Elections 2011 : Y a rien à voir, circulez !!!

Nous entendons par “enjeux“ l’existence d’une problématique de confrontation idéologique, d’intérêts et/ou de changement. La valeur d’une élection en démocratie, c’est sa capacité de renouveler les mandats censés être l’expression de la volonté populaire réelle. Ainsi, après une législature ou un mandat présidentiel, le peuple est consulté à nouveau pour traduire par le vote le transfert de sa volonté en faveur de tel programme ou projet de société promu par tel parti politique et ses candidats.

Au niveau des législatives qui viennent de se dérouler, il n’y a pas d’enjeu idéologique nouveau. Les partis en compétition ont tous à peu près les mêmes propositions, ce qui les vide de leur substance. En effet, dans un pays comme le Tchad confronté à toutes sortes de fléaux récurrents, on ne peut admettre que la majorité présidentielle et l’opposition disent la même chose, autrement dit ces solutions ne seraient pas celles qu’attendent les citoyens. C’est dans un débat contradictoire jusqu’au détail que le peuple pourrait apprécier ce qui lui conviendrait le mieux comme proposition. Mais ces dernières législatives se sont déroulées sur le seul critère de popularité des candidats ou, dans certaines circonscriptions l’enjeu était la survie des leaders d’opposition ou de la majorité présidentielle dans leur fief naturel. La campagne avait pris l’allure d’un combat de gladiateurs où tous les coups déloyaux ont été permis et les charges de haines resteront encore vivaces entre élites locales opposées pendant longtemps.

Le grand piège de ces législatives, pour tous les partis politiques, c’est qu’elles mettent un terme au show business auquel ils nous ont habitué, en se faisant passer pour des privilégiés par le seul fait de détenir une autorisation de fonctionner. Désormais, ceux qui n’auront pas d’élus au sein de la nouvelle assemblée, devront changer de carrière, selon les propres termes des textes qu’ils ont adoptés par consensus. Il devrait y avoir moins de politiciens en circulation donc, ce qui n’est pas une mauvaise chose pour un pays qui stagne dans ses vieilles contradictions entretenues…

Malgré la crédibilité entamée de ces élections législatives, les contestations, même si elles devraient être retenues par le Conseil Constitutionnel pour certains, ne modifieront pas sensiblement la configuration politique du pays actuel. Le statu quo est de mise, car proportionnellement cette configuration est la même que celle de l’ancienne législature prorogée à 9 ans. On pourrait même dire que l’opposition est en recul net : par exemple, passer de 15 députés en 1996 à 11, 9 ou 7 en 2011 pour un parti d’opposition, avec un nombre plus élevé de sièges de la nouvelle assemblée (185) n’est pas une performance mais un recul, surtout quand on s’est beaucoup investi dans le processus de l’Accord du 13 août 2007. C’est une contre-performance par rapport à l’adhésion de l’opinion publique qui semble voter par défaut plutôt que par enjeu.

Maintenant, quand on projette ces données sur les perspectives des présidentielles à venir, il n’y a même plus d’enjeu ! En effet, si le statu quo est de mise au niveau parlementaire, que l’ambiance de l’hémicycle serait la même que ce qui a toujours été, les présidentielles deviennent une simple routine de confirmation pour satisfaire à un calendrier convenu. Il est difficile mathématiquement de penser, sans une vraie dynamique unitaire qui a manqué aux législatives, qu’une entité politico-régionale ou régionaliste arrive seule à reconquérir en moins de deux mois cette majorité des urnes qu’il lui faut pour être proclamée élue ? Nous ne serons plus dans le schéma d’un éventail de candidatures locales au choix des électeurs. Autour du fauteuil présidentiel, ce sont tous les démons du passé qui hantent encore l’esprit des uns et des autres qui vont se déchaîner.

Si les mécontents du système devraient manifester leur ampleur à travers le pays, ils ne pourraient le faire utilement que dans le cas d’une candidature unique consensuelle de l’opposition. Or, ce sont les leaders d’opposition eux-mêmes qui, par le même orgueil et la même légèreté qui les avaient perdus dans les consultations passées, refusent aux potentiels électeurs de l’alternance cette possibilité. Nécessairement, ils renforcent eux-mêmes la probabilité d’une majorité en faveur du camp du président sortant, qui semble avoir une logique plus cohérente, surtout en réussissant à s’allier le soutien de grosses pointures électorales confirmées. On constate, par ailleurs que l’opposition se maintient facilement dans les zones où la population se considère systématiquement abandonnée, discriminée ou spoliée par la gouvernance actuelle, notamment en matière des investissements publics.

Finalement, l’on se retrouve au schéma de 1996, avec en moins la ferveur populaire. Car le bas peuple est encore loin de tout cela. On fait donc du sur-place au Tchad avec la classe politique actuelle et la déconnexion populaire fragilise le poids réel des leaders politiques, toutes tendances confondues, qui tiennent en coupe réglée le peuple dans leur giron. Ils ne boudent que quand leurs intérêts immédiats sont menacés. Ils sont peu regardants et vigilants, au point de faire de la contestation systématique une arme pour éviter de considérer leurs propres turpitudes. C’est le signe évident d’un vieillissement, d’une usure du jeu politique au Tchad. Mais ça, personne ne veut l’entendre : l’orgueil mal placé, la fanfaronnade et la légèreté ont été les vertus les mieux partagées depuis l’époque des tendances. Le Tchad est malade de ses propres enfants !

La démocratie tchadienne n’a pas d’ancrage réel dans la vie quotidienne des citoyens. On passe d’une série de consultations électorales à une autre sans faire de grandes avancées sociales, culturelles et économiques. Pendant longtemps, le spectre de la menace politico-militaire avait affaibli le principe démocratique dans son essence et sa portée. Une bonne frange d’élite a préféré jusqu’au délire l’apologie de la violence à main armée. Les acteurs eux-mêmes se prennent rarement au sérieux. Certaines tendances dites “dures“ de l’opposition se sont construites uniquement sur la diabolisation à outrance du pouvoir actuel mais n’ont pas démontré elles-mêmes dans les sphères protégées de leur influence une grande capacité d’innovation et de différence. En vingt ans, on a passé de l’ancienne économie cotonnière à l’ère pétrolière, sans que les forces politiques aient pu privilégier l’économie et le social dans leur rhétorique. Idem dans la conjuration définitive des conflits violents et armés (rebellions, affrontements intercommunautaires, conflits fonciers et domaniaux, chômage des jeunes, etc., sont des thèmes où l’apport de la classe politique a été très négligeable voire parfois négatif).

Par endroit, l’identité politique et l’identité tribale ont été presque confondues, rendant difficile la promotion de synergies de développement consensuel : soit c’est le camp du pouvoir soit celui de l’opposition qui agit négativement dans ce sens, au gré des intérêts et des humeurs des meneurs. Et la population est toujours perdante à ce jeu politicien. Parfois, on a l’impression d’une emprise d’une véritable oligarchie de l’un des camps qui, seul, fait la pluie ou le beau temps. Finalement, l’on se demande si les partis politiques au Tchad ne sont-ils pas les reflets et leviers des clivages et des antagonismes qui minent depuis toujours l’émergence d’un véritable Etat de droit moderne et progressiste ? Il y a manifestement beaucoup à faire, déjà au niveau de la classe politique et des élites, pour les mises à jour et la moralisation. Ce qui fait que le processus actuel évolue sur des béquilles. Etait-ce l’échec irréfutable d’une génération politique ? Seuls les évènements futurs prévisibles et imprévus nous le diront ! Et sous cette réserve, il n’y a rien à voir, circulez !!!

Enoch DJONDANG


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