Nomination aux douanes: La géopolitique à outrance – Le Temps N° 493 du 4 au 9 octobre 2006

Le ministre des Finances, de l’Economie et du Plan vient de nommer 26 agents des douanes à différents postes de responsabilités au niveau de la régie. Un acte dont la lecture suggère un fort sentiment de consécration, tout à la fois, de la géopolitique revancharde et de l’impunité érigées en règles de gouvernance par les tenants du pouvoir à N’Djaména.

Tous les chefs de circonscription, chefs de bureau, chefs de bri­gade, chefs de secteurs, titulaires et adjoints, nommés, par arrêté fin juillet 2006, aux commandes des services des douanes, dans les prin­cipales localités à fortes recettes du pays (Moundou, Fianga, Bol, Kélo…) sont originaires du septentrion. Le constat provoquera cer­tainement, et une fois de plus, une levée de boucliers d’une certaine caste de patriotes, irréductibles gardiens d’une unité tchadienne en marche et inattaquable et absolument réfractaires aux signaux con­traires émis par une réalité pourtant coriace. Une réalité qui révèle, justement, la quasi-privatisation des grandes institutions et régies de l’Etat par le septentrion tchadien, rendant compte de cette géopoliti­que revancharde et compresseur, indécemment affirmée, dont les te­nants essaiment dans les hautes arcanes du pouvoir. Une géopoliti­que qui a permis pendant longtemps de surcharger les amphithéâtres de la faculté de médecine, de l’Enam, des instituts et autres écoles professionnelles de l’Etat d’analphabètes désespérément improduc­tifs. Une géopolitique, enfin, qui vient d’être déployée, encore une fois, à travers cet arrêté du tout puissant ministre des finances et digne fils du septentrion, Abbas Tolli.

Un autre constat, fait de cet arrêté, et qui prend à la gorge, beau­coup plus que les aigreurs géopoliticiens qui s’en dégagent, est la nomination, comme chef de secteur mobile du BET, d’un certain Teguene Sergouno (n° 18), en poste, l’année dernière, à Sarh où il a proprement zigouillé, et en plein jour, un paisible commerçant yéménite exerçant depuis longtemps dans la localité. Brièvement empri­sonné, le meurtrier s’est fait la belle à l’occasion d’une rocambolesque évasion dans laquelle un jeune magistrat, substitut du procureur au moment des faits, est accusé d’avoir trempé et simplement radié du corps. Teguene Sergouno, lui, a disparu du côté des grottes à rebel­lions de l’Est tchadien, histoire certainement de se refaire une petite virginité et de resurgir, comme maintenant, avec une promotion. Exit les fortes déclarations et les gesticulations faites autour de cette triste affaire par les plus hautes autorités de la République.

L’affaire Teugene est en passe d’être scellé par le sceau de l’impunité, consacrant, par son caractère flagrant et indécent, une coutume qui semble avoir inté­gré depuis longtemps les règles de gestion du pouvoir au Tchad. Les multiples détournements des deniers publics, la mise en sac répétés des entreprises de l’Etat et des grands projets financés avec des mil­liards empruntés aux bailleurs de fonds, les assassinats crapuleux des citoyens illustres comme Me Joseph Béhidi ou de ceux qui le sont moins comme Maxime Deoudjéboula, Mbailaou ou autres Mahamat, sont des exemples de crimes économiques et crimes tout court impu­nis qui sont encore vivaces dans les mémoires et qui édifient sur la nature du pouvoir qui gouverne le peuple tchadien. Ce pouvoir a beau décréter la fin de l’impunité, organisé les Etats généraux de la justice et exprimé sa volonté de s’investir pour que cette justice fasse pleinement et impartialement son travail, crée un ministère du con­trôle d’Etat et de la moralisation, les faits, comme cette affaire Teguene Sergouno, sont là qui montrent qu’il y a une absence de volonté politique de changer réellement les choses. Et il tombe sous les sens que tant que cette volonté manquera, des assassins patentés et pro­mus comme Teguene feront des émules et le Tchad végétera dans un système d’impunité ou le menu fretin sera toujours sacrifié sur l’autel du pardon aux grands filous et malfrats qui continueront de rouler carrosse, au nom d’une géopolitique mal pensée assaisonnée tout à la fois au régionalisme, clanisme, clientélisme. Les citoyens continue­ront alors d’explorer l’option de se faire justice eux-mêmes, personnel­lement, ou d’alimenter les rangs des rébellions dans l’option, plus globale, de détruire ce système d’impunité.

Kodkandji
Le Temps N° 493 du 4 au 9 octobre 2006


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