Un consensus inévitable pour sauver le Tchad
Les derniers événements de Abou Gouleïgne et de Kapka entre les éléments de Nouri et de Timan contre l’Armée Nationale Tchadienne (ANT) de Idriss Déby Itno nous donnent la sueur froide. Et pour cause ! Le Président, qui a dirigé personnellement les combats, y a engagé du matériel sophistiqué, acheté à prix d’or avec l’argent du pétrole et les meilleurs éléments de sa protection composée de jeunes, surtout de son clan et de sa famille.
La casse subie par l’ANT est à la mesure des moyens employés et de la détermination des hommes de Mahamat Nouri et de Timan Erdimi. Et pourtant ce ne sont pas les derniers combats comme l’espérait le locataire du Palais Rose. Tout porte à croire que des explications encore plus dures auront lieu entre Deby, Nouri et la bande à Timan. Les préparatifs vont bon train de part et d’autre.
Qui eut cru ! La bande à Timan est sortie de sa tanière. Elle s’est promenée jusqu’à Kalaït, puis est revenue à Matadjané. Le grand manitou du Palais Rose, observant le mouvement a ri. Comme un chat voyant une audacieuse souris s’éloigner de son terrier, il crut en faire une bouchée ! Après avoir laissé Timan et ses combattants errer dans le désert et pensant qu’ils seront à court de carburant, il choisirait ce moment pour la macabre fête. C’était oublier que le singe avait dit à la panthère lorsqu’il eut échappé à ses griffes : « j’ai gardé un tour pour sauver ma progéniture !». Timan emmena les siens loin et en ordre. Il traversa le Biltine au grand étonnement de ceux qui pensaient que c’est là qu’aurait lieu le choc frontal. Puis Kalaït et là IDI vit que son redoutable neveu avait plus d’une idée dans la tête. Les gens du RFC cherchaient à s’approvisionner en vivres et en carburant. Or Kalaït était bien la grotte d’Ali Baba. Tout, vraiment tout venant de Libye était stocké là avant de prendre toutes les directions de l’Est du Tchad. C’est pourquoi l’hélicoptère guidé par les mirages français devait bombarder les dépôts. Entre temps, les rebelles se sont déjà approvisionnés à la surprise de l’ANT. Et en un temps deux mouvements, ils se sont éloignés en prévision des faits et gestes de l’ennemi.
Cette sortie de Timan réactualise sa réputation d’«homme intelligent, respecté et craint ». Il a réussi avec ses hommes à déjouer tous les calculs de son oncle de Président. Et à Kapka, Timan a tenu tête à l’armée tchadienne deux jours durant. Non seulement cela, mais il a infligé une lourde perte à ceux qui pensaient déjà l’écraser et l’emmener attaché à l’Arbatachar sur la place de l’Indépendance ; « Kafir Wadar ! ».
Ces faits de guerre passés, des jours à venir présagent des événements politiques majeurs. Ceux qui doutaient des affrontements armés entre parents et frères zaghawa bideyat se sont trompés. Il y a bel et bien un problème politique profond dans la famille. Nous avons vite oublié qu’il y a eu des désertions dans la garde présidentielle qui ont donné lieu à une rébellion organisée et menaçante en lieu et place du MDJT déclinant mais non éteint. A vouloir oublier ces faits, beaucoup d’éléments pour l’élaboration d’un consensus futur peuvent nous échapper.
C’est indéniable que sans Timan le pouvoir de Déby ne pouvait s’asseoir et durer. Pour atteindre cet objectif, l’intelligence de Timan a dû jouer pour rabattre les hommes et les femmes aux compétences et talents divers. Mais la décision finale relève du chef. Et IDI fut et reste un homme autoritaire et paresseux. Il n’aime pas se cultiver. Lisant peu et écoutant beaucoup de ragots, il aime les effets du pouvoir que le pouvoir lui-même, oubliant à l’occasion que le pouvoir c’est d’abord le respect des lois et des règles. L’oncle de Président veut jouir de son pouvoir et ne veut être tenu par aucune règle. Chaque jour que Dieu fait, il dilapide les fonds publics, donne en cadeaux véhicules et autres biens de l’administration, vend à qui il veut les immeubles et terrains de l’Etat. Vouloir gérer un Etat en dehors de toutes normes et toutes éthiques a créé très tôt des divergences entre les intellectuels zaghawa- furent-ils de la famille-et le Général du Palais Rose. Et le comble fut atteint lorsque le Général voulut se déclarer Président à vie. Timan et les autres militèrent pour l’alternance, fut-elle dans le clan. Des divergences il y en a eu dans la famille, une partie du clan était opposée à cette conception archaïque du pouvoir qui animait IDI. Ce ne sont pas seulement les lettrés qui ont contesté la manière de faire de IDI. Ses propres garde-corps étaient mécontents des lédas bourrés d’argent que les dames chargées d’agrémenter les nuits troublées du Général sortaient avec de ses appartements. Alors qu’eux veillaient à la porte et n’avaient pas reçu leurs soldes depuis des mois. C’était avant la manne pétrolière. Les ressources étaient rares et les salaires n’étaient pas payés mais le Président avait fait main basse sur le trésor. Les mécontentements générés par ses fastes et ses jouissances grossières, à l’allure d’un roi médiéval ou d’un calife, ont produit les premières tentatives de coup d’Etat que Déby s’est vite dépêché de mettre sur les Erdimi.
Le pouvoir sans règle et sans éthique de IDI est porteur de tous les maux qui accablent et rongent le Tchad. Que ce pouvoir ait profité à certains, c’est indéniable. Mais plus que jamais la remise de l’ordre dans le pays doit être l’objectif principal. Remettre de l’ordre, à la suite du régime de Deby, car il y aura bien une fin, c’est tout un programme. Il exige des hommes et des femmes qui connaissent les rouages de l’Etat et les peuples du Tchad. Il s’agit, en effet, d’élaborer une nouvelle plateforme consensuelle sur le pouvoir, sa gestion et son éthique. Que l’alternance soit inviolable et que les droits des peuples soient respectés. Comment peut-on parvenir à celà sans modifier la constitution ? Or un des points du blocage dans toutes les négociations passées entre Déby et ses opposants c’est qu’il ne faut pas toucher à son pouvoir. L’article 1 de l’accord de Syrte dira par exemple : respect total de la constitution de la République. Déby veut rester le seul maître à bord. Alors pourquoi toutes ces rébellions ? Est-ce seulement à cause des rivalités personnelles et claniques ? Répondre par l’affirmation c’est être à côté de la plaque ! Remettre de l’ordre dans le pays, c’est réorganiser les institutions juridiques et administratives pour que l’autorité de l’Etat soit effective et l’efficacité des administrateurs jugeables aux résultats. Comment arriver à ces résultats sans connaître les rouages de l’Etat, les hommes qu’il faut à la place qu’il faut, les réalités locales et les populations qui doivent être administrées ?
Qui veut l’ordre ne peut passer sous silence la question de la réorganisation des forces de défense et de sécurité. Toucher ce problème, c’est ouvrir la boîte de Pandore ! Cette armée nationale que nous voulons est un rêve. Elle le restera encore longtemps si un vrai consensus politique n’est pas trouvé pour sa constitution et ses missions.
L’ordre c’est aussi le civisme, le respect de la chose publique, le respect de soi-même, de l’autre, de ses biens, vivre en harmonie avec les autres etc. Comment faire respecter ces valeurs par les tchadiens après tous ces cloisonnements et égoïsmes consolidés par le régime de IDI ?
Ceux qui ne voient pas l’ampleur de la tâche et des sacrifices à faire pour que notre pays ressemble tant soit peu aux autres du continent, pour ne pas dire de la région, nous enfermeront toujours dans les querelles de cloché pour nous empêcher d’entreprendre les réformes nécessaires. Ce travail pour un vrai changement a besoin de tout le monde. Certainement pas à n’importe quel prix et avec n’importe qui. Les hommes qui se battent, les armes à la main, sont concernés en premier lieu. C’est pourquoi l’entente entre toutes les organisations armées est incontournable. Le consensus entre tous les acteurs politiques est inévitable. Le contenu de ce consensus dépend de la maturité politique des tchadiens et de leur capacité à solutionner les maux dont souffre leur pays depuis des décennies. Faut-il le rappeler, le pouvoir de Déby ne peut faire du neuf dans notre pays. Il n’a ni les idées, ni les ressources humaines adéquates. Nous nous souvenons de Machiavel, ce faiseur de tyran. Il avait soutenu pour justifier sa théorie de l’usage de la force, qu’il raisonnait à partir des hommes réels et de la société réelle. Le Tchad dont il est question ici est un pays réel, habité par des hommes réels avec des faits réels. Qui eut rêvé de le transformer doit tenir compte de ses bandits, ses commerçants, ses marabouts, ses prêtres, ses intellectuels et ses politiciens. Ce sont les éléments d’un même peuple qu’il ne s’agit pas d’inventer. Si par le passé nous n’avons pas pu changer ce Tchad, c’est parce que nous n’en avons pas tenu compte. Doit-on accepter aujourd’hui, après 40 ans de guerre civile, qui a détruit hommes, terroirs, économie, écoles, hôpitaux et assombrit notre avenir à nous tous, que nous soyions incapables d’un minimum d’unité et d’entente autour de quelques idées clés pour reconstruire notre pays ? Sinon il faut jeter aux orties ces pensées basses qui voudraient que certains d’entre nous soient toujours exclus ou marginalisés des débats et décisions engageant notre devenir commun.
Timan est comme Kladjim, Nouri, Adoum Yacoub, Dadnadji. Chacun a soutenu Tombalbaye, Habré, Goukouni et Déby. Autour d’eux se sont agglutinés des gens malintentionnés ou aimant leur pays. Et dans leur cohorte des malfrats, des profiteurs de tous poils ont fait la pluie et le beau temps sous l’œil bienveillant du pouvoir exécutif qui, à l’heure actuelle, est incarné par un homme qui a réussi à faire l’unanimité des différentes ethnies contre lui y compris la sienne. Comment continuer à accepter les donneurs de leçons gratuites et les ingénieurs des travaux finis alors que le changement est à l’ordre du jour ?
Correspondance particulière – Kamis, Wardougou, Eriteïro et Nadji.