Mensonges abracadabrantesques! – Le Temps N° 479 du 17 au 23 mai 2006
Le tout n’est pas de gagner une élection. Mais surtout la gérer. IDI a couru derrière la légitimité. Mais quelle légitimité ? Les véritables problèmes commencent au lendemain de cette élection. IDI pourra-t-il gouverner vraiment avec ce désaveu cinglant? Cherchera-t-il à négocier mais avec qui? IDI est réélu dans une situation de faiblesse totale. S’il voit partout la main de Soudan, c’est cette peur du lendemain qui le guide. Tiendra-t-il combien de jours avec ce résultat que lui a fabriqué la CENI ?
Comme on devait s’y attendre, la Ceni a offert à IDI une victoire sans gloire. Sans surprise donc, IDI remporte dès le premier tour les présidentielles avec 77,53% de voix. Le Dr Kascou, qui dirige « Ie deuxième parti après le MPS » comme il aime le claironner lui-même n’est connu que par 8,81 % de Tchadiens selon la Ceni. Kascou dit ne pas se reconnaître dans ces résultats, il accuse la Ceni d’avoir manipuler les chiffres et promet de saisir le conseil constitutionnel. S’attendait-il à un second tour ou c’est une simple comédie politique comme il en a le secret?
Albert Pahimi Padacké qui se dit être « une force qui inquiète le MPS » et qui surtout avait rêvé de remporter « dès le premier tour » s’en sort avec un ridicule score de 5,35% de voix. Le coq blanc, symbole du RNDT/Le réveil, parti de Pahimi, a plutôt attrapé une grippe aviaire lors de ce scrutin!
L’infatigable Mahamat Abdoulaye, ministre délégué à la Décentralisation qui est à sa deuxième compétition présidentielle demeure un parfait inconnu : 4,65% de voix. L’intrépide Ibrahim Koulamallah qui a rêvé de faire comme son défunt père a manqué de populaire. Il ferme la queue avec un score honorable de… 3,61 %. N’est-il pas connu au delà de son quartier Ambassatna ?
Fallait-il s’attendre à autre chose que cette mascarade? Même avec ce résultat qui fait sourire, il se trouve encore des militants MPS qui estiment qu’il y a eu fraude… dans la fraude. Tenez! Ce lundi à 6 heures, un collègue de la rédaction est réveillé par un coup de fil pressant et insistant d’une grosse cylindrée du MPS du Mayo-Kebbi. « La Ceni nous a volé notre victoire. Elle a triché. Nous avons fait réalisé au candidat IDI ici au MayoKebbi Ouest près de 70% de voix mais la Ceni a revu ce chiffre en baisse » clame ce transfuge d’un parti de l’opposition. « Nous avons voulu par ce score faire donner la Primature à un des nos gars car les Sara obtiennent la Primature en usant des mêmes méthodes », tempête-t-il avant d’exploser. « La Ceni nous a volé notre victoire ! ». « C’est inacceptable » pleurniche-t-il avant de raccrocher. Si donc en haut lieu la participation a été l’enjeu principal de ces élections, il se trouve des personnes plutôt des groupes d’intérêt qui se sont amusés à traficoter les chiffres juste pour leurs intérêts purement égoïstes.
Avec tous ces tripatouillages et ces calculs d’intérêt divers et divergents, le taux de participation de 61,49 % parait comme un taux de compromis. Les observateurs internationaux, la FIDH, les chancelleries, les très nombreux correspondants de la presse internationale, personne n’a vu une quelconque participation massive à ce scrutin atypique où IDI livrait un match à domicile. Il faudrait donc trouver un taux qui n’hérisse point tous ces observateurs. Ce taux, il faut le signaler, diffère de 71 % avancé par le président de la Ceni à un journaliste de l’AFP au lendemain du 3 mai.
Le tout n’est pas de gagner une élection. Mais surtout la gérer. IDI a couru derrière la légitimité. Mais quelle légitimité? Les véritables problèmes commencent au lendemain de cette élection. IDI pourra-t-il gouverner vraiment avec ce désaveu cinglant? Cherchera-t-il à négocier mais avec qui?
La sagesse est ce qui manque le plus à ceux qui nous gouvernent. Nous avons inutilement dépensé de l’argent pour rien. Nous avons perdu inutilement du temps dans une campagne et une élection inutiles. L’élection du 3 mai ouvre une véritable boîte de Pandore. Qu’on ne s’y trompe pas. La violence et la défiance n’ont jamais résolu nos problèmes. IDI n’a jamais voulu se plier à la volonté populaire parce qu’il n’est pas venu au pouvoir par un billet « d’Air Afrique « . Il n’acceptera jamais une alternance. A scruter le comportement suicidaire adopté par le chef de l’Etat, seule la mort offrira l’alternance. Du moins la seule alternative. La mort naturelle bien sûr!
Ce refus de faire la paix a aujourd’hui considérablement raffermi tous les va-t-en guerre et les autres démons de la guerre. Un chef d’Etat est plus vulnérable en fin de mandat plutôt qu’en début de mandat dit-on. Mais IDI est réélu dans une situation de faiblesse totale. Si IDI voit partout la main de Soudan, c’est cette peur du lendemain qui le guide.
Mais il n’est pas trop tard de bien faire les choses comme l’a si bien enseigné Donald Yamamoto à son passage ici à N’Djamena. IDI pouvait même s’offrir plus de 100% de voix et s’égosiller de plus bel à chanter « On a gagné » comme il a fait au lendemain du résultat devant ses sympathisants à son domicile privé. Le problème demeure. Tant que la racine du mal tchadien demeure ou est esquivée, le Tchad ne sortira point de l’ornière. Et IDI tout en étant une partie du mal sinon le mal lui-même détient néanmoins une solution à ce mal. Et la solution appelle des décisions politiques fortes et déchirantes. Et le chemin vers la paix au Tchad passe inexorablement par ces décisions: le retrait d’IDI pour une retraite méritée et la mise sur pied d’un nouveau consensus national.
Michaël N. Didama
Le Temps N° 479 du 17 au 23 mai 2006