Un régime aux abois – NOTRE TEMPS N° 256 du 25 avril 2006
Le coup de force du 13 avril, le 7ème en l’espace de huit mois a failli, cette fois, donné le coup de grâce au régime moribond du président Idriss Déby Itno qui, depuis ne finit pas de décolérer. Tout le monde, à ses yeux, est devenu conspirateur. La Banque Mondiale, le Hcr, l’Union Africaine, le consortium pétrolier Esso, chacun en a pris pour son grade. Mais le principal accusé reste le Soudan. Que représentent en réalité ces menaces? IDI réussira-t-il à s’en sortir en détournant l’opinion internationale des vrais problèmes qui menacent non seulement la survie de son régime mais celle du pays qu’il a conduit au bord de l’abîme et de la sous- région menacée d’éclatement?
Déby peut-il mettre à exécution ses menaces? La réponse est effectivement non. Un non catégorique car seul un fou peut imaginer des choses pareilles or, même affolé à l’idée d’une perte presque imminente de son pouvoir, Déby reste encore suffisamment lucide pour se dire que tout n’est pas encore perdu et qu’en manoeuvrant habilement il peut se trouver une porte de sortie honorable. Par ailleurs, même s’il voulait le faire, on se demande bien où est-ce qu’il en trouverait les moyens.
Couper les vannes et interrompre la production pétrolière c’est une idée bien normale pour un homme habitué à ne jamais tenir parole, à se désengager dès lors qu’une situation vienne à contrecarrer sa soif inaltérable d’argent et à représenter une quelconque menace pour son pouvoir. Mais s’en prendre aux intérêts d’un major comme Exxon dont le chiffre d’affaires est de loin supérieur au budget annuel d’un pays comme la Suisse, c’est ignorer qu’il a des moyens de représailles, une force de frappe capable de nuire. Le régime de Déby ne tiendrait pas une semaine après une telle décision, a dit un expert. Renvoyer les 200 000 réfugiés Soudanais installés à l’Est du Tchad chez eux ou dans un autre pays d’accueil. Avec quels moyens, dans quelles conditions, en combien de temps? La communauté internationale échaudée par le drame des Grands lacs laisserait-elle faire? Et quel est ce pays frontalier qui accepterait sans risque de se faire déstabiliser de recevoir du jour au lendemain 200 000 réfugiés Soudanais?
Dans les deux cas de figure il s’agit de bluff. Deby attire l’attention pour la détourner de l’essentiel, c’est à dire la crise politique grave que traverse le pays à cause de sa politique destructrice et prédatrice et de son refus de quitter le pouvoir, ne serait-ce que pour laisser aux Tchadiens la possibilité de s’accorder une alternance politique démocratique pacifique plutôt que la perspective presque certaine du chaos dans lequel une guerre civile ferait entrer la sous région. Détourner l’attention de l’opinion internationale pour la cristalliser sur le Soudan, le bouc émissaire idéal, et faire apparaître le Tchad comme la victime mal remerciée de son hospitalité aux réfugiés Soudanais et de ses bons offices en tant que médiateur dans la résolution de la crise du Darfour. En quoi cette stratégie pourrait-elle être payante?
Si l’objectif est d’amener la communauté internationale, notamment l’Union Africaine à désigner le Soudan, le pays qui abrite sur son territoire les différents mouvements rebelles tchadiens, c’est gagné d’avance. II est indéniable que les rebelles du Fucd viennent du pays d’El Béchir comme il l’est tout autant que c’est lui qui leur apporte son soutien matériel et le Tchad et les Tchadiens gagneraient à ce que le rôle de déstabilisateur historique que joue le Soudan soit clarifié et que ce pays soit fermement condamné. Car tous les aventuriers qui ont mis à sac le Tchad, de Rabah à Hisseine Habré sont venus du Soudan. Idriss Déby, lui-même dans un discours solennel prononcé, au début la rébellion du Darfour, à El Généina a remercié ses frères Zaghawas pour l’avoir soutenu pendant ses 13 mois de rébellion et porté au pouvoir à N’Djaména. Mais sérieusement, cela suffira-t-il à éteindre le feu qui embrase le Tchad de partout : au nord, au centre, à l’ouest, au Sud, à N’Djaména? La mission de l’UA n’aurait pas été au bout de ses efforts si elle ne se limitait qu’à établir la responsabilité du soudan dans la crise tchadienne. C’est comme se contenter de la partie visible de l’iceberg. L’enquête de l’UA si elle veut être exhaustive, conséquente et servir de base pour la recherche de solutions vraies et durables, non seulement à la crise du Tchad, mais à celles plus graves qui, du triangle Tchad, Rca, Soudan, risque de somaliser et rendre ingouvernable tous ces pays, devrait avoir le courage de mettre à nu le rôle maléfique que joue la France par Déby interposé dans la déstabilisation de la Rca et du Congo Brazzaville. Que fait la France dans ce pays? Pourquoi s’obstine-t-elle à lui imposer des chefs de guerre qui inexorablement le transforment en fiefs féodaux voués à leurs instincts prébendiers? Pourquoi après le Tchad s’emploie-t-elle à faire la même chose en Rca? Idriss Déby est aux abois. Abandonné par son armée; rejeté par tous les Tchadiens. II est encore au pouvoir par la seule volonté de la France ; la France qui l’a aidé à mater les rebelles tchadiens du Fucd, qui l’aide à transporter des jeunes tchadiens raflés et à peine formés afin de servir de chair à canon pour sauvegarder son régime, le seul capable selon les experts français de maintenir cette stabilité garante des ses intérêts .Cette France, l’Union africaine doit avoir le courage de la dénoncer.
Nadjikimo Bénoudjita