L’UE au service: des intérêts français? – Notre Temps N° 257 du 5 mai 2006

Accablants, des propos délibérément mensongers, pétris de préjugés racistes et dévalorisants à l’encontre des populations tchadiennes à travers ses leaders de l’opposition. Une volonté manifeste de ternir l’image de ceux qui s’opposent à une tyrannie d’une autre époque dont les conséquences hautement prévisibles ont été régulièrement dénoncées par ceux-ci.

De la manipulation de l’opinion des dirigeants de l’Union européenne dans le seul souci de vendre positivement l’image de Idriss Déby Itno afin de le pérenniser au pouvoir, pour les intérêts français. Tel peut être résumé le contenu de ce fameux rapport sur la situation au Tchad publié par notre confrère Le Temps dans sa livraison numéro 475 du 20 au 26 avril. Notre lecture.

De ce fameux rapport sur le Tchad, il faut en réalité entendre, rapport sur les rapports de force entre les acteurs de la vie socio politique et les conditions subséquentes devant déterminer l’option pour une pérennisation du pouvoir de IDI ou de son lâchage par l’Union européenne. En effet, des questions fondamentales telles : l’état de l’économie tchadienne, l’insoluble problématique de l’insécurité- impunité liée à la question de l’armée et des forces de sécurité; la grave crise sociale liée à la déliquescence de l’administration et des secteurs vitaux de la vie sociale comme l’éducation, la santé, l’environnement et enfin, l’inadmissible question du manque d’eau potable et d’électricité etc, il n’en est pas question. Par contre les institutions, celles de la République, notamment, le gouvernement et le parlement ainsi que les organisa tions politiques de l’opposition démocratique, la société civile et la presse ont eu droit à un service spécial pince-sans-rire.

D’un gouvernement médiocre

S’agit-il là d’une analyse ou d’un constat? La logique de l’instabilité de l’exécutif voulue, entretenue par le pouvoir Idi depuis 16 ans est-elle une nouveauté? 13 Premiers ministres et prés de 300 ministres pour gérer des dossiers dans un pays dont les structures administratives sapées, rongées par la guerre puis par une politique systématique de discrimination négative, nommée géopolitique, c’est quand même pas l’expression d’un génie dont il faut louer les qualités ! La question n’est donc pas celle de la médiocrité des ministres et ou des Premiers ministres quoique beaucoup reste à dire là-dessus mais plutôt celle du système qui ne peut générer que du contre productif. Et, de l’Union européenne partenaire privilégiée du Tchad, on devrait s’attendre plutôt à une remise en cause explicite de sa coopération avec un régime qui refuse de guérir de ses incuries. Ce qui surprend pourtant est l’exception faite de quatre personnes sur 300. Les ministres exceptionnels, des génies dont l’exercice de leurs fonctions n’a laissé nulle part de trace exceptionnelle. Je me sentirais gêné à leur place d’être le lauréat d’une telle sélection. Mais, encore une fois, le choix porté sur deux métis et deux musulmans, de la part d’individus dont le rapport tout à fait arbitraire dans son contenu est pétri de mépris et de préjugés envers les négro africains globalement majoritaires d’une manière générale et exclus de l’accès le plus minimal aux moyens et structures du développement, alors même qu’ils constituent la principale force de travail (tous secteurs confondus) de ce pays et que l’économie, qu’elle soit agricole ou pétrolière dépend de leur activité, ne nous surprend pas. Il répond à une thèse dont la similitude avec celle développée par les Belges et les Français, dans les Grands Lacs a entraîné les génocides les plus abominables de la fin du 20ème siècle au Rwanda et au Burundi. Mais à chacun la responsabilité de ses propos.

Du pouvoir législatif

A peine une ligne a suffi pour balayer du revers les incuries de cette caisse de résonance qu’est l’Assemblée nationale. Tout à fait d’accord, nous aurions quand même souhaité un mot sur le refus du régime d’accorder aux populations, le pouvoir réel du choix de leurs élus et le rôle néfaste que joue, de manière quasi ouverte, certaines représentations diplomatiques et institutions internationales dans l’encouragement téléguidé à ce refus. Sans gouvernement, sans parlement, il reste quoi pour diriger un pays sinon le pouvoir autocratique d’un individu ou d’un groupe d’individus? Que Déby l’eût fait pendant 16 ans avec l’appui de son clan et de son armée et dans un climat entretenu de terreur et d’impunité accompagné d’un silence assourdissant de l’Union européenne, partenaire privilégiée et incontournable du Tchad doit-il surprendre ou être pris comme un exploit? Car c’est de ça qu’il s’agit dans ce rapport laudatif où Idriss Déby Itno est glorifié pour ses décisions et agissements anti démocratiques. Le héros des résolutions d’Abuja, champion incompris face à un Soudan envahisseur et envahissant ? Mais comme c’est bien ridicule! Comme ces occidentaux se laissent berner! Entre Déby et les rébellions soudanaises du Darfour (Mje et Mls) il existe une relation ombilicale de la poule et de l’œuf et l’hospitalité tant vantée du Raïs incontesté (jusqu’il y a peu) des Zaghawa relève de la même logique. Déby ne peut pas jeter ses frères dehors, comme il ne peut les combattre. ..

Des partis de l’opposition

tous sudistes, d’une société civile aux mains des sudistes, d’une presse sudiste faisant de l’opposition frisant la caricature! Des affirmations grossièrement mensongères et délibérément désinformatrices. La vérité est que la seule région capable de fournir une opposition démocratique capable et représentative sur le territoire tchadien et ayant les chances de survivre est la zone méridionale. Une raison politique sous-tendue par une politique d’oppression, de répression systématique contre ceux du Nord qui osent défier la suprématie de IDI, démagogiquement présentés aux musulmans du Tchad comme leur unique sauveur. Ibni Oumar ne fait-il pas l’objet d’une fatwa pour avoir osé créer un parti ouvertement hostile à Déby ? Et Mahamat Guetti n’a-t-il pas été assassiné pour les mêmes raisons? Deux fois, les élections ont donné, largement gagnant des sudistes à la présidentielle. Deux fois des mains occultes blanches, parce que européennes en ont fait des perdants. Kamougué en 1996 et Yorongar en 2001.

Pour les mêmes raisons, l’engagement des Tchadiens du nord dans la lutte sociale ou dans la défense de la liberté d’expression reste timide, mais cela n’enlève rien à la qualité du travail que fournissent les personnes engagées dans ces structures et ne devrait nullement faire pâlir ceux qui osent encore défier, à leurs risques et périls, la toute puissance d’un régime arbitraire et liberticide en dénonçant ses actes et les travers de sa politique. Pour la presse dite de l’opposition, ce qui n’est nullement le cas, il y a quand même une exception et non des moindre à relever, puisqu’il s’agit d’un journal, et le seul dont le propriétaire n’est pas sudiste qui appartient à un musulman, homme ouvertement rangé aux cotés du pouvoir. J’ai cité Le Progrès. Le fourrer dans  » le pot pourri » sudiste, c’est faire offense à son propriétaire. Mais les auteurs du rapport n’étaient-ils pas obsédés par leurs sentiments anti sudistes, anti nègres? Le résultat de ce rapport reste que, malgré tout, l’Union européenne s’est rangée derrière la position de la France. Mais qu’il s’agisse de la France ou de l’Union européenne, peuvent-ils nous dire où ils veulent jeter ces 6 millions de nègres du Tchad quand l’Europe érige des barrières physiques et juridiques à l’immigration subsaharienne ? N’a-t-on plus le droit de vivre chez soi?

Nadjikimo Bénoudjita
Notre Temps N° 257 du 5 mai 2006


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