Comment faire pour sauver le Tchad? – Le Temps N° 485 du 28 juin au 04 juillet 2006

Il est temps de compren­dre que l’existence des partis politiques, de la société civile et de la presse, ne cons­titue qu’un habillage nécessaire à un pouvoir clanique qui les positivent pour avoir la carte du club des pays normaux en voie de démocratisation. L’opinion internationale qui est la seule tribune à laquelle tout le monde s’adresse pour se plaindre des actions négatives des pouvoirs africains, et tenter d’obtenir la pression nécessaire â plus d’ouverture, comptera d’abord sur les conseils de la France. Cette dernière, qui est en vérité la tutrice de beaucoup de pays francophones, don­nera un avis sur ce qu’il convient d’ad­ministrer au Tchad de 2006. Les lignes sont déjà tracées:

  1. Sauver le régime de Déby qui apparaît comme le seul capable de maintenir un minimum de stabilité face à ce désordre des ethnies qui s’entretuent sous couvert de rébellions et au nom du Tchad. Ce point est es­sentiel au dispositif choisi.
  2. Obliger Déby à négocier, à plus d’ouverture politique, en un mot à as­socier les autres à la mangeoire comme au Gabon où Bongo sait si bien le faire dans ses rencontres avec l’opposition gabonaise à Paris;
  3. Il n’y a pas beaucoup de consé­quence pour le pouvoir de Déby si l’ouverture pourrait se limiter à la transparence des élections législatives futures comme le demande les Améri­cains et l’opposition politique;
  4. Le choix d’un Premier Ministre, soit-il de l’opposition, ne change en rien à la réalité du pouvoir; il n’existe pas une règle de répartition du pou­voir à la tête de l’exécutif au Tchad. La constitution instaure un régime prési­dentiel. Déby est le seul qui gouverne. Ce n’est pas Moungar qui me démen­tira.

Ces quelques points, qui semblent constituer le canevas des négociations, vont déterminer l’avenir du Tchad à moins que les évènements militaires sur le terrain n’apportent de change­ments majeurs avec leurs incertitudes. Comme les élites, les partis politiques doivent se résigner et faire avec cette dure réalité de notre pays.
Les élites

On est quelque fois tenté de se po­ser la question s’il existe des intellec­tuels, des élites au Tchad. Le silence de ceux qui sont sensés indiquer la porte de sortie et les voies de solu­tions est tellement affligeant qu’on se demande si ce pays qui manque de tout, manque aussi des lumières pour l’aider à sortir des ténèbres. Est-ce une fatalité ?

Non, le Tchad regorge d’intellec­tuels valables maîtrisant parfaitement leur domaine de formation. Ils détien­nent pour beaucoup, des diplômes de grandes écoles. Les formations acqui­ses peuvent les aider à comprendre ce qui se passe dans leur pays et à es­sayer des solutions. Le problème ré­side sur leur manque de courage, leur refus du sacrifice, leur fort désir de vivre le luxe, leur volonté d’accéder à un niveau social acceptable. Gagner sa vie par le salaire, surtout le maigre sa­laire de l’unique gros employeur qu’est l’Etat ne suffit pas pour satisfaire tous les désirs. La maison décente, la belle vie, la femme de son coeur, la voiture climatisée, les beaux habits, le nom et les honneurs, ne s’acquièrent facile­ment que par d’autres voies.

La voie la mieux indiquée est la po­litique ou quelque chose qui serait si­milaire. Il s’agit de se mettre à 1a dis­position de celui qui a le pouvoir de nommer aux hautes fonctions civiles et militaires, fonctions qui permettent l’accès aux ressources ou de faire le plein des urnes lors des élections pré­sidentielles. Les cadres sont de deux sortes même s’ils ont les mêmes pré­occupations. Ceux du Sud du Tchad, qui sont les plus nombreux dans tous les domaines scientifiques, n’ont pas la capacité de mobiliser leurs parents très avertis à accepter de soutenir le pouvoir en place. Ils utilisent leur ca­pacité intellectuelle en se portant mer­cenaires dans leur propre pays pour rédiger  » l’habit juridique, administra­tif et scientifique qui fait la parure dé­mocratique, Républicaine et Etatique  » de ceux qui gouvernent. C’est eux qui rédigent les textes, la Constitution et ses différentes modifications pour une rédaction qui conviennent à celui qui Règne.

Ce sont eux qui font les fiches et le semblant d’administration à la Prési­dence et à la Primature. C’est toujours eux qui donnent la forme aux élections à travers la CENI et le Conseil Consti­tutionnel. C’est encore eux les souf­fleurs à l’oreille du Chef pour le con­seiller sur ce qu’il convient d’adminis­trer comme traitement à tel ou tel autre cadre rebelle du Sud ou telle région méridionale qui refuse de se soumet­tre au pouvoir. Ils sont gracieusement payés. Poste de responsabilité, Prési­dence, Primature, Gouvernement, Grand projet juteux. Ils ne s’arrêtent pas à leur activité individuelle, ils ten­tent aussi de s’identifier en chef de fil de telle ou telle ethnie. Chose que le Sud ne connaissait pas.

Pour ce qui concerne les cadres du Nord, la situation n’est pas très diffé­rente mais il y a quelques nuances. Ils sont en plein dans la complicité et le jeu dangereux qui consiste à préserver à tout prix le pouvoir au Nord, aux musulmans comme si les Sudistes sont faits pour être gouvernés. Ils se tai­sent et ne réagissent pas aux graves destructions du pays commises par le pouvoir qui est censé être le leur. La prétendue unité du Nord, dont la fa­çade est peinte par la culture arabo­musulman qui est le patrimoine com­mun du Nord, les empêche de dire la vérité, de refuser l’injustice et de refu­ser se rendre complice de ce qu’ils n’ont pas commis. Et pourtant Dieu le tout puissant seul sait ce que leurs parents vivent comme misère, injustice, humi­liation, assassinats et autres traite­ments cruels inhumains et dégradants. Le pouvoir lui-même châtie durement les cadres du Nord qui se mettent à critiquer le pouvoir du Nord. Ils sont traités comme des traîtres. Le premier châtiment est celui de les mettre à l’écart loin de tout poste de responsa­bilité, ils doivent être clochardisés pour mieux réfléchir dans l’avenir. Tout est réduit à l’accès aux ressources. Beau­coup de cadres qu’ils soient du Nord ou du Sud ne supportent pas d’être demis de leur poste de responsabilité. Ils ne sont pas très résistants aux  » carêmes « .

Un autre fait, que les cadres, sur­tout ceux qui traînent dans les cou­loirs du siège du MPS à Djambal Bahar à la recherche d’un poste de responsa­bilité, n’ont pas compris. Le pouvoir ne choisit pas ceux qui ont beaucoup des parents militants du MPS, mais il choisit ceux qui n’ont rien ; ceux qui ne peuvent pas constituer des regroupe­ments ethniques autour d’eux et qui serait dans l’avenir dangereux. Tous ceux qui ont la capacité d’être des lea­ders de leur région ou qui commettent l’erreur d’organiser chez eux des re­groupements ethniques importants ou qui ont le tort d’être estimé par leurs parents sont automatiquement écar­tés. Il est facile de lire cette pratique à travers le choix des Ministres et autres responsables haut placés. L’instabi­lité gouvernementale est tributaire de cette pratique. Beaucoup n’ont pas compris. Il s’agit de ne pas permettre l’éveil des consciences des populations tchadiennes face à l’hégémonie des clans armés qui se succèdent au pou­voir et qui prennent en otage toute la population tchadienne. Les discours différents qu’il s’agisse des cadres du Sud (on leur parle de l’unité du pays) ou des cadres du Nord (attention aux Kirdi ennemis de notre règne). On continue à nous maintenir dans cette situation qui est pire que l’esclavage.

Elle nous abrutit et nous moule dans la réflexion de chacun pour soi, de la langue de bois, de l’hypocrisie, de la survie et de la recherche du pain à tout prix. Ces situations font que le Tchad n’a pas d’élites. Je suis de ceux qui osent dire ce qu’ils pensent. C’est ma nature. Je n’arrive pas à la contenir. Ou je parle maintenant ou mes enfants seront trai­tés dans la logique de leur Ethnie. Les élites doivent se réveiller. Prenons quel­ques jours de carême de la vie facile pour exprimer honnêtement ce que nous vivons. Extériorisons ce qui est en nous ; ce que tout le monde sait et tait. On est tous condamné à payer le prix.
Il n’ y a pas de conclusion sur ce qui se passe au Tchad tant qu’on n’ar­rive pas à des solutions. Personne n’a choisi d’être tchadien. C’est la coloni­sation et le destin qui ont voulu que ça se passe comme çà. Si on ne fait rien, les Tchadiens doivent se contenter du minimum. S’ils veulent un véritable changement, une République des ci­toyens, individus dotés des droits et des obligations, une véritable unité na­tionale dans le respect des diversités et de la dignité de chacun, un pays comme les autres avec ses règles, pas des clans armés, ils doivent eux mê­mes payer le prix qui convient. Celui du sacrifice de tous. Les efforts par­cellaires ne paient pas. L’issu des né­gociations politiques entamées avec Déby et les siens qui ont compris qu’ils sont pour le moment l’alternative choi­sie, qu’ils continuent à maintenir fer­mée la cage dans laquelle sont enfer­més les autres Tchadiens, dépend en grande partie du rapport des forces en présence. L’opposition politico-mili­taire ne changera rien si elle n’occupe aucune parcelle du territoire, elle ne sera prise au sérieux que si elle sur­monte ses divisions ethniques et si elle occupe le terrain et s’unit pour le choix d’un seul homme crédible. L’opposi­tion démocratique et la société civile seront des arbitres dans une situation de neutralisation des forces. Elles im­poseront les règles classiques de la démocratie qui donne la parole au peu­ple. Les appels à la négociation enga­gée par le gouvernement n’apporteront pas grand chose. Le régime veut soli­difier la légitimation par la participa­tion à ses cotés des Démocrates et ainsi, mettre la lutte armée à la vin­dicte internationale. Pour le moment, contentons-nous d’être gouvernés par l’extérieur et dominés par l’intérieur. Si on se tait, eh bien à chacun son mara­bout, son église et son féticheur.

Ahmat Mahamat Hassan (Juriste et doyen de la faculté de droit de l’Université Adam Barka d’Abeché)
Le Temps N° 485 du 28 juin au 04 juillet 2006


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