Au Tchad, les victimes de la répression sous Hissène Habré témoignent – Afp

Tortures, détentions arbitraires, disparitions: réunies à N’Djamena, des victimes de la répression au Tchad sous Hissène Habré (1982-1990) — accusé de crimes contre l’humanité — témoignent, en se demandant toujours pourquoi elles ont été maltraitées.

Fatima Mando a été arrêtée à son travail à N’Djamena en 1983 avec trois autres femmes, soupçonnées d’avoir manifesté en faveur de rebelles.

« Pour nous nous faire avouer, c’était la bastonnade, on nous a bien tapé. On t’oblige à te déshabiller. Ils m’ont déchiré mes habits. (…) J’ai raconté n’importe quoi, j’ai dit qu’ils me tuent »: Mme Mando pense avoir pu sortir après dix jours grâce notamment à l’intervention de son supérieur.

« Mon mari est la seule des 40.000 victimes (estimation du nombre de morts en détention ou exécutés par une commission d’enquête) dont le corps a été restitué », dit de son côté Zenaba Galyam, veuve d’un directeur de cabinet d' »Hissène » arrêté en 1983 par deux de « ses propres amis » et mort en camp militaire en 1984.

Jean Noyoma Kouvounsouna, alors âgé de 28 ans, a été interrogé pendant trois jours à la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS, police politique) en mai 1989.

« On m’a attaché et on m’a mis l’eau sous pression dans la bouche pour m’obliger à dire que j’étais un agent de la Libye au Tchad », explique-t-il. Le Tchad a été en guerre contre la Libye de Mouammar Kadhafi dans les années 1980.

Transféré au « camps des martyrs », il y passe « sept mois et deux semaines (…), on était (à six) dans des cellules de 1m50 sur 2 m ».

« On était si serré que pour me tourner, il fallait que tout le monde se tourne », se souvient Clément Abaifouta, arrêté le 12 juillet 1985 à N’Djamena et détenu près de quatre ans.

Il déclare que, « fossoyeur », il enterrait 8 à 10 cadavres par jour en moyenne que le geôlier appelait « sacs ».

« Nous menons cette lutte pour savoir pourquoi nous avons été soumis (…) à un tel traitement », explique-t-il.

Le 13 août 1984, des hommes de la Brigade spéciale d’intervention rapide (Bisir, armée), sont venus chercher le grand-frère de Pierre Ngolsou (alors lycéen) et un ami qui aurait hébergé un opposant au Nigeria, se souvient-il. « Depuis on ne sait pas ce qu’on en a fait », regrette M. Ngolsou.

Antoinette Mandjere avait 42 ans et vivait à Sarh (sud) en septembre 1984 quand son frère, commissaire, a disparu. Son corps a été retrouvé quelques jours après, abandonné en brousse: « On n’enterrait pas les morts, on laissait les gens pourrir ». Des villageois l’ont discrètement enterré. .

Elle a été à son tour menée chez le directeur de la police, frappée avec des branches et finalement libérée grâce au préfet. S’il n’était par intervenu « ils allaient m’attacher pour me mettre dans le Chari (rivière) », affirme-t-elle.

C’est chez elle, dans la capitale, qu’on vient chercher Ginette Ngarbaye en 1985 pour l’emmèner à la DDS, où elle est accueillie par « un monsieur grand, gros, avec une chemise tachetée de sang ».

Elle est accusée d’avoir vu des opposants dans le sud du pays. « Ils m’ont torturée, ils mettaient les fils électriques partout et je m’évanouissais », se remémore Mme Ngarbaye, alors enceinte de 4 mois.

Elle a passé deux ans en détention. « Mon enfant a fait ses premiers pas là-bas », dit-elle.

Soudain, les téléphones portables sonnent et les visages s’illuminent: le Sénégal, où s’était réfugié Habré en 1990 après avoir été renversé par Idriss Deby Itno, l’actuel président tchadien, a finalement renoncé à le renvoyer au Tchad, devant la pression de l’ONU qui craint que l’ex-dictateur ne soit lui-même torturé.

Les victimes redoutent notamment qu’il ne puisse être jugé équitablement dans son pays.

« Nous nous n’avons pas confiance en notre justice », a affirmé à l’AFP M. Abaifouta, président de l’Association des victimes contre la répression politique (AVRP) demandant que Habré soit envoyé en Belgique, « le seul pays qui a demandé à le juger ».


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