IDI : Plus sourd au dialogue que lui, tu meurs! – Le Temps N° 479 du 17 au 23 mai 2006
Depuis que Idriss Déby Itno et le MPS se sont engagés sur la voie d’un règne sans limites, les critiques, quels que soient leurs auteurs sont perçues comme des menaces pour leur trône. Seul le culte de la personne Déby est déployé d’un bout à l’autre.
Au sortir du congrès du MPS tenu en 2003, le président et le cercle restreint des militants zélés, se sont mis dans la tête de ne plus écouter la moindre critique même constructive. Cette attitude ne vient pas du hasard elle est sous-tendue par la crainte de se faire convaincre par la voix de la raison, la recherche des solutions négociées aux problèmes qui se posent à la nation tchadienne. Une seule voie est restée alors ouverte : le passage en force, la défiance et la belligérance. Pour s’en convaincre, il suffit de revoir le film des événements qui se sont succédé depuis ce congrès.
Lorsque le MPS a enjoint le gouvernement Faki de modifier la Constitution du 31 mars 1996, plusieurs voix se sont élevées pour critiquer et dénoncer cette initiative. Un gouvernement démocratique aurait pu instaurer un débat public autour de la question en vue de trouver une solution satisfaisante pour tous les partis politiques et la société civile. Le MPS a exclu le dialogue, confinant les adversaires du projet au seul débat à l’hémicycle. Ceux qui n’étaient pas représentés à l’assemblée nationale étaient d’office exclus. L’on a plusieurs fois entendu le secrétaire général du parti présidentiel répéter ce refrain. Le MPS n’a pas besoin d’un dialogue d’outre palais du 15 janvier. Lui au moins sait que son parti a la majorité mécanique et peut obtenir sans coup férir ce qu’il veut. L’opposition, sachant la stratégie, a réuni ses forces pour espérer contraindre le pouvoir à faire machine arrière. C’est ainsi que la coordination des partis politiques pour la défense de la constitution (CPDC) est née.
S’étant bien préparé aux aboiements des opposants, Déby et ses proches militants et proches parents ont recouru à la politique de l’autruche faisant fi des critiques sensées… La constitution fut modifiée le 5 juin 2005, balisant ainsi le terrain à l’ultime objectif, le troisième mandat.
IDI savait pertinemment que des fortes pressions allaient s’exercer (de l’intérieur et de l’extérieur) sur son gouvernement. Mais obsédés par l’objectif qu’ils se sont fixé, les amis de Bamina ont juré de ne laisser la moindre place ni à la négociation, au dialogue.
Pour ce faire un noyau dur et inflexible est créé pour mener le bateau à bon port. Les militants modérés et bienveillants ont été rendus zélés, ceux qui n’approuvaient pas l’option ont été contraints à la dissidence. L’épurement politique fait, il faut organiser et gagner les élections le plus vite possible.
L’opposition et la société civile, espéraient voir le MPS reculer en multipliant communiqués et conférences de presse assortis de critiques et autres propositions concrètes. Elle a publié un mémorandum aux lendemains du référendum de juin 2005. Ce document sera lu, froissé et jeté à la poubelle pour la simple raison qu’il exigeait précisément ce que Déby ne voulait point entendre : « Reprendre le recensement électoral, revoir la composition de la Commission Electorale Indépendante (Ceni), retoucher le code électoral, le tout pour déboucher sur des élections libres et transparentes « . Pour gagner son temps et faire perdre celui des opposants, IDI s’est toujours déclaré ouvert au dialogue. Il a promis de créer un cadre de discussion nationale avec la CPDC et le Far. Mais c’était juste une ruse pour prendre au dépourvu la bande d’Ibn Oumar Mahamat Saleh.
Pas de dialogue
Une autre voix discordante s’est ajoutée à celle de la CPDC en fin 2005. Il s’agit des désertions massives intervenues au sein de la défunte Garde présidentielle, les attaques rebelles du RDL et le bras de fer avec la Banque mondiale. C’était pour beaucoup l’occasion d’obtenir l’ouverture du dialogue. Malheureusement pour ceux-là, rien ne fut fait. Toutes les critiques et propositions de sortie de crise faites à l’endroit du pouvoir Déby n’ont pas eu raison de son «jusqu’au boutisme» érigé en approche politique. Ni l’attaque rebelle du 13 avril, ni le boycott de la CPDC n’ont pu arrêter la machine MPS. L’élection présidentielle devant consacrer IDI président du Tchad pour un troisième mandat s’est déroulée dans le calme et l’indifférence. L’objectif est donc atteint quels que soient les moyens employés. Maintenant mesurons les conséquences de cette marche unidirectionnelle. L’économie du pays a pris un coup sérieux au regard du départ massif des capitaux et des investisseurs étrangers qui ne sauraient s’accommoder des bruits de bottes. Combien de temps et d’efforts nous faudra-t-il pour convaincre ces gens de revenir chez nous ? Les pertes humaines sont inimaginables étant entendu que les belligérants ne donnent jamais le vrai bilan. Sommes-nous prêts à accepter d’autres combats comme ceux du 13 avril qui ont emporté dans chaque camp plusieurs centaines de nos compatriotes ? Sommes-nous prêts à voir N’Djaména notre capitale se vider de sa population qui n’aspire qu’à la quiétude ? Au nom du Tchad, berceau de l’humanité et non de l’animalité que le pouvoir, premier responsable du devenir du Tchad, réalise que les hommes forts et courageux ne sont pas ceux qui passent leur vie à s’inviter au combat mais plutôt à se parler chaque fois qu’un conflit survient.
Antoine Adoum Goulgué
Le Temps N° 479 du 17 au 23 mai 2006