Devrons-nous espérer?
Les arrestations des personnalités publiques opérées à Ndjaména ces derniers mois font germer une lueur d’espoir dans la perception généralement pessimiste des tchadiens. Quand on se retrouve d’année en année à coiffer les listes des pays les plus corrompus du monde, il importe de faire preuve de sensibilité et de chercher à défendre notre amour-propre.
La corruption a atteint des proportions pathologiques au Tchad et on sait que corruption et vol font souvent parcours commun. Bien que le doute continue à planer sur le fait que ces arrestations soient engendrées par le désir de rétablir notre crédibilité, il est important d’y voir un acte qui, à la longue, pourrait dissuader les responsables tchadiens de voler les biens publics sans être inquiétés. Le pillage est devenu presque institutionnalisé et automatique dans les services publics au Tchad. On dirait qu’une cabale de bandits a pris en otage le patrimoine tchadien. L’instinct des gérants de nos biens communs est de s’établir le droit et devoir de se servir sans égards. C’est frustrant de végéter dans la misère en gagnant honnêtement sa vie et de voir le misérable arriviste d’hier vivre à coup de millions de francs par jour parce qu’un poste de responsabilité vient de lui être attribué. Pis, ces millions viennent des redevables et contributions des ces personnes qui ploient dans la pauvreté. C’est une injustice socialisée qui dure depuis trop longtemps et si enfin nous sommes prêts à demander des comptes, c’est encourageant.
Toutefois, pour réussir dans l’œuvre d’établir la transparence dans la gestion des grands biens publics, il est aussi important que chaque tchadien(ne) fasse sa part en respectant le bien qui ne lui appartient pas. S’il n’est pas juste pour un gérant de grand projet piller de gros sous au public, il n’est pas non plus acceptable pour une personne de ménage de s’accorder des faveurs sans autorisation de son employeur. Il n’est pas plus juste pour un(e) employé(e) de s’octroyer l’utilisation des outils du travail à des fins personnelles qu’à un ministre de virer les revenus de projet dans son compte personnel. En fin de comptes, on ne peut voler qu’à la limite de ce qui est disponible et donc que ce soit des milliards ou des fractions de sous, le crime demeure. La responsabilité incombe à tous d’assumer avec honnêteté les taches assignées et d’accepter les compensations établies sans cupidité.
Le seul souci demeure l’inconfortable question de savoir si les vrais coupables sont ceux qui se retrouvent en taule ou s’ils sont là pour distraire l’opinion publique des complices et autres auteurs. On dit souvent au Tchad que les cabris passent tous par le trou créé par leur mère, donc au lieu de perdre le temps à écrouer les cabris, il faut aussi mettre fin aux tendances de la mère à créer des trous. Notre système étatique est tel que les instances de vols, quelle que soit leur ampleur, se passent de toute sanction, et si on peut ainsi voler au su de tous, eh bien, on ne peut que s’y éclater en poussant les limites un peu plus à chaque occasion. Ce qu’il nous faut, ce sont des institutions robustes et équitables qui sont prêtes à servir les intérêts du peuple tchadien au lieu de défendre des flibustiers enrichis aux dépens des citoyens.
Avec ces arrestations peut être symboliques, d’autres questions pertinentes s’imposent : pourrait-on compter sur une justice tchadienne indépendante, aux mains libres pour accomplir son travail ? Comment seront renforcées les décisions qui découleront de ce verdict, et pourra-t-on s’attendre à ce que les coupables remboursent le peuple tchadien pour ses bien volés ? La seule bonne réponse qui pourrait aider à réparer notre image est oui. En attendant, on ose espérer que ce n’est pas un simple règlement de comptes et d’humiliation entre les « grands » gérants.
Devrons-nous espérer? Oui. Quelque soient les défis qui s’imposent, il faut toujours espérer car l’espoir crée la motivation de continuer à se battre pour un jour meilleur.
Evelyne Nagorngar Mayem
evelynmayem@hotmail.com