Tchad : Faut-il extrader Habré ? – France soir
L’extradition à N’Djamena de l’ex-dictateur tchadien Hissène Habré au pouvoir de 1982 à 1990 décidée subitement par le Sénégal où il était réfugié, rencontre l’opposition ferme de l’ONU et de la Belgique.
Le président sénégalais Abdoulaye Wade a informé par courrier son homologue tchadien Idriss Deby Itno « de sa décision de renvoyer dans son pays d’origine M. Hissène Habré »
Le président sénégalais Abdoulaye Wade a informé par courrier son homologue tchadien Idriss Deby Itno « de sa décision de renvoyer dans son pays d’origine M. Hissène Habré » SIPA
L’ancien dictateur Hissène Habré sera de retour lundi à N’Djamena. La décision de Dakar le 8 juillet de l’extrader au Tchad, où il avait été condamné à mort par contumace pour crimes contre l’humanité en 2008, a surpris l’ensemble de la communauté internationale. Soutenu et protégé dans les années 80 par la France et les Etats-Unis face à l’offensive de Kadhafi au Nord du Tchad, l’ex-dictateur est pourtant soupçonné d’être responsable de milliers d’enlèvements et d’assassinats politiques.
La décision du président sénégalais Abdoulaye Wade est contestée par la communauté internationale qui souhaite un procès équitable. La Haut commissaire de l’ONU aux droits de l’homme a exhorté dimanche le Sénégal à revoir sa décision de renvoyer lundi dans son pays l’ex-président tchadien Hissène Habré, poursuivi pour crimes contre l’humanité. La Belgique, qui réclame l’extradition de Hissène Habré, a « déploré » son renvoi prévu vers le Tchad. « J’exhorte le gouvernement du Sénégal à revoir sa décision. En tant que partie à la Convention contre la torture, le Sénégal ne peut extrader une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il serait en danger d’être soumis à la torture », a affirmé Navi Pillay dans un communiqué depuis Genève.
« En tout état de cause, le Sénégal devrait obtenir des garanties d’un procès équitable par les autorités tchadiennes avant toute extradition », a-t-elle ajouté. Navi Pillay a souligné qu’il était essentiel que Hissène Habré bénéficie de procédures régulières et ait le droit à un procès équitable. Mais « dans les circonstances actuelles, dans lesquelles ces garanties ne sont pas encore en place, l’extradition de Hissène Habré pourrait constituer une violation du droit international », a insisté la Haut commissaire.
Le ministère belge des Affaires étrangères a lui redemandé qu’Hissène Habré soit extradé en Belgique: « Tenant compte des intérêts des victimes belges, notre pays a toujours plaidé pour une extradition de Hissène Habré et un jugement en Belgique ». « La Belgique déplore dès lors le fait que le gouvernement sénégalais ne respecte pas ses obligations envers la Cour internationale de Justice à La Haye, s’agissant de son engagement à ce que Hissène Habré ne quitte pas le Sénégal aussi longtemps que le différend avec notre pays n’avait pas été réglé », selon le texte.
Dans un communiqué commun diffusé par Human Rights Watch (HRW) depuis Bruxelles, plusieurs associations de victimes et de défense des droits de l’homme, militent aussi pour un jugement en Belgique. « Le Comité des Nations unies contre la torture (…) avait enjoint (le Sénégal) à juger Habré ou, à défaut, à l’extrader vers la Belgique (…) ou enfin de faire droit à « toute autre demande d’extradition émanant d’un autre État en conformité avec les dispositions de la Convention. Or, le Tchad n’a jamais fait de demande d’extradition », selon le texte.
Le flou règne sur son sort
« Au regard des obstacles en série posés par le gouvernement sénégalais depuis l’inculpation de Habré (…) il y a onze longues années, la Belgique est aujourd’hui la solution la plus tangible, la plus réaliste et la plus opportune pour s’assurer que Hissène Habré réponde des accusations portées contre lui dans le cadre d’un procès juste et équitable dans des délais raisonnables », selon le communiqué.
A N’Djamena, aucune réaction des autorités n’était disponible dimanche, mais Clément Abayefouta, président de l’Association des victimes contre la répression politique (AVRP), qui regroupe les victimes du régime d’Hissène Habré, a salué les déclarations de l’ONU. Depuis vendredi, le flou règne sur ce qu’il adviendra à Hissène Habré, réfugié au Sénégal depuis sa chute en 1990 et poursuivi pour crimes contre l’humanité, qui doit arriver lundi à N’Djamena par un vol spécial.
« Normalement, il sera pris en charge à son arrivée à l’aéroport et emmené à un juge d’instruction qui l’inculpera et le placera sous mandat de dépôt », a affirmé samedi une source judiciaire. En 2006, répondant à une demande de l’Union africaine, le Sénégal avait accepté, « au nom de l’Afrique », de juger sur son territoire l’ancien président tchadien pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture commis pendant ses huit ans de pouvoir (1982-1990).
Après avoir tergiversé pendant des années, Dakar a décidé vendredi de renvoyer à N’Djaména l’ancien président, se justifiant par la nécessité de se conformer à la demande de l’UA qui prévoyait de « le juger ou l’extrader ». Habré avait été renversé par l’actuel président tchadien Idriss Deby Itno, qui, après avoir été un proche d’Habré, avait été accusé de complot et avait fui le Tchad en 1989 pour fonder sa rébellion et renverser son ennemi en 1990.