Après 21 ans d’exil : Le Sénégal envoie Habré à la guillotine – Walf Fadjri

Hissène Habré retourne chez lui après 21 ans de présence sur le sol sénégalais. Notre pays a, en effet, décidé de son extradition vers le Tchad.

Le Sénégal vient enfin de décider du sort à réserver au dossier Habré. La formule trouvée par le pays du président Wade n’est rien d’autre que son extradition vers le Tchad où il a déjà été condamné, par contumace, à la peine de mort.L’information rendue publique, hier vendredi, par le gouvernement tchadien a été confirmée par le ministre de la Communication, Moustapha Guirassy.Sollicité par une radio de la place pour une réaction après l’annonce de cette nouvelle par le gouvernement tchadien, le porte-parole du gouvernement confirme que le Sénégal a décidé de procéder à l’extradition de Habré, ce lundi 11 juillet, par un vol spécial affrété par le gouvernement sénégalais, en présence d’un représentant du président de la Commission de l’Union africaine et d’un représentant de la Conférence des chefs d’Etat.‘Le Tchad est déjà informé et il s’agit de signifier la décision à Hissène Habré.L’Union africaine a donné un mandat au Sénégal pour juger Hissène Habré ou l’extrader et nous avons signé et ratifié des conventions contre la torture.Nous ne voulons pas être en faute par rapport à cette injonction’, selon Guirassy.De cette manière, au terme de 21 ans de séjour sur le territoire sénégalais, voilà que prend fin un asile politique qui aura marqué les deux dernières décennies.L’affaire Hissène Habré demeure, en effet, jusque-là, l’un des grands dossiers judiciaires qui auront le plus marqué le régime de l’alternance, à côté de l’affaire Mame Madior Boye et les neufs mandats d’arrêt lancés par la justice française, dans le cadre du naufrage du bateau Le Joola.Ainsi, avec cette décision d’extradition, c’est une équation juridique sénégalaise qui vient de trouver une solution. A la grande satisfaction des victimes et de leurs familles.

La décision du Sénégal d’extrader Habré vers le Tchad constitue-t-elle une aubaine pour les victimes du régime de l’ex-homme fort de N’Djaména ? Ou bien cette décision est-elle pour couper court à ceux-là qui considèrent le Sénégal comme étant une terre d’impunité eu égard à la longueur de la procédure? En tout état de cause, les victimes qui parlent de ‘plus d’une décennie de tactiques dilatoires du gouvernement du président Abdoulaye Wade’ sont satisfaites de cette décision, même si elles préfèrent une extradition vers la Belgique.

‘La justice et non la guillotine’

L’organisation internationale Human rights watch, défenseur des victimes et rescapés, réagit à ce sujet : ‘Les victimes de Hissène Habré se battent depuis plus de 20 ans pour que l’ancien dictateur réponde de ses actes, mais elles ont toujours lutté pour que celui-ci bénéficie de toutes les garanties d’un procès équitable. Or, les conditions d’un procès répondant à ces exigences ne sont pas réunies au Tchad, sans compter les risques considérables qui pèseraient sur sa sécurité. C’est pourquoi nous estimons qu’une extradition en Belgique reste l’option la plus réaliste pour qu’Habré soit jugé au plus tôt dans le respect des garanties d’un procès équitable. Nous voulons la justice, et non pas la guillotine. Nous croyons que l’extradition de Habré vers la Belgique est l’option la plus réaliste pour assurer qu’il sera en mesure de répondre aux accusations portées contre lui avec toutes les garanties d’un procès équitable’.

CRAIGNANT SON EXECUTION : Les avocats de Habré plaident l’’immunité de juridiction’

La décision d’extradition du président Habré vers son pays d’origine ne laisse pas indifférents les avocats de l’ex-homme fort du Tchad. Evoquant son ‘immunité de juridiction’, ils craignent son exécution une fois qu’il aura foulé la terre tchadienne. ‘L’opinion nationale et internationale vient d’être informée de la grave décision du président de la République du Sénégal d’expédier le président Habré au Tchad. Si cela advenait, l’opinion nationale et internationale se souviendrait que la justice tchadienne avait déjà jugé et condamné à mort le Président Habré. Elle se souviendra aussi que la Chambre d’accusation de Dakar, par une décision rendue le 25 novembre 2005, avait rejeté la demande d’extradition du Président Habré aux motifs que l’extradition procédant elle-même d’acte de poursuite ou d’exécution par délégation de l’Etat requérant au profit de l’Etat requis, doit se conformer, en tout cas dans sa phase judicaire, aux règles d’ordre public de compétence et d’organisation des juridictions répressives, bastion de la souveraineté nationale (…)’. Les avocats de Habré insistent sur le fait que leur client doit bénéficier du privilège de l’immunité de juridiction qui, loin d’être une cause d’exonération de responsabilités pénales, revêt simplement un caractère procédural. Cette motivation pertinente dégageait et exprimait un principe de souveraineté nationale des Etats et de la sauvegarde de la dignité des anciens Chefs d’Etat qui ont eu à présider aux destinées de leurs peuples.

CHRONOLOGIE : Le dossier Habré ou la grande équation juridique du Sénégal

Hissène Habré s’est exilé au Sénégal depuis sa chute du pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat militaire dont l’actuel président, Idriss Déby, est le principal instigateur. Depuis lors, l’ex-homme fort du Tchad s’est exilé au Sénégal. Il sera inculpé en 2000 pour crimes contre l’humanité, actes de tortures et de barbarie commis au Tchad durant son mandat de 1982 à 1990. Selon Human Rights Watch, 1 208 personnes sont morts en détention, un total de 12 321 victimes de violations des droits humains mentionnés dans les fichiers. De même qu’une Commission de vérité tchadienne a également constaté que Hissène Habré avait pratiquement vidé le Trésor tchadien avant de prendre son vol pour le Sénégal.

Nous sommes en septembre 2005 lorsque la justice belge décerne un mandat d’arrêt international contre Habré, pour exiger son extradition. La justice sénégalaise se déclare incompétente. Il faudra attendre 2006 pour que l’Union africaine entre dans la danse pour demander au Sénégal de juger Hissène Habré ‘au nom de l’Afrique’. Le Sénégal accepte et exige, au préalable, de la communauté internationale, une enveloppe de 18 milliards de francs pour organiser le procès. La table ronde des bailleurs de fonds s’est réunie à Dakar le 24 novembre de l’année dernière. Et le montant revu à la baisse jusqu’à 12 milliards est destiné au salaire du personnel judiciaire, à la réfection de l’ancien palais de justice, à la prise en charge des témoins et victimes tchadiennes et sénégalaises, entre autres. Entre 2007 et 2008 le Sénégal entreprend des réformes législatives et constitutionnelles lui permettant d’élargir sa compétence sur les crimes commis même en dehors de son territoire et relevant du droit international : crimes contre l’humanité, crimes de guerre, actes de torture, génocide. Alors, les avocats de Habré saisissent la Cour de justice de la Cedeao pour dénoncer les violations des droits de la défense. Celle-ci tranche en faveur de Habré et demande au Sénégal de créer un tribunal ad hoc ou une juridiction spéciale pour juger Habré et de respecter les décisions antérieures, avec notamment le respect de l’autorité de la chose jugée. Il aura fallu que l’Union africaine interpelle le Sénégal lors de la résolution de Malabo pour que le pays du président Wade décide de l’extradition de Habré vers le Tchad.

Pape NDIAYE


Commentaires sur facebook