Le 11 août tchadien
Ce 11 août 2010, le Tchad célèbre le cinquantenaire de son indépendance. Compte tenu de la saison des pluies, l’évènement a été reporté au 11 janvier prochain. Mais, je suis persuadé d’une chose : il sera fêté avec de nombreux invités, dans le faste. Comme dans les autres pays. Cependant, que peut-on retenir de ces cinquante d’indépendance ?
Avant la réponse, un constat s’impose. Monsieur Idriss Déby Itno, l’actuel président de la République, a régné pendant près de 20 ans. Sur les 50 printemps d’indépendance du Tchad. Un record, a dit quelqu’un.
Cela dit, de ces cinquante ans, on retient une seule chose : la guerre. Elle a plus préoccupé les Tchadiens. Depuis le 11 août 1960, plusieurs régimes se sont succédé. Dès le premier, la guerre s’est installée. Depuis, elle n’a plus quitté ! De tous ces pouvoirs, l’actuel a fait la guerre pendant 20 ans ! Là encore un record. Pourtant, il est le seul qui, à mon humble avis, a eu plus de chance de conjurer le mauvais sort. De mettre fin à cette guerre, je veux dire.
Tout d’abord les conditions de son avènement à la tête du pays. En effet, les Tchadiens en avaient assez de la dictature et des massacres d’Hissein Habré. Pour cela, ils se sont unis et n’ont pas lésiné sur les moyens de lutte. Et, Dieu merci, ils ont réussi à chasser ce redoutable tortionnaire du pouvoir. Puis, après cela, ils se sont retrouvés lors de la conférence nationale souveraine. Pendant celle-ci, ils ont tout aplani et proposé des solutions idoines aux maux qui ont entravé le développement de leur pays. La feuille de route on ne peut plus claire a été remise à l’actuel président de la République. Pour un seul souci : le bien-être des Tchadiens. Et ce, sans distinction de région et de religion.
Les énormes ressources pétrolières sont venues s’ajouter à une agriculture et un élevage qui assuraient déjà l’essentiel des revenus. Sans compter les énormes ressources mobilisées par les partenaires du Tchad. Hélas, très vite la désillusion s’est installée dans les esprits. Au lieu de mettre en œuvre les vœux de ses compatriotes, l’actuel régime a préféré les fouler aux pieds ! Les fonds pétroliers ont servi à équiper une armée au service d’un clan. Pendant ce temps, un nombre impressionnant de femmes meurent en donnant la vie. En cause, le comportement peu professionnel de nos sages-femmes, l’inaccessibilité de nos structures sanitaires, l’extrême pauvreté des populations, le clientélisme dans les formations sanitaires. La liste n’est pas exhaustive. Des régions entières ploient sous le poids de la malnutrition. La rougeole, le cholera, la méningite, la poliomyélite ont élu domicile au Tchad. Malgré les campagnes de vaccinations avec le soutien massif de nos partenaires.
Ne parlons pas de la scolarisation des enfants : d’année en année leur niveau se dégrade. Nous nous souviendrons assez longtemps de l’affaire arche de Zoé. C’est le souci d’une meilleure éducation pour leurs progénitures que les parents des enfants victimes ont accepté les offres de cette ONG. En cinquante ans, la formation de la jeunesse a terriblement reculé. Nos universités et instituts sont des purgatoires, très en déphasage avec les normes internationales. Il faut six ans pour arriver à la licence. Sinon, plus pour les nullards. En cause, les grèves. Elles sont endémiques. Aussi bien des étudiants que des enseignants. Souvent, les premiers revendiquent les bourses. Des broutilles que la somme d’argent nécessaire à l’achat d’un hélicoptère peut permettre au gouvernement de payer pendant des années. Les établissements privés d’enseignement ont poussé comme des champignons. Mais, dans le seul souci de l’enrichissement facile et rapide. Les communautés s’y sont jetées aussi. Avec acharnement mais elles n’ont pas pu arrêter l’hémorragie. Chaque canton revendique un lycée. Tous les villages veulent de leur école. Et ils obtiennent très souvent ce qu’ils désirent. La politique aidant. Mais, la qualité de l’enseignement n’est pas au rendez-vous. Ensuite c’est le désastre ou l’enrichissement des esprits malins. Les ministères concernés sont incapables de lever le petit doigt pour taire le désordre. Conséquences, des secrétaires sortent des instituts avec la mention bien au moins sans savoir démarrer un ordinateur. Des comptables ne savent tenir un journal…
Tous les efforts en matière de démocratisation ont été réduits en cendre. Particulièrement avec la modification de la constitution lors de la parodie référendaire de juin 2005. Du coup, les rébellions se sont créées ou réactivées et nous connaissons la suite. A l’Est, ça a été un drame exceptionnel : plusieurs milliers de déplacés. Ne parlons pas des villages abandonnés ou rayés de la carte. Ajoutez-y les centaines et les centaines de morts, les armées d’handicapés. Parfois, à vie. Retenez vos larmes pour les myriades d’orphelins. Promenez-vous dans les grandes villes du pays. Vous constaterez tout sur les enfants des rues et les mendiants.
Les affres du régime ont atteints leur paroxysme avec les évènements de février 2008 et les inflations de ces dernières années. Cette guerre, qui a touché le cœur de la capitale, a engendré une chaîne de drames dont les conséquences s’étendront sur plusieurs années. L’ordonnance 005, portant régime de la presse en République du Tchad, est venue asséner le coup de grâce à la presse. Bien avant cela, nos médias privés faisaient déjà face aux emprisonnements, aux procès assortis de lourdes peines, à la censure, aux intimidations, etc. souvent, on se croit à l’ère des tristement célèbres Tonton Macoute, Bébé Doc, Pol Pot et autres tyrans.
Le coût de vie devient chaque jour un peu plus cher. Bien malin qui dira le nombre de ménages qui mangent trois fois par jour. Les mesures en vue d’alléger le fardeau semblent galvaniser plutôt les commerçants ! A cela, il faut ajouter les déguerpissements et les mesures impopulaires de la Mairie de N’Djamena. Souvent, sans mesures d’accompagnement. Tout se passe au moment où les matériaux de construction coûtent les yeux de la tête. Elle ne peut même pas faire baisser le prix du sable. Les conditions de vie en saison des pluies sont pires dans la capitale. Partout c’est l’eau. Il faut y circuler, marcher et dormir ! Les habitants de la capitale ne savent pas à quoi servent les caniveaux et les bassins de rétention d’eau.
Sur tout un autre plan, la fibre nationaliste s’est érodée. Les gens ne jurent que par le tribalisme, le régionalisme et la religion. Le pays est fissuré en deux, le Nord et le Sud ! Même la capitale ! Dans les deux camps, les pauvres cherchent le vrai salut. Ils n’y ont que les yeux pour pleurer. Ils pleurent parce qu’ils ne mangent pas à leur faim. Ils pleurent parce qu’ils ne voyagent plus en toute quiétude. Ils pleurent parce qu’ils n’ont pas les médicaments indispensables face aux maladies pourtant bien connues. Quand ce n’est pas le cholera, c’est la méningite ou la rougeole qui sèment la désolation dans les cœurs. Le paludisme, lui, n’a jamais reculé face aux moustiquaires imprégnées. Ils pleurent parce qu’ils sont abandonnés face à des meutes de rapaces d’un autre âge. Les populations croupissent sous les amendes forfaitaires des tristement célèbres commandants de brigade. La militarisation de la vie politique ne les a pas épargnés de l’insécurité. Sur toutes les routes les seigneurs du mal font la loi. Les gens ont le sentiment que seuls comptent les rapports de force. La vue d’un homme en treillis est synonyme d’insécurité !
Dans le secteur des affaires, les Tchadiens ont aussi reculé. Les ténors du pouvoir et leurs sbires ont tout pris. La plupart des sociétés d’Etat ont été privatisées. Le Tchad est un des rares pays à n’avoir pas de compagnie de transport aérien. Ses provinces ne sont pas desservies. On citera Toumaï Air Tchad mais pour quels bilans ? Aucun homme d’affaires ne compte sur la société d’eau et d’électricité. Ses délestages intempestifs empoisonnent la vie. Elle est plus connue sous ces aspects que sous la distribution régulière de ses produits. En 20 ans de règne, l’actuel régime n’a jamais pu satisfaire la moitié des besoins à N’Djamena ! Ceux-ci seraient de 200 Mégawatts alors que la capacité de la STEE tournerait autour de 30 Mégawatts ! Et cela, grâce à la Lybie ! C’est auprès de ce pays que le gouvernement est allé mendier des générateurs.
Un des cas est le secteur de l’abattage et de la commercialisation de la viande. C’est un groupe de personnes qui la monopolisent. Souvent, c’est de la carne qu’elles servent aux Tchadiens. Quand elles décident, elles les privent carrément de cet aliment !
Le secteur coton vit la plus grave de ses crises. La société en charge de l’égrainage du coton n’arrive pas à répondre à l’attente des producteurs. D’année en année, la production baisse. Le nombre de ses usines aussi. Elle en comptait une vingtaine aux lendemains de l’indépendance. Aujourd’hui, elles sont moins de dix. Une chute abyssale qui a appauvri les paysans qui vivent de la culture du coton. En depuis d’hivernage, il est fréquent de voir des monts de coton sur la place de certains villages. Et ce sont les producteurs qui en pâtissent.
La classe politique s’accroche à l’accord du 13 août 2007. Tout le monde pense qu’elle débouchera sur quelque chose de concret. Il n’est pas interdit de rêver. Sur le terrain, la réalité laisse déjà entrevoir la suite. Les fraudes massives auront de la détermination de ceux qui croient encore aux vertus de cet accord.
LAOUKOLE Jean,
E-mail : laoukolej@yahoo.fr