En décidant de livrer Habré à son ennemi : Le Sénégal tourne le dos au droit – Walf Fadjri
Le gouvernement sénégalais a annoncé, hier, l’extradition de Hissène Habré par vol spécial lundi vers le Tchad. Mais, cette mesure gouvernementale, qui fait suite à la demande de l’Union africaine de voir le Sénégal juger rapidement l’ancien président tchadien ou à défaut de l’extrader vers un autre pays, est loin d’être conforme au droit.
Lors du dernier sommet de l’Union africaine tenu à Malabo, auquel le président Wade n’a pas pris part, les chefs d’Etat et de gouvernement africains avaient recommandé au gouvernement sénégalais de faire juger Habré, qui vit depuis une vingtaine d’années au Sénégal, sinon de l’extrader vers un autre pays. Dans la requête de l’Ua, il n’est nullement demandé au président Wade de renvoyer le Tchadien vers son pays d’origine, mais de ‘le faire rapidement juger ou l’extrader vers un autre pays’.
En parlant d’un autre pays, d’ailleurs, les dirigeants africains avaient certainement à l’esprit la Belgique, pays qui avait, en juillet 2006, fait une demande d’extradition de l’ancien dirigeant tchadien auprès des autorités sénégalaises pour y être jugé pour des crimes de guerre, torture et crime contre l’humanité. On se rappelle que, à l’époque, Me Wade avait opposé un veto catégorique et, malgré les pressions, il n’avait pas cédé.Aussi, la question que l’on se pose est celle-ci : la mesure d’extradition annoncée hier est-elle juste en droit ? D’après Me Mbaye Dieng, avocat au barreau de Dakar, ‘l’extradition est une mesure judiciaire qui permet à une personne de conserver ses droits en changeant de lieu où il doit être jugé’.L’avocat précise ainsi que la décision d’extrader Habré telle qu’annoncée par le gouvernement est, en ce sens, une ‘mesure administrative’. En tant que telle, elle ne peut primer sur une décision de justice. ‘Pour quelqu’un qui a été condamné à mort par contumace dans son pays d’origine, une telle mesure est une entorse au droit’, ajoute-t-il.
Par ailleurs, la mesure gouvernementale semble avoir été prise sans considérer le statut particulier de l’ancien dirigeant tchadien. Depuis sa chute, Hissène Habré s’est réfugié au Sénégal où il bénéficie du statut de réfugié. Or, l’article 33 de la Convention de Genève relatif au statut de réfugié, stipule : ‘Un réfugié ne peut être extradé vers un pays où il craint pour sa vie’. D’où l’interrogation de Me Dieng : ’Pourquoi extrader un réfugié sous protection vers un pays où il risque d’être exécuté plutôt que vers la Belgique où il est certain de bénéficier d’un procès équitable ?’
Une mesure aux relents politiques
L’extradition prévue lundi, sauf rebondissement de dernière minute, sent un parfum politique très prononcé. Hormis le fait que Me Wade a voulu rendre la politesse à ses homologues africains qui l’ont placé dans une posture inconfortable, les effets collatéraux du 23 juin ne sont pas à exclure. A en croire un militant des droits de l’Homme, qui s’est pourtant battu pour que Hissène Habré réponde de ses actes, la décision des autorités sénégalaises serait motivé par des calculs politiques. ‘Hissène Habré est un client de Me El Hadj Diouf, observe-t-il. Or le 23 juin dernier, ce député de la majorité présidentielle avait été à la pointe du combat parlementaire contre le projet de loi portant ticket présidentiel’. Suivez donc mon regard… !
Mais, plus que payer la monnaie de sa pièce à un allié qui a trahi, la mesure d’extradition de Habré peut relever d’une stratégie politique bien mûrie. En effet, sa marge de manœuvres très réduite et surtout certaines affaires polluant l’atmosphère, le chef de l’Etat a, peut-être, trouvé là un moyen approprié de reprendre l’initiative et surtout d’occuper les esprits. ‘Il a certainement pris cette mesure pour divertir l’opinion sénégalaise’, pense l’activiste. Mais, au-delà des conjectures, la messe est loin d’être dite. Car, du point de vue de la loi, les avocats de Hissène Habré ont le droit de saisir la Cour suprême d’un suris à exécution de l’acte administratif. Et là, la haute juridiction est obligée de statuer dans un délai très limité. Un autre feuilleton Habré commence alors ?
Mohamed MBOYO & Ibrahima ANNE