Le désintéressement – Notre Temps N° 257 du 5 mai 2006
Désaffection de la population se traduisant par un très faible taux de participation, mauvaises conditions matérielles et organisationnelles des opérations. Tels sont les constats établis par les reporters de Notre Temps qui ont sillonné la ville de N’Djaména. Reportage.
Mercredi 3 mai à N’djamena. Jour de vote pour les présidentielles.
A Farcha dans le 1er arrondissement, les artères sont quasi désertes. Ça et là, quelques bureaux de vote sous les arbres ou dans l’enceinte des édifices publiques. 9 heures 25, nous sommes à Milezi, un quartier situé au Nord-Est de la capitale. C’est le bureau 75, carré 3M. Hamid Youssouf, président de ce bureau nous déclare qu’il y a 516 inscrits sur son registre. Le décompte effectué à 9 heures 30 donne 98 suffrages exprimés dont 30 nomades. A la question de savoir pourquoi est ce que le nombre de nomades est si élevé, M. Hamid répond que les détenteurs des anciennes cartes (les cartes d’avant le recensement additif de cette année) sont enregistrés comme nomades même s’ils ne le sont pas.
Dans ce bureau 75 de Milezi, on dénombre deux délégués Mps, un de Viva-Rndp. Pas de délégués Msar, Rndt, ni de Mpdt. Pas de trace d’observateurs nationaux ou internationaux. Ensuite, nous arrivons au bureau de vote n°4 du carré 2 de Farcha, au premier arrondissement. Le président intérimaire, Hassan Adoum Abdoulaye, qui déclare avoir ouvert son bureau à 7 heures, a inscrit 480 personnes sur son registre. A 9heures 50, 91 personnes ont déjà voté parmi lesquelles 38 nomades. L’isoloir, un tissu blanc attaché à un neemier n’offre pas l’intimité requise. Si au bureau 75 de Milezi, il y a une relative ordre du fait du nombre restreint des votants, à Farcha, M.Hassan Adoum a eu un peu de mal à contenir son monde. Les policiers et les gendarmes de faction ne l’ont pas trop aidé. Deux observateurs internationaux ont fait irruption à 9 heures 58 1 pendant qu’une dame qui aurait perdu sa carte d’électeur tenait absolument à exercer son droit de vote. Le président du bureau lui fait comprendre qu’elle ne peut voter que si elle a, soit sa carte d’électeur, soit son numéro de carte.
A Madjorio bureau de vote 33, carré 3B, le président Mahamat Taher qui s’affaire à apposer le cachet « a voté » sur la carte d’électeur de la seule votante en présence, nous informe que son bureau a enregistré 600 inscrits. A 10 heures 20, on décompte 7 suffrages exprimés. Cela doit être dû à la promiscuité des bureaux car dans un rayon de 100 mètres, il y a trois bureaux.
Dans les trois bureaux visités, il y a des lampes tempêtes qui ont été founies par la Ceni car les opérations doivent aller jusqu’à 18 heures.
Au dépouillement à 18 heures au bureau de vote n° 20 carré 8 quartier Dembé, sur 669 inscrits, 248 ont voté. Idi vient en tête avec 89 voix, suivi de Kassiré 18, Pahimi 15, Mahamat Abdoulaye 8 et Koulamallah 6. Le dépouillement s’est effectué grâce au phare de moto d’un particulier.
Des élections moroses 9ème arrondissement
De Walia Ngosso à Walia barrière, les rues sont presque désertes, ce jour des élections présidentielles. Beaucoup de personnes sont soit devant leurs domiciles jouant aux cartes, d’autres se reposent sous les ombres des manguiers et des neemiers. Peu d’engouement devant les bureaux de vote.
Dans la matinée, on pouvait constater la présence de quelques rares personnes devant les bureaux de vote. A la moitié de la journée, il n’y a que les membres des bureaux de vote, qui somnolant, qui lisant quelques journaux, en attendant les votants qui tardaient à venir. A cela s’ajoute aussi le problème organisationnel et celui de matériel de travail. Tous les bureaux n’ont pas ouvert à la même heure. Certains ont ouvert à 7 heures, d’autres à 8 heures et d’autres encore à 9 heures. Les retards s’expliquent par le fait que des matériels tels urnes, fiches de pointage, listes… n’ont été déposés à temps.
Certains bureaux ont fonctionné jusqu’à l’après midi sans avoir la liste et les fiches de pointage.
Le bureau de vote Walia 1 À(C), situé au sein de l’école de Walia a ouvert à 7 heures, mais sans liste de votants. Ce n’est que très tard que la liste des votants est arrivée. Mais là aussi, certaines personnes qui se sont fait recenser n’ont pas retrouvé leurs noms sur les listes. Cette longue recherche a découragé beaucoup de personnes qui ont refusé de voter. Monsieur Kanrang Clément, président dudit bureau déplore: « C’est un véritable problème. Beaucoup de gens ‘viennent et ils n’ont pas leurs noms. Ce matin, un homme a déchiré sa carte d’électeur devant nous avant de s’en aller. Il n’a pas son nom sur notre liste. Nous lui avons dit d’aller chercher dans d’autres bureaux. N’ayant pas retrouvé son nom ailleurs, il est venu déchirer sa carte devant nous » finit-il.
Au bureau de vote Walia 1 B (B) un petit incident s’est produit. : » Ce matin, un ancien militaire de la Gnnt, un certain Abakar Youssouf, reversé à la douane est venu avec une carte d’électeur sans numéro. Nous nous sommes rendus compte cette carte n’est établie que le matin du 3 mai au 4ème arrondissement. Nous n’avons pas voulu qu’il vote. Mais il a proféré des menaces. Nous l’avons laissé voter et nous avons enregistré ses agissements pour les transmettre aux supérieurs explique le président Déring Hanzla.
Le bureau Ngoumna Marba D (C) à Walia Ngosso a ouvert très tard, à cause du manque d’isoloir, de cadenas pour les urnes, de fiches de pointage, des lampes, des badges. Jusqu’à 14 h 35 mn, le bureau a fonctionné sans isoloir digne de ce nom. L’angle d’une vieille maison cassée a servi d’isoloir. Le votant est obligé de se tenir dans cet endroit, de faire dos au public et d’opérer son choix.
Juste à coté, au bureau Ngoumna Marba 1, il n’y a pas de fiche de pointage, d’isoloir, de bics, de liste d’électeurs… Les quelques votants n’ont voté que sur présentation de leurs cartes d’identité nationale. Pour la circonstance, le bureau a acheté un cahier de 100 pages, pour enregistrer les votants.
Amtoukouin Diguel, Ndari, même ambiance
A 7h47mn, quelques jeunes, hommes et femmes regroupés sous des neemiers causent à tue-tête. Au carré 13 du quartier N’djari une tablette supporte l’urne transparente, deux bancs occupés par des hommes portant chacun une banderole au bras gauche marquée du sceau de la Ceni, un morceau de tissu blanc servant de rideau d’une hutte indique qu’il s’agit d’un bureau de vote. Dans d’autres bureaux (carré 20 et 30) du même quartier, les urnes sont placées derrière des chambres à coucher, loin des membres du bureau. Ce qui ne manque pas d’attirer la curiosité des gamins du quartier. A 8h2mn, le bureau n’est pas encore ouvert. S’agissant de la sécurité, deux gendarmes ou policiers sont postés dans chaque bureau de vote. Les délégués des candidats qui rivalisent Idriss Déby brillent par leur absence. Seuls sont présents les délégués du Mps. Dans les carrés 20 et 30, les secrétaires de bureau utilisent des cahiers achetés dans les boutiques de la place des registres pour enregistrer des électeurs. A la question pourquoi cet état de chose monsieur Birémé, vice président du bureau de vote répond: » ils n’ont pas leurs noms dans le registre mais comme ils détiennent des cartes, on nous demande de les inscrire dans des cahiers ordinaires pour les faire voter « . A 10h, les membres des bureaux par manque d’électeurs prennent du thé, lisent des journaux. La canicule aidant, les bureaux de vote ressemblent à des places mortuaires jusqu’à 17h. A la question de savoir pourquoi ils ont voté, Mariam, une ménagère répond: » On nous dit que les militaires passeront arrêter ceux qui n’ont pas voté « . Cette crainte s’est confirmée au quartier Dembé où les boutiquiers qui ont ouvert leurs entreprises ont été molestés par des hommes en arme. Sur l’avenue Taiwan, 13 véhicules bourrés de militaires armés jusqu’aux dents circulent pour veiller à la fermeture des boutiques et autres coins de vente. M. Alladoum un enseignant qui a battu campagne pour le Mps n’a pas voté et n’hésite pas à désavouer « son parti » : » je sais qu’après tout, on va sortir un résultat encore non crédible. C’est de la connerie. Les gens sont spécialement préparés pour bourrer les urnes « .
Au dépouillement, sur 400 inscrits en moyenne dans chaque bureau de vote il y a 120 votants dans les quartiers N’djari et Amtoukoui. Par contre à Dembé il y a 67 et 51 votants dans le carré, bureau A et B qui totalisent 44 bulletins nuls. Suffrages exprimés 42 selon le président du bureau A.
Tout comme à Moursal dans le sixième arrondissement
Les buvettes et coins de vente ont été transformés en bureau de vote dans ce quartier d’habitude bouillant. Contrairement au mot d’ordre donné par la Ceni d’ouvrir les bureaux de vote à 7h, c’est à 7h50′ que les bureaux de vote du carré 16 A et B de Moursal ont été ouverts. Seuls les agents et les gendarmes en factions sont présents. Il a fallu attendre une heure de temps plus tard pour voir une poignée de quatre électeurs se présenter. M. Klainan, électeur inscrit sous le n° 0043 se retrouve avec le nom de Abdoulaye sur la liste. Ce dernier énervé suite à cet incident n’a pas caché son mécontentement: » je ne suis pas obligé de voter. Puis que mon nom a été remplacé par celui d’une autre personne, je ne peux pas me peiner jusqu’à l’arrondissement cherché mon numéro. « . A 11 h 20mn l’ancien président le général Félix Malloum Ngakoutou se rend dans le bureau du carré B pour accomplir son devoir civique. Son arrivée a occasionné le déploiement d’une trentaine de militaires et policiers. La présence de ces forces de l’ordre a indisposé les quelques rares électeurs présents. M. Eldou Isintou, un étudiant électeur se dit effrayer par la présence des forces de l’ordre. » Je ne peux pas voter sous ce climat. C’est un vote libre et si les militaires sont présents, c’est justement pour nous obliger à voter pour Déby « , se lamente t-il. Au dépouillement, sur 463 inscrits, seuls 135 ont exprimé leur suffrage dont 35 bulletins nuls.
Ainsi qu’à Dembé, Habbéna, Kamnda, Atrone, Gassi et Boutaal Bagar
Pas d’engouement des électeurs du matin jusqu’au soir. On peut dire que les mots d’ordre de boycott (partis politiques de l’opposition la journée de deuil national de la société civile sont observés dans ces quartiers cités. La population dans son ensemble est restée’ chez elle pour sortir plus tard 18 heures pour vaquer à ses occupations. Dans les bureaux de vote 42 A et B, le carré 4, bureaux de vote 195, le carré 6 bureau de vote 223, le bureau de vote 11A et B à Bouta al Bagar où nous avons sillonné n’ y a même pas les représentants des candidats aux élections présidentielles excepté le candidat Mps. Les résultats de vote collectés ça et là, montrent que le taux de participation est très maigre. Au quartier Dembé, bureau de vote 146 B sur 422 inscrits 122 ont exprimé leur suffrage parmis lesquels il y a 47 bulletins nuls. Le résultat par candidat donne Koulamala 3 voix, Pahimi 09, Kassiré 14, Idriss Déby 41, Abdoulaye 2. Les observateurs nationaux et internationaux sont-ils passés par ici? Les présidents bureau de vote répondent: » quelques rares observateurs nationaux mais pas les internationaux « .
La Rédaction
Notre Temps N° 257 du 5 mai 2006