Conflit de l’Est : Une guerre inutile – Notre Temps N° 274 du 24 au 30 octobre 2006

Notre Tems La situation à l’Est du pays reste confuse. La guerre des ondes entre les différents protagonistes bat son plein alors que les pertes en vie humaine croissent de plus en plus.

Qui dit vrai, qui dit faux sur le déroulement des combats à l’est du Tchad? Difficile de répondre à cette question avec exactitude d’autant plus que les communiqués et interviews accordés sur différents médias par les deux camps sont toujours contradictoires. Peu importe de savoir qui a pris le dessus sur l’autre dans cette guerre inutile qui fait perdre au Tchad des centaines de milliards, de francs CFA des valeureux fils avec en prime des veuves et orphelins qui, sans soutien et sans éducation, constitueront demain un danger public pour la société.

Dans cette guerre fratricide, opposant les ressortissants d’une seule région, plusieurs jeunes gendarmes inexpérimentés et qui ont été formés à tour de bras sont continuellement expédiés au front pour servir de chair à canons. L’expédition de ces jeunes gendarmes est liée au refus des militaires nantis (parents du PR) de se battre contre les leurs passés dans la rébellion. Non aguerris en matière de combat plusieurs de ces gendarmes sont tombés sur le champ de bataille ou blessés pour une guerre dont ils ignorent jusque aujourd’hui les raisons.

On compte par centaines le nombre de blessés dans les différents hôpitaux de la capitale notamment la garnison, l’hôpital général de référence nationale ou encore l’hôpital de la Liberté. Ces blessés qui, avec une plâtre aux pieds ou aux bras vous lance un regard goguenard avant de vous dire qu’ils sont vraiment fatigués de cette guerre tchado tchadienne qui n’a que trop duré.

Abakar Ali, âgé de 18 ans a été enrôlé par force mi-septembre pour combattre les rebelles à l’est du pays. « J’étais avec mes parents lorsque les forces gouvernementales sont arrivées dans la région de l’est où se déroulent les combats pour enrôler les jeunes afin de faire face aux rebelles de Mahamat Nour et ceux des frères Timan. Ceux qui étaient plus âgés que nous ont intégré volontairement les rangs des forces loyalistes moyennant des espèces sonnantes et trébuchantes. Blessé grièvement aux jambes lors des violents combats de Hadjer Marfaïne d’il y a un mois, le jeune Abakar interné à la garnison se déplace aujourd’hui à l’aide de ses béquilles. Il regrette d’être victime d’une guerre qui ne le concerne pas, une guerre sans issue qui profite à un groupuscule qui s’obstine à ne pas abandonner le pouvoir et qui continue à vivre dans l’opulence en méprisant les autres Tchadiens. « Une fois guéri, je me débarrasserai de ce treillis pour m’occuper des champs et troupeaux de mes parents car la guerre est atroce. Combien de jeunes comme moi sont tombés sur le champ de bataille. Ils sont très nombreux à mourir pour protéger le fauteuil d’un seul homme qui aujourd’hui tient à son pouvoir et veut mourir au pouvoir. Il faut arrêter cette guerre qui engloutit des milliards au lieu de les utiliser pour le développement du pays et fait perdre de milliers de tchadiens.  » raconte, dépité le jeune Abakar.

Ibrahim la trentaine bien sonnée, très tendu n’a pas voulu dans un premier temps répondre à nos questions. Il a fallu l’intervention du jeune Abakar pour qu’il revienne à des meilleurs sentiments. Pour lui, les Tchadiens sont fatigués de la guerre, une guerre de pouvoir. Si aujourd’hui certains Tchadiens ont choisi le langage des armes c’est parce qu’aucune alternance n’est possible, la démocratie est en panne puisque les élections au Tchad sont une chimère.  » J’ai été trompé et utilisé comme beaucoup d’autres pour servir de bouclier. Il est temps que le Président de la République ait les pieds sur terre et qu’il engage un dialogue franc avec les polit/co-militaires. S’il refuse, cela montrerait à suffisance sa mauvaise foi de négocier avec les différentes rebellions et la fin de la guerre n’est pas pour demain puisque nous connaissons également la force de frappe des rebelles. Ils sont puissamment armés.  »
Outre les blessés admis dans les hôpitaux de la capitale, d’autres militaires gravement atteints lors des combats ont été évacués vers les hôpitaux du Caire en Egypte pour des soins.

Selon certaines sources, pour des raisons d’ardoise très salée, plusieurs établissements sanitaires de la capitale égyptienne refusent d’interner les militaires tchadiens blessés pendant les affrontements de l’est du Tchad. Après moult explications du diplomate tchadien, un centre hospitalier du Caire a fini par interner deux blessés graves dont l’un d’eux est décédé le 09 octobre dernier.

Selon les mêmes sources, le gouvernement aurait signé des accords avec quelques hôpitaux du Caire attestant que tous les frais médicaux des militaires tchadiens blessés et évacués dans ces centres hospitaliers sont à la charge de l’Etat tchadien.

Malheureusement indique ces mêmes sources, ces accords ne sont pas respectés par le Tchad qui doit des centaines de millions à ces différents hôpitaux. Un vrai casse-tête pour ces blessés qui ne savent plus à quel saint se vouer. N’ayant plus de moyens pour se soigner, la plupart des malades ont vidé les hôpitaux pour trouver refuge chez quelques rares étudiants du Caire en attendant que leurs parents du bercail leur viennent en aide. Ces jeunes inexpérimentés souvent enrôlés de force dans l’armée tombent aux premiers crépitements des armes.

Cet enrôlement forcé des jeunes dans l’armée a été toujours décrié par les Associations de Défense des Droits humains.
Une interpellation qui ne fait pas bouger d’un iota le pouvoir en place. Nonobstant les appels incessants des Adh, le pouvoir continue de plus belle à envoyer les jeunes sans formation militaire à l’abattoir.

Cette guerre fratricide n’a cessé de faire des victimes indirectes: veuves et orphelins foisonnent.

Les femmes des soldats envoyés au front n’arrivent plus à supporter les charges familiales. Mme Achta dont le mari est au front depuis trois mois se plaint du déficit d’information en ce qui concerne son époux. « Les nouvelles reçues au sujet de mon mari sont peu convaincantes, tantôt il est à Abéché, tantôt à Hadjer Marfaïne à telle enseigne qu’aucune information fiable ne circule au sujet de mon mari » s’exclame-t-elle. Elle affirme avoir perçu un mois de salaire de son mari sur trois. Selon elle, cette situation compromet dangereusement la survie de la famille. Incapable d’inscrire ses deux enfants à l’école, de s’occuper d’eux et de payer le loyer, la dame Achta est obligée d’envoyer un de ses enfants chez ses grands-parents.

D’autres femmes comme elle assiègent les établissements sanitaires à la quête des nouvelles de leur mari à l’arrivée de nouveaux blessés. Celles dont les maris appartiennent à la Brigade Anti-gangs affluent chaque mois devant l’ancien camp de la Compagnie Tchadienne de Sécurité(CTS) situé à Abéna non seulement pour s’enquérir des nouvelles de leurs époux mais également attendre le salaire afin de faire face aux difficultés de l’heure. Dur dur d’être la femme d’un soldat et pour ces femmes, cette guerre est sans objet. Pour ce faire, elles demandent au Président de la République Idriss Déby Itno de renoncer à cette guerre qui ne cesse de faire des veuves et d’endeuiller les familles tchadiennes et d’engager un dialogue inclusif et sincère pour une paix durable au Tchad.

Evariste Ngaralbaye
Notre Temps N° 274 du 24 au 30 octobre 2006


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