Le 5ème Schéma de Joël Oulatar – Une proposition acceptable et discutable – Le Temps N°496

La proposition de M. Oulatar porte sur des modifications à apporter à la Constitution pour introduire des dispositions relatives à la limi­tation du pouvoir de l’exécutif au Tchad. Il pro­pose:
L’institution d’une seconde chambre du parlement;
L’élection du président au suffrage uni­versel indirect;
Le mandat présidentiel de sept ans avec une évaluation à mi parcours;
Nomination à certaines fonctions après avis du parlement;
Suppression du poste de Premier Minis­tre;
Suppression du conseil hebdomadaire des Ministres et détermination du nombre des ministères aux dénominations précises dans la constitution.

I. Sur l’institution d’une deuxième chambre du parlement

Le parlement est une institution représenta­tive et délibérative; représentative par sa com­position et délibérative par son mode de tra­vail. C’est en assurant la représentation des populations que le parlement s’est progressi­vement imposé dans les institutions politiques. La qualité représentative du parlement com­mande à son tour le procédé de la délibération comme méthode de travail, qu’il s’agisse de consentir à l’impôt, de voter la loi ou de con­trôler l’exécutif. L’institution parlementaire a joué un rôle très décisif dans la démocratisa­tion des régimes politiques en Europe. C’est l’institution parlementaire qui a permis à l’exé­cutif de s’affranchir de la tutelle du pouvoir royal, d’où est résulté le régime parlementaire. La structure générale du parlement varie d’un pays à un autre.

Le bicamérisme s’impose en France en 1875 avec le Sénat comme « grand conseil des communes de France » selon la formule de Gambetta; avec des tentatives de remise en cause en 1946 et en 1969.

Le parlement est plus puissant dans le ré­gime présidentiel américain que dans les dif­férents régimes parlementaires européens; n’ayant pas à soutenir un gouvernement et sous­trait à la menace de la dissolution, le congrès américain peut consacrer tous ses moyens qui sont considérables à faire valoir une puissance parlementaire dont le président éprouve cons­tamment la vigueur. La tradition politique américaine semble de plus en plus attirer les élites des pays africains qui sont confrontés à la prééminence de l’exécutif sur la vie de la nation. L’institution d’un parlement puissant et capable d’instaurer un équilibre dans l’exercice des pouvoirs à la tête de l’Etat est le souci premier des pays confrontés à l’ap­propriation des pouvoirs par l’exécutif.

Lors de la Conférence nationale souve­raine, et pour répondre au souci de limiter les pouvoirs excessifs de l’exécutif qui sont le plus souvent concentrés entre les mains d’un seul individu, les délégués avaient choisi de mettre un parlement composé de deux chambres. Une assemblée nationale élue au suffrage universel direct et un Sénat élu par les élus locaux. Mais les pouvoirs du parle­ment étaient limités et liés à la tradition po­litique française qui ne voyait la puissance de la représentation nationale s’exprimer que dans la possibilité de non-coïncidence de la majorité. Le parlement serait puissant si le parti présidentiel au pouvoir n’obtient pas la majorité à l’assemblée. L’autre limitation, toujours tirée de la tradition européenne, est que le président a la possibilité de pronon­cer la dissolution de l’assemblée. Le contexte politique actuel au Tchad n’annonce aucune probabilité pour le parti au pouvoir de per­dre la majorité.

Malgré les limitations, la dernière modi­fication constitutionnelle a supprimé la se­conde chambre qui devait représenter les col­lectivités décentralisées et renforcer le pou­voir parlementaire au Tchad.

Instaurer une seconde chambre du parle­ment est une bonne chose. Mais son utilité et son efficacité dépendent de plusieurs fac­teurs :

  • Le sénat et l’assemblée ne doivent pas subir la menace de dissolution;
  • Le sénat doit être l’émanation de la na­tion ou des élus locaux si on devait con­server la décentralisation; c’est par souci de représentativité et de légitimité que l’auteur de la proposition a préféré le sys­tème de corporation ( magistrats, société civile et chefferies traditionnelles).

Ces corporations elles même sont telle­ment handicapées par des problèmes inter­nes qu’on ne pourrait pas évoquer ici. Elles ne peuvent pas répondre efficacement au souci de la représentativité et de l’efficacité. La séparation des fonctions, des missions et des pouvoirs est nécessaire. Il est évident que le suffrage universel ne donne pas pour le moment en Afrique de garantie suffisante de représentativité, le collège électoral n’existe pas en réalité, c’est par des voies ethniques, tri­bales, régionales et religieuses que les gens vo­tent ; mais cela ne doit pas nous conduire à oublier les règles de la démocratie qui devaient s’ancrer petit à petit dans nos pratiques politiques et con­tribuer à l’unité du pays.

Il faudrait que le SENAT participe aux com­pétences du parlement. Un bicamérisme égali­taire entre le SENAT et l’Assemblée est néces­saire.

II. L’élection du président de la Républi­que au suffrage universel indirect

L’élection du président au suffrage universel in­direct est une proposition qui n’est pas nouvelle au Tchad. Le président Tombalbaye a été élu Premier Ministre et en suite président par un col­lège composé des chefs traditionnels et des élus. Cette procédure est souhaitée pour la recherche d’une plus grande représentativité du président car le suffrage universel direct, comme ce qui se pratique actuellement en Afrique, n’est pas assez suffisant pour ga­rantir une large représentativité et une expression réelle de la majo­rité. Cette proposition nous sem­ble assez logique dans le sens de faire du parlement le véritable dé­tenteur du pouvoir souverain du peuple. Le Président qui ne sera plus élu directement par le peuple sera dans une situation de contra­diction, de dépendance et même de subordination vis à vis du par­lement. Il y a un risque qu’il ne faut pas perdre de vue. Le parti au pou­voir et le Président peuvent tout mettre en oeuvre pour faire desti­tuer et nommer des chefs de can­tons et autres sultans à leur dévo­tion. Les élections et les trucages qui sont habituels peuvent égale­ment donner des élus à majorité partisans du parti dominant. Cette pratique peut rendre la proposition très faible.

L’autre remarque est qu’il ne faut pas trop affaiblir le Président dans une logique parlementaire très instable et insupportable pour la construction des nations faibles et instables comme le Tchad. Le parlementarisme n’est pas très adaptable aux pays africains.

III. Un mandat présidentiel de sept ans

Je pense que la proposition est très bonne. Elle est de nature à garan­tir la stabilité et la réalisation des projets politiques dans des pays en construction. Il ne faudrait pas soumettre le président à une éva­luation à mi-parcours; elle le place dans une situation d’obligation de résultat qui n’est pas applicable en politique. La réalisation des pro­jets politiques, sur la base desquels le président est élu, est une prati­que des pays des démocraties éta­blies. Pour les pays en construc­tion et des sociétés déchirées comme le Tchad, le réalisme veut qu’on laisse une liberté d’action au Président. C’est logique avec la proposition de donner la liberté au président d’organiser son travail au lieu de l’astreindre à des conseils hebdomadaires des Ministres.

IV. Nomination aux hautes fonctions civiles et militaires après avis du parlement

Cette proposition est la bienve­nue. Elle est faite pour la recher­che de l’efficacité et de l’objecti­vité dans le choix des hommes et des femmes aptes à servir effica­cement leur pays. La constitution actuelle, si elle est bien appliquée, résout le problème. Les réalités du pays, notamment la transforma­tion de l’Etat et de ses services en moyens d’accès aux ressources, font que les postes de responsabi­lités deviennent un enjeu impor­tant et un moyen de Gouvernance et d’achat de conscience des élites et des populations. Le règne des analphabètes, des incapables et des incompétents dans tous les rouages de l’Etat se base sur des éléments suivants: Les gens du Nord estiment que l’élite du pays est constituée des gens du Sud qui maîtrise l’administration et qui sont favorisés dans ce domaine par rapport au Nord. Il faut combler ce déficit par le choix des Nordis­tes peu importe qu’ils soient pour certains mal formés ou pas du tout formés. La dose sera réglée par le choix d’un adjoint du sud.

L’autre raison est basée sur le fait qu’il faut monnayer les postes à tous ceux qui s’opposent au pou­voir. Les contestations sont tradui­tes par une expression de misère. Le pouvoir pense, et quelques fois avec raison, que ceux qui contes­tent ou qui se rebellent sont des gens qui demandent à manger. Les accords se terminent toujours par  » participer à la gestion de la chose publique » ; ce qui se traduit par nommer nos cadres et militants à des postes de responsabilités.
En attendant de changer cette pratique, il faut une transition dans les modes de désignation des res­ponsables.

V. Suppression du poste de Premier ministre

La proposition va dans la logique de l’auteur d’instaurer le parlemen­tarisme. Il est évident que si le pré­sident est l’élu des élus, il est sou­mis à l’autorité de ceux qui tirent leur légitimité directement du peu­ple. Dans ce cas on n’aura pas be­soin d’un chef de Gouvernement issu de la majorité parlementaire. Dans la pratique, on observe que le poste de Premier Ministre au Tchad n’a pas de rôle important à jouer. Contrairement à ce qui se passe en France qui nous inspire, le Premier Ministre au Tchad n’a qu’un rôle protocolaire sans aucune importance. Les articles 13 et 21 de la Constitution fran­çaise de 1958 instaurent un par­tage des pouvoirs entre le Premier Ministre et le Président de la Ré­publique en matière de nomination et du pouvoir réglementaire. La constitution tchadienne n’accorde aucun pouvoir au Premier Minis­tre et aucun acte n’a été pris pour mettre en application les maigres dispositions de l’article 10 1 et dé­terminer les domaines d’action du Premier Ministre. Pendant la tran­sition, le Premier Ministre MOUNGAR a demandé le décret définissant ses domaines de com­pétence ça n’a pas été possible.
Nous convenons avec l’auteur de la proposition qu’il faut suppri­mer le poste de Premier Ministre. Le partage de pouvoir n’est pas concevable dans la situation du Tchad.

VI. Listing des ministères importants dans la Consti­tution

C’est une bonne chose que de rechercher à Constitutionaliser certains départements Ministériels par souci de stabilité. Mais il ne faut pas perdre de vue que la dé­nomination des Ministères doit en principe répondre aux priorités du pays en fonction des époques et des besoins du pays. On peut à un moment donner la priorité à la Sécurité et instaurer un départe­ment à part entier indépendant du Ministère de l’intérieur; tout comme les infrastructures et les travaux publics, les affaires étran­gères et la coopération, l’adminis­tration du territoire et la décentra­lisation. Je pense à mon avis qu’il va falloir donner au Gouverne­ment la latitude de dénommer les départements. Dès l’instant où on parle de contrôle périodique il faut chercher le rendement et l’effica­cité.

Ce qu’on peut tirer de la proposition

  • La proposition instaure un parlementarisme fort avec une sorte de partage des pouvoirs dans la recherche d’un équili­bre entre l’exécutif et le légis­latif. Est ce une solution pour le Tchad? Comment la rendre applicable?
  • La proposition fait de l’exer­cice du pouvoir comme ça doit l’être, une affaire de l’applica­tion des règles. La Constitution devient le mode d’emploie du pouvoir. Serait-il possible au Tchad? L’exercice constitu­tionnel est-il possible au Tchad ?
  • Le pouvoir exécutif fort con­quis par d’autres voies accep­terait-il pour une simple re­cherche d’habillage juridique de faire cette concession et d’accepter de partager le pou­voir?
  • Les partisans de cette propo­sition qui pourrait aboutir à un canevas de négociation, ont-ils la capacité politique et la pres­sion nécessaire d’amener le pouvoir à accepter des solu­tions par des voies institution­nelles ?
  • La communauté internatio­nale qui s’échine à instaurer la stabilité politique par la re­cherche du consensus et des équilibres dans l’exercice du pouvoir saisirait-elle cette proposition?

Dans tous les cas, et quelles que soient ses faiblesses et limites, la solution par la voie institutionnelle est mieux que la voie militaire.

Ahmat Mahamat Hassan, juriste et doyen de la faculté de droit de l’Université d’Abéché
Le Temps N°496 du 25 au 31 octobre 2006


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