Yorongar. Si le Far refuse de se prêter à ce jeu digne de Chariot, c’est parce qu’il n’a pas été créé pour amuser la galerie – L’Observateur N° 377 du 24 mai 2006
Yorongar Ngarléjy, Président de FAR/parti Fédération et les autres partis regroupés au sein de la CPDC avaient on se rappelle boycotté les élections du 3 mai. Alors que la CENI vient de déclarer Déby vainqueur de ces élections, que fera donc l’opposition. Nous nous sommes rapprochés du chef de file des fédéralistes. Non seulement il remet en cause ces élections, mais s’est attaqué à certains français qui joueraient aux pyromanes.
Ngarléjy Yorongar: La seule lecture qu’un homme responsable ou une femme lucide peut faire de cette comédie électorale du 3 mai 2006, c’est que le ridicule ne tue pas Idriss Déby, ni ceux qui, comme Jean-Pierre Berçot, le poussent à cette farce et qui le soutiennent. Si le Far/Parti Fédération refuse de se prêter à ce jeu digne de Charlot, c’est parce qu’il n’a pas été créé pour amuser la galerie en accompagnant Idriss Déby aux élections comme le font certains depuis 1996, mais pour participer comme en 2001 et gagner l’élection comme le prévoit l’article 2 de ses statuts.
Maintenant comment, vous même et l’opposition en général, entendez-vous envisager l’avenir dans un pays où l’espace démocratique se réduit de plus en plus?
N.Y: Pour nous, il n’y a jamais eu d’élection présidentielle le 3 mai 2006. Nous profitons de l’occasion pour rappeler à la communauté internationale que les propositions que nous lui avions remises en mars dernier restent et demeurent toujours valables: proroger le mandat d’ Idriss Déby de six mois pour permettre à cette communauté internationale de nous faire un recensement général des populations du Tchad d’où sera dégagé le recensement électoral incontestable; de procéder, avec l’aide de cette même communauté internationale, à un toilettage du code électoral qui était, du reste, taillé en 2002 sur mesure d’Idriss Déby, ceci afin que les élections qui en seront issues ne souffrent d’aucune contestation et enfin il va falloir organiser des élections couplées (présidentielle et législatives) de manière transparente et ce, sous la supervision de cette communauté internationale à l’image des élections qui viennent de se dérouler en Haïti, aux Comores etc. Voilà ce que les Tchadiens attendent impatiemment de la communauté internationale et rien d’autre. Imaginer, comme le chuchote cette communauté internationale, une solution à la togolaise qui consisterait à valider cette comédie électorale, à amener le gouvernement et son opposition à dialoguer pour parvenir à un accord aux fins d’organiser les législatives ? Ce serait un crime contre l’humanité parce que l’on veut fermer les yeux sur les vrais problèmes du Tchad et les vraies solutions. Le gouvernement togolais n’a pas en face de lui des rebellions armées comme c’est le cas au Tchad. Si l’on ne tient pas compte de cette donne dans la résolution du problème tchadien, c’est qu’on incite à la guerre fratricide au Tchad. Pour quel intérêt?
M. le président, pour revenir un peu en arrière, vous avez boycotté ces élections et beaucoup de choses ont été dites à ce sujet, mais est ce que vous pensez que cette méthode est payante avec Déby ?
N Y: Le boycott n’est pas une arme efficace. Même dans les vieilles démocraties. Mais si nous sommes arrivés à bouder l’élection de 2006 alors que nous nous sommes préparés pour affronter Idriss Déby afin de le battre à plate couture comme en 2001, c’est tout simplement, parce que nous ne ressemblons pas à ceux qui, pour une mie de pain, vendent leur langue au chat pour l’accompagner comme faire-valoir.
C’est vrai que Déby a vicié les élections, mais on oublie le rôle très important joué par la France dans cette affaire. Qu’est ce qu’il en est au juste ?
N Y: Nous n’accusons pas la France, mais ceux qui agissent en son nom. Dans la bible, il, est dit ceci: « Oh mon Dieu, que n’a-t-on pas fait en ton nom! ». Cette épître est aussi valable pour la France. Oui, que n’a-t-on pas fait au nom de cette pauvre, respectable et respectée France? Ce que font, par exemple, les Ambassadeurs français au Tchad depuis l’ère démocratique au nom de la France l’engage bien sûr, mais il faut faire la part des choses. La France n’a pas dit aux esclavagistes français d’exporter des Africains comme des bêtes de somme aux Antilles ou en Amérique pour les vendre. La France ne dit pas aux colons de remplacer l’esclavage par la colonisation parce que ça résonne mieux à l’oreille. La France n’a pas dit aux colons des années 60 qu’il faille remplacer la colonisation par l’infantilisation des Africains et autres habitants des possessions françaises d’Outre mer. Le comportement d’un certain André Janier, Ambassadeur de France au Tchad ou d’un autre individu comme Jean-Pierre Berçot n’a rien avoir avec la France que nous connaissons et qui mérite respect et admiration. M. Jean-Pierre Berçot, par exemple, est venu au Tchad pour deux raisons essentielles: premièrement, tordre le cou aux acteurs politiques, à la presse et à la société civile avant de faire réélire Idriss Déby. Rappelez-vous tout simplement que son prédécesseur, Janier, pilotait avec Idriss Déby et Vidal Kamougué notre arrestation et séquestration et relégation au bagne de N’Djaména(vous-même, Polycarpe Togomissi et moi-aussi) par le procureur Koullamallah et le juge Ousman en juin 1998 aux motifs de la prétendue diffamation. Rappelez-vous aussi de la déclaration du sieur Jean-Pierre Berçot à la veille de l’arrestation de M. Garondé Djarma, Samoryngar Ngaradoumbé, Michael Didama et vous-même. Et rappelez-vous enfin des injures que ce Jean-Pierre Berçot profère dans son rapport adressé aux vingt et cinq (25) Etats membres de l’Union Européenne. Croyez-vous que les Français ou les Européens aux noms desquels Jean-Pierre Berçot agit ainsi sont d’accord avec lui ? M. Jean-Pierre Berçot comme tant d’autres se croit encore dans les années 50-60. Il se croit encore aux Comores avec son célèbre et ami Bob Denard. Tenez, lors de la rencontre de FAR/Parti Fédération et de la Cpdc, le 29 avril 2006, avec la délégation de l’Union Européenne conduite par S EM. Georg Lennkh, Ministre des Affaires Etrangères de la République Autrichienne, M. JeanPierre Berçot a tenté de m’empêcher de parler. Devant cette impolitesse caractérisée, nous lui avions rappelé vertement les bons usages dans de telles circonstances avant de lui interdire formellement d’élever le ton sur nous. Nous lui rappelions tout aussi vertement qu’il n’est plus dans les années 50-60 à jamais révolues. M. Berçot prend tout le monde pour ceux qui se vautrent dans son salon à la recherche des CFA. Mais, il se trompe. Ce n’est pas le cas de tout le monde. II y a parmi les Tchadiens, ceux qui se respectent et qui se font respecter. La France chevaleresque que nous connaissons ne va pas continuer à soutenir Idriss Déby au risque de faire abattre ses Mirages (avions de combat), d’exposer la vie de ses soldats, de livrer ses pilotes et ses militaires pieds et poings liés aux rebelles tchadiens comme c’est présentement le cas à l’est du pays ? La France ne peut pas continuer à faire une guerre qui ne la concerne pas. D’ailleurs, c’est en toute illégalité que l’ambassadeur engage l’armée française dans cette sale guerre. Pour preuve, l’article 4 de l’accord de 1976 invoqué à tort par celui-ci pour justifier la participation de la France à cette guerre dispose que les personnels militaires français mis à la disposition de l’armée tchadienne « … ne peuvent, en aucun cas, participer directement à l’exécution d’opérations de guerre, ni de maintien ou de rétablissement de l’ordre ou de la légalité… »
M. le Président, en dehors de la France ou de quelques français que vous accusez, il y a quand même des problèmes internes au Tchad, qu’est ce ça vous inspire, cette ethnisation ou clanisation des solutions au conflit tchadien qui épousent les contours des problèmes eux mêmes ? Car aujourd’hui les Zagawa ont créé le SCUD, Tama et arabes le FUCD, Dassert le MPRD, exclusivement sudiste, est ce une fédération militaire qui se prépare, vous qui êtes fédéraliste jusqu’à l’âme?
N Y: L’ethnisation ou la clanisation des rebellions auxquelles vous faites allusion est le fait d’Idriss Déby lui-même. Lorsque Hassane Djamouss, Idriss Déby et nous-même avions fomenté le fameux coup d’Etat militaire contre Hissein Habré, le 1er avril 1989, les deux se sont retirés au Darfour natal sans prendre le soin de me prévenir (lire à ce sujet : Tchad, le procès d’Idriss Déby, témoignage à charge de Ngarlejy Yorongar, Editions L’Harmattan, 2003 NDLR). Rappelez-vous que Idriss Déby est né à Kornoy dans le Darfour soudanais d’où est originaire son père.
C’est dans sa région natale de Tine soudanais qu’il a été rejoint par les Djibrine Dassert, Beassemal Nadjita, Ketté Nodji Moise, Maldom, Bada Abbas, Ousman Gam etc. Nous ne comprenons pas le parallèle que vous faites entre le noble concept fédéraliste que nous préconisons pour le Tchad et les rebellions à caractère ethnique qui pousse comme des champignons. Est-ce que les commandos rebelles (codos) qui écumaient la brousse du sud préparaient-ils le lit à la fédéralisation du Tchad? Est ce que la parcellarisation du Tchad en 1979 préparait-elle le lit à la fédéralisation? Est-ce les Etats-Unis, le Canada, l’Allemagne, la Suisse, le Nigeria etc. Sont-ils passés par la clanisation ou l’ethnisation pour en arriver à la fédéralisation? Nous vous laissons juge de vos déclarations. Mais, toujours est-il que la fédéralisation du Tchad s’imposera d’elle-même à une très brève échéance. Oui, le Tchad sera fédéral ou ne le sera pas. Tout comme l’Afrique d’ailleurs.
Venons-en à Déby. Il est élu et il ne fait pas de doute que la Cour constitutionnelle va confirmer les résultats. Qu’est ce qu’on peut attendre de ces élections pour l’avenir du Tchad ?
N Y: Ce qu’unanimement les Tchadiens attendent de cette prétendue élection du 3 mai 2006, c’est le chao. La peur du lendemain. C’est la somatisation du Tchad si la communauté internationale persiste et signe dans sa solution à la togolaise. Ce sera le crime de non-assistance à peuple en danger.
Les rebelles menacent toujours de venir et certains milieux français et américains ont pris langue avec eux. Est ce qu’on peut dire que la perspective immédiate reste la guerre ou le dialogue va t-il être finalement privilégié?
N Y: Idriss Déby dit qu’il n’est pas venu au pouvoir à N’Djaména par le billet d’Air-Afrique pour qu’il puisse se laisser battre par Yorongar à l’élection présidentielle de 2001. Selon sa propre logique, il ne peut quitter le pouvoir que par la voie par laquelle il est venu, c’est-à-dire celle des armes. Au lieu d’aider le Tchad à nouer le dialogue franc et honnête pour parvenir à une solution acceptable par tous les partis politiques, politico-militaires, société civile, la communauté internationale veut jeter l’huile sur le feu en prenant le Tchad pour le Togo. Pour nous et pour les Tchadiens, il faut faire table rase de cette bêtise électorale du 3 mai 2006, renouer le dialogue en vue d’un accord qui lie tous les politiques du Tchad au lieu de se livrer à des gesticulations qui conduiront fatalement au chao.
A votre avis, ce sera quel genre de dialogue qui sera proposé quand on sait que certains lieutenants de Déby, disent qu’ils s’accrocheront à leur projet de société?
N Y: Ces lieutenants d’Idriss Déby dont vous parlez sont les mêmes qui ont pris leurs jambes au cou pour fuir à Kousseri, le 13 avril dernier, quand les rebelles ont investi N’Djaména. A commencer par Idriss Déby lui-même qui s’est réfugié à la résidence de M. Jean-Pierre Berçot comme le rapporte si bien l’hebdomadaire français, Le canard Enchaîné, de la semaine passée. Ne croyez pas à ce qu’ils disent des bouts de lèvres. Les Tchadiens savent qu’ils sont militants d’Idriss Déby le jour, mais en réalité, la nuit venue, ils sont militants du Fuc de Mahamat Nour, du Scud de Yaya Dillo, du MPRD de Djibrine Dassert etc. Dès que les rebelles feront leur entrée à N’Djaména, vous les verrez à la première loge à leurs côtés. Ils étaient avec Goukouni puis avec Hissein Habré et ensuite avec Idriss Déby. Idriss Déby sait, au moins, pourquoi il les utilise pour se maintenir au pouvoir. Pour lui, c’est une question de vie ou de mort. En effet, c’est pour bénéficier de l’immunité due au chef d’Etat afin d’éviter les menottes aux mains pour divers trafics et divers crimes perpétrés ici et là qu’il les utilise. Voilà, c’est tout.
Je vous remercie M. le Président
ITW réalisée par Sy Koumbo Singa Gali
L’Observateur N° 377 du 24 mai 2006