UA: Les quatre vérités de Alpha – L’Observateur N° 383 du 5 juillet 2006

Banjul a relevé le défi; celui d’organiser 6 mois après Khartoum le 7e sommet de l’Union Africaine. C’est dans le flambant neuf Hôtel Sheraton construit en bord de mer dans un style totalement africain, que le sommet a été ouvert le samedi 2 juillet sous la conduite du Président en exercice, le président congo­lais Denis Sassou Ngesso et sous l’oeil bienveillant de celui de la Gambie, l’hô­te du sommet Dr Alhadj Yahyah A.J.J Jammeh.

La chaleur étouffante de ce mois de juillet, celle de la période d’hivernage en Gambie n’a émoussé en rien l’ardeur, la volonté et l’enga­gement des gambiens et de leur chef à rend­re belle la fête de l’Afrique.

En tout cas les gambiens ont mis les petits plats dans les grands. Des hôtels de haut standing à l’image de Sheraton, des villas de tous calibres, notamment des bungalows qui bordent le nouvel hôtel, des routes, l’aéroport international totalement refait; tout a poussé en quelques 5 mois comme du champignon; redon­nant une nouvelle allure à la capitale de ce tout petit pays d’Afrique de l’Ouest encastré dans le Sénégal. Banjul et ses environs, considérés déjà comme une ville propre a refait totalement ses toilettes. C’est donc une ville superbement relookée qui a accueilli les quelques milliers de délégués et de journalistes venus du monde entier pour ce sommet. Et ce 1er juillet, c’est donc un AJJ -Abdulaziz James Jukun- comme l’ap­pelle affectueusement les gambiens, fier de lui et de l’Afrique qui a accueilli ses hôtes dans un discours afri­caniste et engagé. Le discours le plus attendu et applaudi a été celui d’Alpha Oumar Konaré, président de la Commission Africaine qui a annoncé les couleurs de sa  » révolte  » en ouvrant les travaux des Ministres des Affaires Etrangères des Etats membres de l’Union réunis en Conseil exé­cutif les 28 et 29 juin pour préparer la confé­rence des Chefs d Etat et de gouvernement. Konaré, dans un langage dénué de toute diplomatie a annoncé en quelque sorte sa « déception ». « Je le dis aujourd’hui, mon enthousiasme pour le service de la commission s’émousse mais cela n’entame en rien mon engagement pour l’Union Africaine, pour l’intégration africaine, parce que hors de l’intégration africaine nos pays n’ont point de salut » a-t-il répété. Le Président de la Commission Africaine tout en relevant les progrès faits ici et là depuis 6 ans à l’UA, notamment sur les questions sociales dont l’approche genre, n’a pas manqué de fustiger le com­portement cyniquement conservateur de ses anciens pairs qui tardent à sortir de l’immobilisme pour prend­re le nouveau train mondial, qui n’est pas moins un TGV parce qu’il roule à vive allure et n’attend pas ceux qui avancent à pas de tortue. Alpha a dénoncé le micro-nationalisme qui empêchent les Etats d’aller vers une intégration véritable de l’Afrique et qui sclé­rose aussi l’organisation. Le président en rappelant que les chefs d’états africains prennent des décisions qu’ils n’appliquent jamais, notamment le cas de nombreux protocoles et conventions signés et non ratifiés dans beaucoup de pays – il a cité le cas du pacte de non-agression adopté en 2005 et ratifié par 2 pays seulement, la convention sur la prévention et la lutte contre la corruption par 14 pays ou encore le protocole relatif aux droits des femmes adopté en 2005 aussi et ratifié par 18 pays sur les 53-a demandé aux uns et aux aut­res d’éviter « la fuite en avant et de faire en sorte que nos décisions soient suivies d’actions ». La sortie mus­clée d’Alpha qui rappelle sans doute les relations très difficiles qu’il entretient avec certains chefs d’Etat, à propos notamment de certains dossiers dits sensibles – les cas du Togo et du Tchad où il a été presque dés­avoué par Obasanjo et Déby- ne l’a pas empêché de revenir sur la situation interne à la commission, notamment la question des dépenses exorbitantes qui auraient été engagées pour l’organisation de la réuni­on des intellectuels de l’Afrique et de la diaspora en 2004 à Dakar. Le président Konaré l’a dit à l’ouverture des travaux des chefs d’Etats, tout comme le 28 devant les ministres des affaires Etrangères que « incontestablement se sont posés des problèmes de management et où des règles de gestion n’ont pas été respectées (..) nous devons admettre nos erreurs en toute humilité ». Après cela Denis Sassou Ngesso qui dirigeait les travaux a reconnu les pertinences des propos du Président de la commission et a répondu en ces termes « Nous sommes interpellés par notre frère. L’amitié se nourrit également de la vérité ». Il faut souligner aussi qu’à l’ouverture de ce som­met, beaucoup de personnalités mondiales de premier ordre ont interve­nu, notamment Hugo Chavez du Venezuela chaleu­reusement applaudi, Hamednidjad de l’Iran, Kofi Annan, le SG de l’ONU qui intervient pour une derniè­re fois devant cette tribune, parce qu’il est à la fin de son dernier mandat. Kofi Annan qui a remercié le pays hôte et l’UA qui ont accepté de l’accueillir à ce sommet a reconnu lui aussi que depuis 10 ans des efforts sont faits dans beaucoup de domaines sur le continent « malheureusement le nombre d’africains qui vivent dans la misère continue d’augmenter. Le VIH/Sida continue de gagner du terrain, la sécurité alimentaire n’est pas acquise et le chômage des jeunes est tou­jours en hausse » avant de souligner qu »‘au Darfour, en Côte d’Ivoire, en Somalie et dans le nord de l’Ouganda les conflits ne sont pas réglés. Même là où il y a des élections, de nombreux gouvernements continuent de réprimer les partis d’opposition et de museler la pres­se. Beaucoup continuent de tolérer la corruption à grande échelle. Trop supportent que l’exploitation des ressources naturelles ne profitent qu’à un petit nomb­re ». Le Tchad n’était pas loin de ce schéma.

De Banjul, Sy Koumbo Singa
L’Observateur N° 383 du 5 juillet 2006


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