Tchad : Peut-on opter pour une Nouvelle Gouvernance?
Le Tchad depuis toujours n’a jamais connu de paix véritable. Le pays depuis son accession à l’indépendance est marqué par des affrontements politiques ou militaires avec des multiples conséquences dont sont victimes les populations civiles innocentes. L’embryon de démocratie pluraliste initiée à la veille de l’Indépendance a été étouffé dès 1962 par le premier Président Tombalbaye. Depuis lors le Tchad est placé sous la coupe des régimes autocratiques dominés par une gouvernance arbitraire, soutenue par la France et ses militaires basés en permanence dans le pays.
Le respect des droits et libertés dépend souvent de l’allégeance au régime en place. Le droit à l’expression n’est accepté que si cela sert à faire les louanges du Chef de l’Etat au pouvoir, son parti et son entourage immédiat. La liberté de circulation n’est possible au niveau national que par la corruption des Agents de sécurité, affectés sur les lieux de barrières placées le long des routes reliant les régions du pays. La liberté d’Association n’est tolérée que si le but de l’Organisation à créer ne s’oppose pas aux pratiques arbitraires du régime en place.
Le droit à la propriété est souvent bafoué par les tenants du pouvoir et leurs parents qui se permettent tout, depuis l’occupation illégale des résidences des particuliers jusqu’au domaine public. Parfois, même les décisions de justice ne peuvent être appliquées du fait de leur obstruction. Quant à l’impunité, elle devient une stratégie de protection normale des alliés politiques et parents des Officiels au pouvoir.
Les arrestations arbitraires sont multiples et elles sont opérées parfois sans mandat. Elles peuvent subvenir à tout moment et par n’importe quel agent de sécurité publique. Les tortures sont courantes et peuvent être administrées à quiconque et pour rien du tout. Suite à une action de résistance politique, les tortures confiées souvent à des services spéciaux de l’Etat, peuvent conduire à la mort subite ou lente des victimes.
Les éliminations physiques sont fréquentes et variées. Elles peuvent être opérées parfois en plein jour, par des Commandos armés ou par des Agents de Sécurité de l’Etat en tenue militaire, mais considérés comme des inconnus. Elles peuvent atteindre n’importe quel citoyen, y compris les parlementaires et membres de l’Assemblée Nationale, les chefs de partis politiques de l’Opposition légale, les membres des Syndicats et des Associations des Droits de l’Homme. Les éliminations physiques sont souvent utilisées pour faire disparaitre les leaders de l’Opposition politico-militaires et aucune enquête judiciaire n’est engagée.
Les méthodes vont des attaques à domicile à l’enlèvement pur et simple. Pour les leaders des mouvements politico-militaires, leur élimination physique est souvent classée sous le couvert d’affrontements armés avec les forces de l’Ordre. Parfois elles sont opérées avec la complicité des forces françaises au Tchad qui patrouillent au préalable dans la zone concernée pour dissuader la population de toute révolte populaire.
Depuis le régime du feu président Tombalbaye à l’actuel Général-président Idriss Deby, combien de leaders politiques tchadiens ou de simples citoyens ont-ils disparus ? Tous les régimes politiques du Tchad ont éliminé des Tchadiens. La liste des victimes est longue mais elle continue encore aujourd’hui environs un demi-siècle après l’Indépendance du pays.
L’instauration du couvre-feu est fréquente et multiple. Cela permet au Gouvernement d’agir en toute impunité et d’utiliser la répression pour soi-disant maintenir l’ordre et la sécurité publique. En cas de disparition flagrante mettant en cause la responsabilité du Gouvernement, des subterfuges de solution sans lendemain sont proposées.
Ainsi, plusieurs Commissions ont été crées mais n’ont abouti qu’à faire un constat général sans aucune décision conséquente. Il n’y a pas de poursuites judiciaires, ni de sanctions à l’égard des auteurs des répressions, tortures et crimes commis. Il n’y a pas non plus de réparation pour les victimes, moins encore pour leurs descendants et collatéraux. Quand les dirigeants politiques tchadiens au pouvoir mettront-ils fin à ces pratiques abjectes, d’arrestations, de tortures et de disparitions physiques?
La récente visite de diversion du président Nicholas Sarkozy au Tchad avait dissuadé le président Idriss Deby Itno à accepter la création d’une Commission internationale. Mais quelle sera la mission véritable de cette Commission ? Avec sa composition actuelle, quelle est sa crédibilité et quels résultats pourra-t-elle réalisés dans l’enlèvement et la disparition des leaders tchadiens de l’Opposition politique légale ? Le président-Député Lol Mahamat Choua du RDP, après son arrestation arbitraire, est en résidence surveillée. Le Député Yorongar NGarlegy des FAR a réussi à s’échapper en France. Où sont les autres leaders politiques, tels le Député Saleh Kebzabo, président de l’UNDR et le Général Kamougué Wadal Abdelkader, président de l’URD? Quel est donc aujourd’hui le sort du Ministre Ibni Oumar Mahamat Saleh, président du PLD ?
Depuis sa prise de pouvoir par la force en 1990, le président Deby s’est-il vraiment préoccupé à instaurer l’état de droit au Tchad ? A-t-il pensé de mettre en place un véritable Etat républicain avec des principes et valeurs nobles et universelles ? Avec l’avènement du pétrole qui génère d’énormes ressources financières pour le pays, le Chef de l’Etat tchadien fait semblant de se préoccuper de la sécurité du Tchad.
Depuis son règne qu’a-t-il fait réellement pour réorganiser l’Armée et les Services de Sécurité du Tchad, afin d’assurer à ses concitoyens le maintien de l’Ordre public et de garantir la paix dans le pays. Après plus de dix sept années de pouvoir, et malgré l’appui permanent de la fameuse Coopération militaire française, l’Armée nationale tchadienne, la Gendarmerie et la Police, sont restées délabrées et dominées par des pratiques informelles et sans éthiques professionnels, conduisant à des désertions permanentes et contribuant à la destruction de l’Etat tchadien.
Aujourd’hui, le Tchad a-t-il besoin de dialogue, de réconciliation nationale ou bien des quantités d’armes et de munitions supplémentaires ? Les affrontements militaires détruisent les infrastructures, déciment les populations civiles et les poussent à l’exil ? Le Tchad a-t-il réellement besoin des milliers de nouvelles forces étrangères pour pérenniser la domination néocoloniale française sur son territoire et asservir ses populations? L’option militaire actuellement prise par le Gouvernement tchadien et l’Union Européenne sera-telle plus efficace que la mise en place d’un réel processus de négociation politique en vue de restaurer la paix au Tchad ?
L’Etat tchadien est dit indépendant sur le plan principe mais en réalité, le pays est maintenu sous un système de protectorat. Il n’y a pas de possibilité de le développer, ni de faire évoluer ses populations pour travailler ensemble et bâtir l’avenir des générations futures. Il n’y a pas non plus de volonté politique réelle du Président Idriss Deby de créer un consensus politique acceptable pour faire avancer le pays vers les objectifs du Développement du Millénaire fixés par les Nations Unies. Dire qu’il y a au Tchad un régime démocratique est vraiment une injure à ses populations et à ses leaders politiques. L’injustice et l’arbitraire imposés au Tchad comme méthode de gouvernance provoque des frustrations et aboutissent à la révolte des militaires et des populations civiles à opter pour la lutte armée. Les rebellions armées résultent de l’absence de démocratie, du manque de respect des droits et libertés des citoyens.
L’initiative du président Sénégalais Abdoulaye Wade, concrétisée par l’Accord signé le 13 Mars 2008, pour rétablir la paix entre le Tchad et le Soudan est bonne, mais pour les Tchadiens cela est secondaire par rapport à la nécessité de restaurer un véritable état de droit. Les interventions militaires des Forces étrangères ne font que perpétrer la domination du système de mal gouvernance au détriment de la restauration d’un état de droit, fondé sur la libre expression des droits et libertés. Pour défendre ses intérêts dans la sous région, la France se camoufle sous le couvert de l’Eufor pour soi-disant stabiliser le Tchad, mais livre des armes au Gouvernement tchadien afin d’exterminer ses populations. D’un coté, elle encourage le maintien de la dictature, ferme les yeux sur les enlèvements et disparitions des leaders de l’Opposition légale et de l’autre, pour empêcher l’instauration d’une nouvelle gouvernance crédible, elle exhorte l’élite politique tchadienne à l’exil. Les Tchadiens doivent rester vigilants pour ne pas se faire piéger par cette stratégie néocoloniale du président Sarkozy, dénoncée par une partie du peuple français. Les Tchadiens doivent également s’opposer fermement à toute déstabilisation du Tchad et d’où qu’elle vienne. Les Tchadiens savent bien que les origines de leurs conflits sont d’abord internes et résultent de la mauvaise gouvernance, de l’absence de démocratie et le non respect des droits et libertés fondamentales. Les ingérences du Soudan, de la Libye et de la France ne viennent que pour les exacerber en tenant compte de leurs intérêts.
Si le président Idriss Deby tient encore à rester au pouvoir, il n’a pas d’autres choix que de restaurer un véritable état de droit, avec la participation de tous les Tchadiens. La politique d’exclusion et de répression n’assure pas la pérennité de son régime, même avec le soutien politique ou militaire de l’extérieur. La confiscation du pouvoir par la force conduit au recours de la prise de pouvoir aussi par la force, même si cela est condamné par la Communauté internationale. Seul le peuple tchadien connait la souffrance qu’il endure et rien ne pourra l’empêcher de lutter pour sa survie et son existence en tant que nation. Pour atteindre cet objectif, les Tchadiens doivent opter pour une nouvelle gouvernance.
Hassane Mayo-Abakaka