuis ce temps, il est injustement coupé de sa famille et du reste du monde. A travers la séquestration de YAYA, Deby pensait faire des pressions sur les autres membres de sa famille qui sont à la tête de l’opposition tchadienne mais le dictateur Deby s’était énormément trompé car le combat que ces hommes mènent dépasse largement le cadre familiale. C’est un combat d’envergure nationale et internationale, et qui est loin d’être freiné par l’atteinte à la vie ou à la liberté d’un membre de leur famille.
Comme je le disais plus haut, la majorité de nos geôliers était originaire de la même région que le chef de l’ANS mais c’était sans compter avec un adage de chez-nous qui dit : «Le lièvre et le lien de parenté peuvent surgir brusquement de n’importe où». En effet, lors d’une courte causerie avec notre geôlier permanent, il s’est avéré qu’il a un même grand-père avec le Colonel Daoud Ali. C’était vraiment un lien de parenté réelle et non fabriquée. Depuis que notre geôlier a découvert cette réalité, il est devenu plus gentil avec nous. On a constaté qu’il éprouvait une sorte de honte et de gène d’être notre geôlier. Il a averti le Colonel Daoud de ne pas dévoiler ce lien familial aux autres geôliers. Très souvent, dans la vie, la négligence est source de beaucoup de malheurs et de regrets. Ainsi, un jour, le jeune parent du Colonel était allé au-delà de ce qui était permis. En effet, une après-midi, il était venu s’étaler sur une table dans notre cellule et s’était engagé dans une causerie avec nous. Brusquement, le responsable de la prison entra et le surpris étalé sur la table. Le responsable nous salua froidement et ressortit très rapidement. Notre parent le suivit et revint avec un air très déconcerté et à la fois démoralisé. Le lendemain, on amena un autre geôlier pour le relever et s’occuper de nous en permanence. Notre nouveau gardien était très méfiant et semblait travailler sous pression. Il était moins expérimenté que le parent limogé du Colonel.
Une autre anecdote me revient encore à l’esprit. Un jour, un de nos gardiens, profitant de l’absence de ses amis, vint nous exposer ses idées. Peut-être c’était pour nous remonter le morale ou c’était de la simple diversion. Il nous dit qu’au sein de l’ANS, il y a des gens qui aiment voir les prisonniers souffrir ou mourir. Ces gens se portent souvent volontaires pour torturer ou enlever la vie à un tchadien. Notre gardien dit qu’il ne partage pas du tout ce comportement inhumain. Pour lui, un tchadien va toujours servir à quelque chose et ça serait dommage de lui ôter la vie. Il donna l’exemple du Chef de l’ANS et de son adjoint Abdoulaye Sarwa qui étaient des anciens rebelles et prisonniers de Deby. Aujourd’hui les deux hommes sont chargés de la sécurité du Tchad, dit-il. Pour finir, notre geôlier ajoute que même si Deby leur donnait l’ordre de tuer, ils vont tout faire pour convaincre leur parent Chaibo de ne pas obéir aux ordres car un jour ou l’autre, ils vont quitter l’ANS et vivre en harmonie avec les autres tchadiens.
Pendant le mois de Ramadan, notre repas était composé d’une boule au gombo et de la bouillie. Ce régime alimentaire n’a pas varié durant les 19 jours de ramadan que nous avons passés en cellule. Il était certes très maigre mais tout de même permanent, c’est déjà ça. Quand un régime alimentaire devient régulier, l’organisme s’y adapte et on n’éprouve aucune peine à l’observer. Ce qui est terrible c’est l’irrégularité et certainement beaucoup plus grave c’est la diète.
A la veille de l’investiture de Deby, nous avons appris que le régime d’Al Bachir avait extradé quelques 25 opposants tchadiens du Soudan. Ils seraient arrivés à l’ANS mais auraient été remis à la gendarmerie.
Depuis notre extradition ici, aucun responsable de l’ANS n’est passé nous voir en dehors du chef des geôliers. On doute fort qu’en dehors du patron de l’ANS, Mahamat Ismail CHAIBO et naturellement son patron Deby, les autres responsables de l’ANS seraient associés à notre détention. Ainsi, vers le 12 août 2011, nous avions décidé de prendre notre destin en main car cela fait un mois que sommes séquestrés ici et nous ignorions toujours ce que nos geôliers nous réservent dans l’avenir, quel sort était le sort qu’ils trameraient pour nous.
L’investiture étant terminée, Deby pourrait désormais s’occuper de nous. Il n’y a pas d’autres alternatives que de tenter de nous évader mais comment procéder ? Nous avions adopté un minutieux programme. Le vendredi 19 août 2011, aux environs de 18 heures, il venait de cesser de pleuvoir. Le gardien nous amène le repas pour rompre le ramadan et s’en alla après non sans avoir pris soin de bien fermer toutes les portes. Trente minutes après le départ du gardien, nous étions en train de rouler sur une grande avenue de N’Djamena, libres comme le vent !
Beaucoup des spéculations ont été faites sur les circonstances de notre libération :
- certains disent que le Président de l’UFR aurait corrompu nos geôliers ;
- d’autres prétendent qu’un groupe des militaires de la Garde Présidentielle serait venu nous libérer par une sortie annexe ;
- quelques spéculent que nous nous sommes débrouillés seuls avec l’aide de Dieu en usant de la ruse et des techniques apprises pendant les longues années de notre séjour en brousse ;
- Les plus imaginatifs disaient que Deby aurait ordonné notre libération suite à la pression de Hinda qui ne supportait plus la campagne sur ses anciens petits amis étalée sur Facebook par le camarade UFR TCHAD.
Pour des raisons politiques, stratégiques mais aussi et surtout sécuritaires, nous ne pourrions vous dévoiler les circonstances exactes de notre libération. Toutes fois, sachez seulement qu’une des quatre situations est vraie mais laquelle ?
Nous avions vécu plusieurs semaines à N’djamena avant de reprendre le chemin de la résistance. Pendant ce séjour, nous avons eu à constater comment Deby s’est amusé avec l’asphalte sur nos avenues. Le dictateur n’est intéressé que par les 50 % des pourboires qu’il tire de chaque marché des travaux. La construction des routes selon les règles de l’art et leur entretien pour les pérenniser sont les derniers soucis de notre président Dictateur. Nous avions aussi constaté avec surprise et amertume que toute la capitale N’Djamena est plongée dans l’obscurité totale. Ainsi, la vie au Tchad, pays pétrolier de surcroit, est devenue une galère pour la majorité des citoyens. Par la faute, la cupidité et l’incompétence de dictateur Deby, notre cher et beau pays n’a malheureusement pas pu échapper à la fameuse malédiction de l’or noir. Et il en sera malheureusement ainsi tant qu’il restera aux affaires. C’est pourquoi tous ceux qui aiment un tant soit peu leur patrie, doivent se mobiliser, chacun à sa façon et à sa force, à combattre cette abjecte dictature qui dilapide nos ressources et hypothèque gravement l’avenir de notre nation. Le devoir sacré de tout tchadien est de résister au régime mis en place par cet «ambiancieur» qui a plus de soixante ans et ne pense toujours qu’aux mariages avec des petites nénettes et plus souvent à les déflorer et les abandonner à leur triste sort. Que chaque tchadien invente donc son combat contre le régime et sache résister. L’heure est donc à la mobilisation générale pour résister à la dictature dévastatrice du despote Deby.
Nous vous donnons rendez-vous à plus tard pour vous donner les détails du chemin emprunté pour regagner la résistance.