La médiature nationale, une coquille vide – N’DJAMENA BI-HEBDO N° 964 du 06 au 09 juillet 2006
Le colloque sur la gestion et le règlement des conflits, de la famille aux institutions nationales, organisé par le Cefod du 3 au 6 juillet, a donné l’occasion au médiateur national, Djimasta Koibla, de faire une autocritique du statut et du fonctionnement de son institution.
Le colloque sur « la gestion des conflits au Tchad, de la famille aux institutions nationales » prend fin aujourd’hui 6 juillet dans la soirée par une table ronde ouverte au public. Au Tchad, comme dans toute société, il y a des conflits. Selon le directeur général du Cefod, Richard Erpicum à l’ouverture du colloque, on en trouve à tous les niveaux de la société: famille, village, ethnie, région et pays. Leurs origines sont diverses: compétition pour l’argent, la terre, les puits, le troupeau ou pour d’autres ressources, compétition pour l’autorité et le pouvoir dans la famille, l’ethnie, l’association ou le pays.
« Certains conflits ont leurs racines dans l’histoire lointaine ou dans l’histoire proche: incompatibilités ou même haines entre familles ou entre groupes ethniques; d’autres conflits sont nouveaux ». Pour le Dg du Cefod, certains conflits ont des raisons précises et identifiables; mais pour d’autres, il est difficile d’en dégager les racines. Comment résoudre ces conflits d’intérêts? C’est la question qui préoccupe les participants au colloque, une trentaine de chercheurs, hommes politiques et représentants de la société civile. Mais en attendant les actes du colloque, l’on note qu’il y a, tant au niveau de l’Etat que de la société civile, des institutions de règlement de conflits comme la médiature nationale et les comités de règlement des conflits agriculteurs-éleveurs dans les localités concernées.
Djimasta Koïbla, médiateur national, a, à la suite du discours de Richard Erpecum, fait un exposé sur « la nature et les fonctions de la médiature nationale », une institution méconnue du public. De cet exposé, l’on peut retenir que la médiature nationale n’est qu’une coquille vide. A sa création en 1993 suite à une recommandation de la Conférence nationale, un décret a déterminé « sa structure autonome, ses moyens d’action et de larges pouvoirs pour elle ».
Le contexte de crise politico-militaire
Ce dispositif mis en place, selon Djimasta Koïbla, n’avait d’autre rôle que de négocier dans un contexte de crise politico-militaire particulièrement aiguë pour parvenir à une réconciliation nationale. Alors qu’il n’était pas encore entré en vigueur, le décret 380 de juillet 1993 a été abrogé par un autre en 1997. Le nouveau décret, le n° 340 d’août 1997, « est nettement en retrait par rapport au premier en ce qu’il est silencieux sur le statut, les modalités de fonctionnement et les moyens d’action. Par contre, la mission assignée au médiateur est contenue dans une large formulation qui autorise deux attitudes inverses: une vision extensive de compétence faisant entrer dans son champ d’action les questions de gouvernance administrative et politique, des droits de l’homme, de l’Etat de droit, de la démocratie et une vision limitée à la recherche de la paix avec les citoyens en rupture avec la légalité ».
La médiature nationale est placée sous l’autorité du Premier ministre. Or, si la mission du médiateur national est de restaurer la paix civile et politique, il faut à cette institution un minimum d’indépendance. « Ce n’est pas faire preuve d’invention ou de singularité que d’établir la médiation dans la constitution ou dans un texte législatif. S’il est admis, comme c’est le cas en général, que le rôle du médiateur consiste, entre autres, à protéger les droits des citoyens, on admet ce faisant que son statut soit fixé au minimum par une loi ».
Djimasta Koïbla estime que la médiation est l’une des modalités permettant au citoyen, lorsqu’il est confronté aux pouvoirs publics, de surmonter sa vulnérabilité et voir plaidée sa cause. Les problèmes dont s’occupe la médiation échappent en partie aux voies de droit normales et nécessitent pour cela un statut qui lui confère un minimum de garanties juridiques qui lui assurent sa crédibilité aux yeux des demandeurs de la médiation. Car, ailleurs, le médiateur apparaît comme étant le « protecteur du citoyen » pour mieux incarner sa mission de permettre le plein exercice de la citoyenneté. Djimasta Koïbla de suggérer que la loi instituant la médiation soit précise quant aux considérations suivantes: le statut du médiateur, ses moyens d’action et la décentralisation du bureau du médiateur.
La nécessité de disposer des moyens
L’institution, à l’heure actuelle, se limite au médiateur national et son cabinet. La deuxième suggestion de Djimasta Ko’ibla concerne les moyens humains et matériels. « La nécessité de disposer de l’expérience et de la compétence dans les divers services étatiques fera que le personnel peut provenir de la fonction publique ou des cadres à la retraite, ce qui est d’ailleurs un élément d’indépendance requise à l’égard de l’administration. Chaque volet des activités du médiateur (étude, enquête, suggestion des pistes de compromis, recommandations, proposition de réforme, etc.) conditionne sa crédibilité et suggère pour cela une structure comportant au minimum un cabinet, des conseillers, des chargés de missions par secteur d’activité: affaires administratives, questions sociales, foncières, etc.). On peut dans le futur envisager la nomination des délégués régionaux. A défaut de structures localisées, le médiateur doit pouvoir se déplacer aussi souvent que possible pour être en contact des populations connaissant la fréquence des conflits entre éleveurs et agriculteurs et la récurrence de ceux à caractère communautaire qui obligent à des actions de sensibilisation aussi souvent que possible pour promouvoir le dialogue et prévenir les affrontements. Mais le pourra-t-il sans une amélioration des conditions actuelles de travail sur le plan matériel et financier? », conclut Djimasta Koïbla.
Hubert Bénadji
N’DJAMENA BI-HEBDO N° 964 du 06 au 09 juillet 2006