Le général Moussa Sougui Hawari ne tire plus de mortier : Le baroudeur tombe arme à la main – Le Progrès N° 2077 du 31 octobre 2006
Le soleil tombe à plomb sur Adré. La terre sent le souffre. Les blessures sont encore saillantes. La ville est attaquée le même jour, à la même heure que la capitale, le 13 avril. Le vendredi 14 avril, un jet ayant à son bord le ministre de la Défense nationale, Bichara Issa Djadallah, le général Abderahim Bahar Itno (en ce temps colonel) et une équipe de journalistes descend sur l’aérodrome d’Adré. Sur le tarmac, attend un groupe de militaires surarmés. Du groupe, se détache un homme et avance vers le ministre. «Félicitation, Général! Vous avez fait un travail remarquable!»
Un « merci», à peine audible, prononcé «à la manière des Nordistes» ne sachant pas manier la langue de Molière, répond au ministre. Une petite surprise. L’officier n’a rien d’un général. Ni la suffisance du rang, ni les galons étoilés, encore moins les autres manières qui distinguent «les grands». Aucune arme sur lui, un corps gringalet flotte presque dans un treillis militaire surplombé d’un chèche gris. Seul le visage émacié, présentant des brûlures, palmes de sa bravoure, le distingue. «Askar koulou khadamo (N.D.L.R. : tous les militaires ont travaillé)», répond-il au ministre, en montrant la troupe, d’une main ayant perdu quelques doigts cours de ses multiples batailles.
Le général Moussa Sougui Hawari, «Tchozou», « le vieux», comme l’appellent, affectueusement, les plus jeunes, est un général nouvellement promu commandant de la Garde Nationale et Nomade du Tchad (GNNT). Juste quelques jours après sa nomination, le général est allé au front combattre les insurgés, qui veulent percer les lignes d’Adré. Si, au cours de ce combat d’Adré, le général fait ses preuves de la maîtrise du maniement de mortier, aux côtés des ses jeunes soldats, Moussa Sougui était déjà un des plus respectés et braves officiers du Front de Libération Nationale du Tchad (FROLINAT). « Jamais au sein du FROLINAT, un homme n’a participé à autant de combats que Moussa Sougui », témoigne Alhadj Garondé Djarma, chef d’antenne médicale du mouvement dans les années 70 et 80.
Celui qui est décédé avant-hier est engagé à l’âge de 20 ans dans la section nomade du BET. Moussa Sougui, né en 1951 dans la zone de Kouba Olanga, sert pendant cinq ans dans ce corps. Il se démarque, quand il gagne la Première armée de FROLINAT, en Libye, après 1976. Il se fait remarquer par ses chefs, qui lui confient, très rapidement, des postes de responsabilité. Commandant des opérations de Sallal des Forces Armées Populaires (FAP), la tendance dirigée par Goukouni Weddeye, Moussa Sougui entre à N’Djaména en 1979, au moment où les Forces Armées du Nord ont mailles à partir avec les éléments du président Félix Malloum. A la formation du Gouvernement d’Union Nationale de Transition (GUNT), il est nommé chef d’Etat-major deuxième adjoint. Quand les FAN de Habré, le vent en poupe, avancent, après leur retrait de la capitale, sous la conduite d’un certain Idriss Déby, vers N’Djaména, Moussa Sougui se retire dans sa région natale et y oppose une résistance mémorable. A Bir-Goz, en 1982, Moussa Sougui et les siens jurent de ne pas fuir. Ses faits d’arme pendant cette bataille occupent une place de choix dans les annales des multiples combats que le pays a connus.
Dans la première moitié de 1987, les troupes libyennes sont en débandade. Après l’attaque de Ouadi-Doum, par les Forces Armées Nationales Tchadiennes (FANT), sous la direction de Hassan Djamouss, les Libyens, acculés, ne savent à quel saint se confier. Moussa Sougui, un opposant radical à Habré, vient à leur secours. «Sougui, viens par devant» «Sougui viens par derrière», interpellent les fuyards, qui demandent l’escorte du baroudeur, témoigne un ex-combattant. Il lève les verrous «fanistes» et escorte plusieurs centaines de chars jusqu’à la frontière libyenne, les défendant de l’hallali des forces habréistes.
Tireurs de mortier, spécialisé par une formation en Syrie, quelques années plus tôt, le général Moussa Sougui est de la trempe de ses combattants, certes, sans grande instruction, mais dont la valeur sur le terrain est incontestable.
Rentré près de dix années après le départ d’Hissien Habré du pays, en 2001, promu, la même année, au grade de colonel à titre exceptionnel, Moussa Sougui ne se fait remarquer ni par une extravagance ni par un comportement mettant à mal les institutions de la République. Logé dans son Goudji, le colonel, en bon militaire, reste loin de la politique. Le président de la République l’appelle à ses côtés, la même année, comme officier de liaison à l’Etat-major particulier. A l’ouverture des hostilités à l’Est, il est avec les généraux feu Abakar Youssouf Mahamat Itno, Mahamat Souleyman, Asseif Mahamat… les premiers à croiser le feu avec les insurgés. Ils sont renforcés, par la suite, par les généraux Alifa Weddeye, Abakar Abdelkérim, Massoud Dressa et autres. Si, le 20 décembre 2005, Moussa Sougui est sorti avec des brûlures lors d’un un crash d’hélicoptère, les balles rebelles du 29 octobre 2006 lui ont été fatales. Au Tchad où la plupart des généraux doivent leurs galons à leurs faits d’armes, Moussa Sougui occupe un place à part. «Un général ne meurt pas sur un lit d’hôpital», disait un autre général. Moussa Sougui est tombé sur un champ de bataille, arme à la main.
Béchir Issa Hamidi
Le Progrès N° 2077 du 31 octobre 2006