"Nous luttons pour une juste cause", – N’DJAMENA BI-HEBDO N° 964 du 06 au 09 juillet 2006
déclare Gotram Ngaralbaye, le porte-parole des employés locaux de Esso-Tchad, qui ont débrayé, le 3 juillet 2006, à l’expiration de leur préavis de grève, le 30 juin dernier.Notre grève concerne l’amélioration de nos conditions de travail demandée à la direction générale de Esso, qui n’a pas daigné lui donner suite. Nos revendications portent, entre autres, sur l’augmentation du salaire de base du personnel local et sur la révision en hausse des primes qui s’appliquent normalement ailleurs et que Esso refuse de nous en faire bénéficiaires.
Nous avions commencé de manière formelle nos revendications depuis l’année dernière. Après moult discussions, la direction nous a dit qu’elle n’était pas capable de faire quoi que ce soit, et qu’elle promettait un geste cette année. A l’issue de cela, nous avons demandé qu’il soit signé un accord de principe pour une trêve. Nous l’avons signé et qu’à l’issue de cette trêve, la direction cherche des voies et moyens pour améliorer nos conditions de travail. Nous avons attendu et rien n’a été fait. Pour une première fois, nous avons adressé un mémorandum à la direction qui nous a répondu de manière très méchante. De manière assez réfléchie et responsable, nous avons répliqué à la direction, qui nous a répondu sur un ton un peu poli. Nous avons continué à attendre, croyant que notre mémorandum allait trouver une suite favorable. Il n’en a pas été question. Nous avons eu trois rencontres. A la dernière, Esso nous a proposé une augmentation de 7,5% de la masse salariale. Ces 7,5% d’augmentation de la masse salariale, selon Esso, seront affectés aux cadres et répartis selon les critères de compétence. Mais pour les cadres seuls, comme ils sont évalués de manière régionale et mondiale, leur avancement ne tiendra compte que des critères de compétence.
Nous avons rejeté tout cela en bloc, parce que nous revendiquons l’augmentation générale des salaires, sans tenir compte des catégories. Ainsi, nous avons dit à la direction générale que s’il y avait une augmentation qui serait liée aux critères de performance, qu’elle le fasse après.
A quel pourcentage aviez-vous voulu de Esso votre augmentation salariale?
Nous avions voulu notre augmentation de salaire de base à 100%. Mais le 3 juillet 2006, à notre rencontre avec la direction générale de Esso en présence du gouvernement et de l’Union des syndicats du Tchad, nous avons rabaissé notre prétention à 25%. En dépit de cela, la direction n’a pas cédé d’un iota. C’est pour cela que nous avons décidé d’observer trois jours de grève en restant ouverts au dialogue. Mais nous faisons observer à Esso que sur les 25% d’augmentation de salaire demandée nous n’allons pas fléchir d’un pas.
Et au cas où Esso ne se plie pas à vos exigences…
Nos actions vont se baser sur la grève, la cessation du travail. Si d’ici le vendredi 7 juillet, aucune suite n’est donnée à notre présente action, nous allons reprendre le travail pour trois jours. La deuxième fois, nous allons faire la même chose. Ensuite, nous allons évaluer les actions entreprises et l’assemblée générale décidera de l’action future qui sera le renouement avec la grève.
Votre mémorandum décrie un écart criard entre le salaire des expatriés et celui des nationaux pour un même travail abattu…
C’est vrai. Dans notre mémorandum, nous avons établi un rapport entre le salaire des expatriés et celui que perçoivent les nationaux. Il se trouve que dans la réalité l’écart est énorme. En ce moment, nos cadres nationaux occupent les mêmes places que les expatriés. Ceux-là qu’on appelle back-to-back relaient tous les mois les expatriés à leur poste et abattent le même travail. Mais le salaire que gagne un expatrié pour ce même travail est parfois 20 fois supérieur à celui du personnel local.
Pouvez-vous appuyez cette disparité entre les salaires par des chiffres?
Bien sûr. Un cadre national de Esso gagne autour de 500 à 600.000 FCFA tandis que son collègue expatrié se retrouve autour de 10 à 12 millions de FCFA. Là également, nous n’avons pas cherché à être payés comme tous les expatriés. Bien au contraire, nous avons demandé à être payés comme nos collègues camerounais. Mais la direction générale nous a opposé une fin de non recevoir. Bien que les Camerounais gagnent plus que nous, ils se retrouvent avec une prime de rotation de 36% de leurs salaires de base. Nous ne sommes qu’à 20% de notre salaire de base. Au Cameroun, une prime de logement de 30% sur le salaire de base est accordée à nos collègues. Au Tchad, nous ne recevons que 5 à 6% de cette prime sur le salaire de base.
Cette disparité des salaires est-elle due à la non application des textes qui régissent les employés locaux de Esso?
Honnêtement, je ne peux pas dire quel texte régit les employés locaux de Esso-Tchad. Quand la situation arrange Esso, elle sort des textes nationaux. Par contre, lorsque ça ne l’arrange pas, elle recourt aux textes de ExxonMobil. Même simplement sur la base de la Convention collective du travail, il est stipulé qu’à travail égal, salaire égal, indépendamment des nationalités. Là encore, pour me répéter, nous n’avons pas demandé à être au même titre que les expatriés. Nous voulons simplement voir nos conditions de travail améliorées.
Votre mémorandum contient une panoplie de revendications. Cette présente grève vise-t-elle à obtenir satisfaction de toutes ces revendications?
Nous avons beaucoup de revendications. A Esso-Tchad, le personnel local ne connaît ni son plan de carrière, ni celui de sa retraite comme c’est le cas au Cameroun. Nous ne savons pas comment s’effectuent nos évaluations de carrière. Nous ne savons pas si nous travaillons bien ou mal, mais toujours est-il qu’en fin d’année, une enveloppe nous parvient de la direction avec la note zéro. Lorsque les nationaux et les expatriés qui ont un même niveau de compétence perçoivent différents salaires, on ne sait sur quelle grille? Tout cela fait partie de nos revendications et nous pensons arriver à une Convention qui nous permette de résoudre tous ces problèmes. Tant qu’on continuera à traiter morceau par morceau nos revendications, nous n’arriverons jamais à une solution durable.
La grève a-t-elle été suivie?
Elle est observée à 100%. Nos collègues de Komé sont arrivés ce matin (Ndlr: 3 juillet). Débarqués à l’aéroport, ils nous ont immédiatement rejoints à la bourse du travail. Il n’y a que les expatriés qui sont restés dans les champs pétrolifères de Doba.
Ne craignez-vous pas que Esso fasse recours aux expatriés pour vous remplacer?
Nous ne craignons rien, parce que nous luttons pour une juste cause. S’il arrivait que Esso pense de la sorte, nous allons recourir aux instances indiquées pour revendiquer ce droit.
Interview réalisée par Djéndoroum Mbaïninga
N’DJAMENA BI-HEBDO N° 964 du 06 au 09 juillet 2006