Institutions publiques tchadiennes : "oser et savoir risquer".

Retour sur le message de fin d’année du président de la République du Tchad

Les discours présidentiels de fin d’année sont généralement des occasions où les chefs d’Etat font le bilan de l’année écoulée et tracent une nouvelle ligne de conduite pour l’année qui commence. Ce qui nous a amené à nous intéresser au discours de fin d’année 2009 du Président de la République du Tchad.

Un certain nombre d’éléments du discours ont retenu notre attention. Nous nous réjouissons de constater que l’ensemble de ces éléments vont dans le même sens que nos observations constructives et critiques des dysfonctionnements de nos institutions publiques, notamment ceux de l’Ambassade, Mission permanente du Tchad à Genève. Ces mêmes observations ont par ailleurs été formulées par d’autres tchadiens dans divers autres domaines.

En effet, de ce discours, nous retenons :

  • la primauté des intérêts supérieurs et des attentes du peuple tchadien ;
  • la paix, l’intégration et la stabilité sociale comme conditions fondamentales pour le développement et le bien-être des populations ;
  • la nécessité de la mobilisation de nos ressources et nos potentialités endogènes au service du développement du Tchad, en particulier la contribution de la diaspora sous différentes formes : intellectuelles, financières… ;
  • l’existence de talents et de ressources pouvant permettre au Tchad d’entrer dans la modernité ;
  • la reconnaissance de la nature dynamique, courageuse et entreprenante de la jeunesse tchadienne ;
  • la nécessité de recourir à une jeunesse intègre, à la tête bien faite et gardienne des valeurs morales ;
  • l’invitation à des actions novatrices visant la construction d’une nation tchadienne débarrassée de toute exclusion et de méfiance ;
  • l’enseignement comme fondement nécessaire à toute construction d’une société moderne ;
  • l’agriculture et l’élevage comme passage obligé pour le développement du Tchad ;
  • le caractère impératif de la cohésion et de l’observation des règles régissant la bonne gestion des ressources humaines, des moyens matériels et financiers dont on a la charge ;
  • l’amélioration du bien-être des populations comme but ultime.

Cela constitue une grille de lecture susceptible de permettre à chacun d’entre nous, quel que soit son niveau, de suivre et d’évaluer le fonctionnement de nos institutions publiques en général, et plus particulièrement l’efficacité de ceux qui les gèrent. C’est cette même grille qui nous a permis de tirer la sonnette d’alarme sur les dysfonctionnements de notre ambassade à Genève.

Au regard de ce qui s’est passé en 2009, nous lançons un vibrant appel pour que l’on passe concrètement des paroles aux actes. Le fait que cette grille est extraite du discours du chef de l’Etat lui accorde une valeur hautement symbolique ; ce qui, selon nous, donne une certaine légitimité à nos observations.

Cette grille de lecture nous permet de constater que le bilan 2009 du fonctionnement de nos institutions publiques reste mitigé. En fait, d’une part, « la jeunesse intègre, à la tête bien faite et gardienne des valeurs morales » a été gardée en dehors des arènes du pouvoir et des institutions publiques. Au contraire, les « éléphants » se sont efforcés d’écraser la jeunesse en essayant, par tous les moyens possible, de jeter du discrédit et de la suspicion sur ses actions, ses innovations et ses appels au changement. L’une des motivations les plus importantes de ces manœuvres reste la conservation de leurs postes et des privilèges y associés, en se servant des divisions, des fausses informations, des réseaux bien établis et le prétexte d’appartenance politique ; le complexe d’infériorité ou de supériorité aidant. Ce qui est loin de faciliter la paix, l’intégration et la stabilité que le président cherche à promouvoir dans son discours ; en même temps, les chances de s’adapter à l’évolution rapide du contexte international et à ses nouvelles exigences s’éloignent du fait de cette mise à l’écart de la jeunesse détentrices de nouvelles capacités conformes à ces exigences.

D’autre part, les talents, les ressources et les potentialités de la diaspora n’ont pas été suffisamment et pertinemment mobilisés ; même ceux qui se sont permis d’apporter leurs modestes contributions ont été exclus, et leurs contributions ignorées. La diaspora tchadienne n’a cessé et ne cesse d’apporter ses contributions aussi bien par les voies formelles qu’informelles. Cependant, certains chefs de nos représentations diplomatiques ne cherchent pas à entrer en contact avec cette diaspora, mais s’efforcent de filtrer les contacts selon leurs intérêts personnels, jetant aux oubliettes la primauté des intérêts supérieurs du peuple tchadien, ses attentes et l’amélioration de son bien-être. En outre, la peur du changement a prévalu sur les actions novatrices, la plupart des « éléphants » se complaisant dans le statu quo.

Par ailleurs, pour que l’enseignement puisse contribuer à la construction d’une société tchadienne moderne, il est impératif que les tchadiens puissent acquérir des connaissances scientifiques et techniques modernes. Mais, si nous prenons le cas de l’Ambassade du Tchad à Genève, elle manque de résultats concrets de ce point de vue. Depuis sa réouverture (en 2005), elle ne s’est pas investie dans l’acquisition des possibilités de formation supérieure et spécialisée, plus particulièrement dans les domaines importants pour le Tchad, comme ceux de la santé et de l’énergie .

Au-delà des possibilités qu’offrent les institutions internationales à Genève, la Suisse a par exemple des compétences fiables dans ces deux domaines (la santé et l’énergie), dont le transfert aux tchadiens par la formation peut être utile pour l’amélioration du bien-être de la population tchadienne. Cela nous semble plus efficace que de passer plus de temps dans des réunions qui, la plupart du temps, n’accouchent rien de concret ni de prioritaire pour le Tchad ; il est souvent plus bénéfique de sortir de la diplomatie des « convenances » pour une diplomatie « pragmatique » : la réalité dans laquelle vivent nos populations l’exige !

Rappelons que, d’une part, dans certains domaines vitaux de la santé, le Tchad souffre énormément de carences de compétences. D’autre part, dans son discours de fin d’année 2009, le président de la République est revenu sur la crise énergétique dont souffre la population tchadienne. Il est également revenu sur la langue comme instrument d’intégration ; il serait pragmatique que nos institutions publiques s’investissent dans l’apprentissage de l’anglais et du chinois, deux langues essentielles pour l’intégration régionale et internationale, ou pour les affaires et le commerce.
Quant à la gestion des ressources, plus particulièrement matérielles et financières, elle est loin d’avoir été rationnelle et efficace en 2009 ; elle demeure le talon d’Achille de nos institutions publiques. Le sens des valeurs républicaines peut nous aider à y faire face, à condition que nous nous rappelions du sens de l’école. Comme l’a rappelé le président, « l’école est le lieu par excellence de façonnement du citoyen, d’initiation aux valeurs républicaines et d’apprentissage du civisme ».
Au regard de leur gestion des institutions publiques – plus particulièrement des ressources – qui leur sont confiées, certains de nos représentants se rappellent-ils d’avoir été à l’école ? Si oui, où ont-ils laissé la modernité, la citoyenneté, les valeurs républicaines, le civisme… ? Si non, jugent-ils nécessaires de retourner à l’école pour réapprendre ces valeurs ? En plus, l’école est censée permettre d’apporter des valeurs-ajoutées à la société par le seul fait d’y avoir été. Ces valeurs-ajoutées sont loin d’être visibles pour la plupart d’entre eux.

Les personnes responsables de ces attitudes et situations, que nous venons de brosser brièvement, n’ont pas leur place dans nos institutions publiques ; leurs comportements freinent l’avancée de notre pays vers le développement et la modernité. Des remèdes doivent être trouvés pour que règne la confiance dans nos institutions et en l’avenir de notre pays ; confiance que le président a évoqué dans son discours. Il est insensé que ce genre d’attitudes soient toujours d’actualité à la veille du cinquantième anniversaire de notre accession à l’indépendance. Il faut oser bousculer les habitudes, changer les responsables défaillants et accepter les risques que comporte tout changement.

Talha Mahamat Allim


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