En attendant le Jugement dernier

L’affaire des 300 millions de Fcfa qui auraient été détournés par le nouveau Premier ministre Youssouf Saleh Abbas est d’une extrême gravité et doit être considérée comme telle d’autant plus que la direction de la communication du chef du gouvernement a elle-même partiellement confirmé de façon officielle l’information du site internet tchadactuel.

À titre de rappel, il y a quelques jours, tchadactuel informait ses lecteurs avec précision que Youssouf Saleh Abbas avait acquis des biens immobiliers d’une valeur de 300 millions de Fcfa sis au quartier Sabangali (N’Djamena). Le tout nouveau Premier ministre aurait en outre, selon le même site internet, puisé 85 millions de Fcfa pour le besoin de son déplacement dans le cadre du sommet de la Cémac qui s’était tenu à Yaoundé en juin alors que l’organisation de ce sommet était entièrement prise en charge par l’institution sous-régionale.

Les Tchadiens étant habitués aux histoires de corruption et de détournements des deniers publics par les hauts responsables politiques, la « rumeur » du site internet aurait pu passer inaperçue (sinon vite oubliée) si et seulement si quelques « conseillers » amateurs du Droit ou de la Communication n’avaient pas eu l’imprudence de publier un communiqué officiel (signé Direction de la communication) destiné prétendument à éclairer l’opinion nationale sur le patrimoine immobilier du chef de gouvernement.

Dans ce communiqué qui accuse manifestement Youssouf saleh Abbas, plutôt qu’il ne le disculpe, la direction de la communication tente une naïve explication en soutenant que « Le Premier Ministre n’a jamais pris un seul sou du Trésor Public pour s’acheter « une quelconque maison » », rappelant au passage que les dispositions de l’article 104 de la Constitution ont été scrupuleusement respectées avant l’entrée en fonction du chef du gouvernement. L’explication aurait pu s’arrêter là et il appartiendra à chacun de se faire sa petite opinion sur ce « petit détournement » par un « grand Monsieur » qui a les moyens d’en détourner plus vu sa position hiérarchique dans un système politique maffieux. Hélas ! Quand on veut se faire Avocat sans en avoir ni les compétences ni le talent, le risque de s’envoyer soi-même derrière les barreaux est bien grand. C’est ce qui aurait pu se passer si le Tchad est un Etat de droit.

Le communiqué de la Direction du Premier ministre accuse, en effet, ce dernier de « corruption passive ». Dans une tentative désespérée de tromper la vigilance de l’opinion parce que l’information de tchadactuel n’était curieusement pas fausse, les communicants d’YSA affirment à qui voudrait les croire qu’ un « terrain d’acquisition récente d’une superficie de 11 000 m2, situé en face du 1er terrain et dans le même quartier, est totalement nu. Ce terrain est gracieusement offert par ses amis qui se proposent également d’apporter leur contribution pour y construire une villa à usage d’habitation à Son Excellence Monsieur le Premier Ministre. ».

Ce terrain de « 11 000 m2 » est donc situé à Sabangali comme la précisé tchadactuel. Pis, il n’est pas compris dans le patrimoine du Premier ministre déclaré conformément à l’article 104 de la Constitution puisqu’il est « d’acquisition récente » selon le communiqué. L’explication aurait pu encore s’arrêter là. Deux fois hélas ! La Direction de la communication a juré de « laver plus blanc que blanc » son héros afin d’éviter que sa pureté ne soit polluée par des personnes malintentionnées : « Ce terrain est gracieusement offert (au PM) par ses amis » lâche-t-elle dans sa tirade fort boiteuse et accusatrice sans toutefois citer les noms de ces donateurs. Le communiqué aurait pu encore s’arrêter là. Trois fois hélas ! La direction de la communication a voulu fabuler pour conserver le préjugé d’ « honnête homme » favorable à Youssouf Saleh Abbas depuis la Conférence Nationale Souveraine de 1993. Dans une incroyable chute, le communiqué prévient « l’opinion nationale et internationale » que ses « amis se proposent de construire une villa à usage d’habitation à Son Excellence Monsieur le Premier Ministre. » . YSA aura donc sa villa là où a indiqué tchadactuel. Mais ce n’est pas avec l’argent de l’Etat. Ce sont des amis qui ont pensé à ce « pauvre Premier ministre » qui ne dispose pas d’un toit digne de son rang parce qu’ayant passé l’essentiel de son existence à l’extérieur du Tchad.

Tout cela est ridicule. Les internautes qui ont réagi à chaud se sont d’ailleurs bien gaussés de ces enfantillages de la « Dircom » qui feraient sourire des marmots de 5 ans. « Qu’ils sont généreux les amis d’YSA !» s’exclamait Torna depuis Bangui (RCA) quand ce n’est pas Waldar qui attribue un zéro pointé à YSA face à tchadactuel.

Il ne faut pas avoir peur de le dire. Le communiqué de la Primature est un aveu de corruption passive qui cherche à se draper du voile de la transparence (excusez des paradoxes du Français). Lorsque Youssouf Saleh Abbas n’était pas Premier ministre, aucun « ami » ne lui a proposé le moindre sac de ciment pour construire « une villa à usage d’habitation » sur le terrain de « 2040 m2 au quartier Sabangali acquis grâce à des prêts contractés auprès de plusieurs banques de la place ». Ce terrain était pourtant « clôturé et dispose d’une fondation et de plusieurs installations » comme le souligne le communiqué.

Ces subites générosités qui couvrent le PM de cadeaux de bienvenues sont connues dans notre pays. Elles ont très souvent pour origine des commerçants et autres entrepreneurs rompus dans l’art de la corruption qui n’hésitent pas à construire des villas ou de simples maisons (selon la position hiérarchique du corrompu) en échange de bons de commandes administratifs et des juteux marchés de travaux publics. Bien entendu, cette corruption ayant un coût, ces commerçants détournent à leur tour l’essentiel l’argent reçu de l’Etat sans s’inquiéter puisque protéger par ces mêmes hauts responsables politiques qu’ils ont corrompus. C’est bien cela « la corde au cou » dont parlait Hassan Ahmat dans une réaction mise en ligne.

C’est un système maffieux construit par la bénédiction d’Idriss Déby que tout responsable politique se doit d’intégrer pour espérer passer un séjour assez long à son poste. Voilà ce qu’on me dit au moment où j’écris cette chronique. Je vous laisse la responsabilité de cette explication. Quant à moi, je vois désormais en YSA un homme politique tchadien guère différent des autres hommes politiques ayant profité de leurs positions pour se laisser offrir de misérables cadeaux par des gens qui exploitent sans retenue l’état d’impunité qui ronge malheureusement tous les arcanes de l’administration publique.

Fraîchement nommé Premier ministre, il était encore animé de cet esprit qui caractérise tout homme honnête. Dans un discours éloquent et rempli de promesses, Youssouf disait qu’« Il est intolérable que des citoyens s’enrichissent sans scrupules par les détournements et la corruption, alors que nos populations croupissent dans la misère et que le Chef de l’Etat fait de la lutte contre la pauvreté son cheval de bataille ». Il disait vouloir faire de la lutte contre la corruption, « un impératif majeur » jusqu’à lancer ce défi : « A ceux qui doutent de notre capacité, je leur demande de nous juger sur les actes. ». On attendra certainement pas le jugement dernier comme le préconise un internaute. Vous serez jugé ici-bas un de ces jours pour déterminer la licéité de ces donations qui vous ont été faites alors que vous étiez à la tête d’un gouvernement qui se devait de lutter contre la corruption. Présumé innocent, vous n’êtes pas encore coupable Monsieur le Premier ministre. Pas encore !

Lyadish Ahmed


Commentaires sur facebook