Les Tchadiens et leur Tchad Chéri: A quand la fin de cet amour-haine?

Les vocables Nordiste et Sudiste sont employés jusqu’à une date récente dans le jargon et parlé des Tchadiens pour designer à la fois l’identité physique, ethnique, religieuse, linguistique, et régionale des personnes habitant majoritairement les deux pôles géographiques du pays. A la longue, ces vocables sont devenus des étiquettes de distinction d’attitudes, de comportements et réactions des Tchadiens ressortissants de ces deux zones géographiques. Par ailleurs, il n’y a aucun groupe ethnique reconnu sous le patronyme Nordiste ou Sudiste au Tchad.

Cependant, la majorité de Tchadiens se réfèrent piteusement à ces vocables pour se cloisonner politiquement et socialement, d’attiser leur haine individuelle et collective et d’assouvir leurs intérêts égoïstes, voire macabres. Ainsi, la division de la population du pays en Nordistes et Sudistes (Doum/Kirdi ou Musulmans/Chrétiens etc.), un héritage des civilisations occidentales habituées aux binaires, n’a servi que d’alibi pour berner la conscience collective des Tchadiens dans leur majorité d’aspirer à une vie sociopolitique cohérente et meilleure en Afrique. Par la suite, les populations tchadiennes sont restées haineuses et amorphes en tant qu’agents du changement/développement dans le contexte politico-social du pays.

C’est le lieu de souligner ici, par rapport au contexte tchadien actuel, que la lutte politique qui doit mener un pays, un peuple, une nation, une démocratie balbutiante etc. au développement durable ne peut se faire et se résumer à de simples vocables, à des communiqués mensongers, soupçons politiques, crépitements de canons, assassinats de tout genre, achats de conscience, délations, épuration ethnique, mercenariat intellectuel et militaire, ou à la prise en otage de la majorité silencieuse par un clan de kleptomanes non représentatif sur l’échiquier politique national.

Pour l’histoire, beaucoup d’habitués des journaux tchadiens en ligne ont sûrement lu, il y a quelques années, le billet d’humeur titré « Cachez ces sudistes…» – qui est encore accessible sur l’Internet!! Ce qui m’intéresse dans ce billet d’humeur ou «enquête » dans les milieux tchadiens ce n’est pas le manque de méthodologie, d’application de méthode scientifique, ou de problème de généralisation des conclusions etc. C’est plutôt sa morale et l’étalage intuitif, cru et incisif par l’auteur – à travers les vocables Nordistes/Sudistes – des maux qui minent les Tchadien(ne)s et leur pays d’émerger comme peuple et nation-état moderne malgré les potentialités de tous bords dont ils possèdent et le pays regorge.

Pour le rédacteur du billet d’humeur susmentionné, il y a une grande partie de Tchadiens qui ont de talents et potentialités, et qui ont fait/font des prouesses aux yeux du monde. Il y a également une autre partie non négligeable de Tchadiens qui émergent et qui aspirent aux mêmes talents et potentialités que les premiers pour atteindre un tant soit peu les mêmes prouesses, sinon plus. Cependant, quoique la statistique donnée soit informelle et ne «repose sur aucune étude scientifique » rigoureuse, cela n’a pas épargné l’auteur de ce billet/article des critiques acerbes des mordus des méthodes scientifiques, tels que connus dans les milieux académiques en occident, qui l’ont lu. Pour ma part, ces critiques ont feint tout simplement d’ignorer qu’il y a mille façons de connaitre/savoir. Du moins, ces critiques se sont intéressés/marrés de l’aspect sarcastique du billet et non le sujet d’intérêt général qu’il portait à la réflexion des Tchadiens. Ainsi, ils ont oublié de suivre « l’œil intuitif » du chercheur-journaliste. Mais je concède à ces critiques une chose: l’auteur n’a pas mentionné comment les « braves et analphabètes Nordistes» entendent-ils sauver/libérer/développer le Tchad avec ou sans la participation des « couards et bien éduqués Sudistes».

Le problème tchadien n’est pas une question de cohabitation ou collaboration difficile. C’est plutôt une question de comprendre comment les Tchadiens dans leur écrasante majorité peuvent-ils arriver à savoir transformer, dans leur fort intérieur, ces sédiments de haine gratuite nourrie et visible par tout le monde en un amour émancipateur pour le bonheur de tous? Car le Tchad en tant que République est en guerre contre lui-même depuis plus de 50 ans. Deby l’a fait reculer de 20 ans et l’a fait avancer ce dernier temps d’au moins 3 ans sur les mêmes considérations haineuses. Quant aux Tchadiens, ils l’ont détruit dès l’aube des Indépendances à travers des haines inouïes nourries en eux depuis la fin de la colonisation française à nos jours. Comme quoi, les Tchadiens vivent ensemble dans un territoire qu’ils prétendent tellement aimer à en détruire chaque jour sans savoir le pourquoi. Si tel en est le cas, peut-on savoir à quand la fin de cet amour-haine entre les Tchadiens et leur Tchad chéri?

Revenant à ce billet d’humeur, il a le mérite de mettre en exergue tout, sinon la panoplie de ce qui constitue la gangrène de l’inconscient politique des Tchadien(ne)s dans leur impasse politico-social et militaire à apporter un changement démocratique radical dans le pays. En plus, il est édifiant non seulement à cause de la banalité de sa « méthode intuitive » basée sur « des idées reçues » dans les deux milieux d’études/d’analyse (Nordiste/Sudiste), mais il contient plutôt assez de vérités sur la psychose et nature politique des Tchadiens en général dans leurs rapports et antagonismes ethno-régionaux, militaires, identitaires, et géo-politico-culturels etc. saupoudrés d’amour-haine entre eux et pour leur propre patrie. Alors, l’expression «Cachez ces Sudistes…», pris à mal un certain temps par les lecteurs en ligne Tchadiens, constitue en tant que tel le parti pris et la morale glissée par l’auteur du billet en question. C’est également un cri de découragement, de dépassement par les événements, de déception, du refus de laissez-faire de l’auteur à l’endroit de ceux qu’il considère, à tort ou à raison, comme « Sudistes Tchadiens ».

De nos jours, il y a une nouvelle catégorie et définition des vocables Nordiste/Sudiste qui brouillent les anciennes considérations qui définissaient ces deux clichés dans le milieu tchadien : l’apparition des «Waradougou » et «Laoukoura ». Aujourd’hui, les Sudistes sont ceux qu’on appelle « les Laoukoura » et qui sont à l’étranger ou sur place au Tchad. Ce sont tous ces ressortissants du Tchad, sans distinction aucune, qui sont éduqués, capables, ayants les potentialités de redresser/transformer la situation du pays, mais qui refusent de s’investir à fond pour y aboutir par peur de mourir, de trahir les siens, de laisser les enfants orphelins, de perdre leurs intérêts acquis chèrement ou aux dépens de la majorité qui souffre dans le pays. Et les «Nordistes » sont la bande des «Waradougou» au niveau national. Ce sont les prédateurs et pêcheurs en eaux troubles de tout genre promus par les régimes tchadiens qui évoluent dans le paysage politico-social actuel au Tchad. Ce sont ceux des Tchadiens, sans distinction aucune, qu’ils soient éduqués ou analphabètes, qui aiment que cette situation de pourriture politique au pays perdure afin qu’ils s’enrichissent rapidement et illicitement à cause de la facilité que le régime actuel offre aux cancres et tarés de la société, plutôt que de les soumettre à un dur labeur pour survivre. Bref, c’est la classe de tous ceux qui aiment attiser la haine, ourdir des complots pour détruire et maintenir le Tchad dans son état actuel pour en bénéficier.

Par conséquent, tant qu’il n’y a pas une refonte totale de ces ’intérêts divergents qui séparent et maintiennent les deux groupes de Tchadiens sur leur propre terroir ou à l’étranger, cet amour-haine négatif entre fils d’un même pays ne produira que d’effet boumerang au niveau politique. Car si les Tchadiens aiment leur pays (comme ils le proclament à travers les résistants, libérateurs et saveurs du pays etc.), ils doivent le prouver, sans complexe, par tous les moyens en cherchant à le sortir du chaos à la veille du cinquantenaire de leur indépendance par le dialogue. Malheureusement on constate sur le terrain que les acteurs tchadiens expriment leur amour du pays par son contraire: la haine débile.

« L’amour n’existe pas. Sinon il n’y a que des preuves d’amour », observe un célèbre chanteur africain. Qui des Tchadiens de l’intérieur, des rebelles-sauveurs, opposants politiques, Président de la République, agents de la société civile, militaires de l’Armée Tchadienne, chefs de partis, Tchadiens de la Diaspora aiment-ils plus le Tchad ? Comme la haine n’a rien résolu des conflits Tchadiens, il faut dès maintenant prêcher l’idéologie de l’amour et de la culture de paix pour espérer changer les mentalités et le pays un jour. A quoi servent les invectives et insultes à base identitaire sur l’Internet, les communiqués/déclarations creuses des partis, des rebellions armées, associations de la société civile, partenaires internationaux, des coalitions militaires et des signatures d’accords (ex:CPDC et Accords du 13 aout 2007) ? Ces communications sont dénuées d’idéologies qui puissent éduquer et motiver les Tchadiens à oublier leurs guéguerres de haine identitaire et se grouiller pour leur avenir et celui de leur pays dans le contexte du développement durable que tout le monde chante.

Aujourd’hui, à cause de cet amour-haine, les Tchadiens et le Tchad n’existent pas en tant qu’entités politiques en Afrique Centrale : sauf, Idriss Deby et le royaume des Itno! En attendant cette prise de conscience et éducation de masse par les media tchadiens, que les vrais « Laoukoura » se grouillent pour que les « Waradougou » disparaissent. Et les Tchadiens dans leur ensemble ont intérêt à commencer à faire l’autocritique de leur haine gratuite qui les tire vers le bas de l’échelle du développement plutôt que de continuer à cracher du venin sur leur président pour qu’il leur fasse la paix. Alors, Tchadien, « Si ton bras te fait mal, coupe-le » mais ne demande pas à ton bras de se couper pour te laisser en paix. Désormais, tu sauras laisser mon Raïs siroter son verre de Johnny et t’occuper à transformer d’abord ta haine nationale avant de le joindre à table.

Laounodji M. Monza
Washington, DC
laoumonzal@yahoo.fr


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