La position française retarde l’envoi de troupes au Tchad – IPS

Le déploiement d’une troupe européenne de maintien de la paix dans l’est du Tchad accuse du retard. Une situation qui s’explique notamment par la recrudescence des hostilités sur le terrain et par les craintes de la France — qui compose le gros du bataillon — de voir ses soldats pris entre deux feux.

Initialement, l’Union européenne (UE) souhaitait déployer la mission de l’Eufor, forte de 3.000 hommes, pour la mi-novembre, soit au début de la saison sèche. Entre-temps, les responsables européens ont loupé le coche et, sur le terrain, les hostilités ont repris de plus belle entre les troupes loyales au président Idriss Déby et les rebelles dirigés par Mahamat Nouri.

Le 30 novembre dernier, les rebelles de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) ont indiqué dans un communiqué qu’ils étaient « en état de guerre contre l’armée française ou toute autre force étrangère qui entrerait sur le territoire national ». Les rebelles accusent la France d’agir en faveur du président Déby.

Pour la France, cette recrudescence des combats renforce encore la nécessité d’envoyer, le plus rapidement possible, une troupe de maintien de la paix dans cette région d’Afrique, mais d’autres gouvernements européens mettent cependant en cause le fait que la neutralité de cette force puisse être contestée. Par exemple, Norbert Darabos, le ministre autrichien de la Défense, a mis en garde ses confrères européens contre « un risque direct d’engagement de l’Eufor dans un conflit armé ».

Bien qu’un responsable irlandais, le lieutenant-général Pat Nash, ait été nommé à la tête du commandement de l’Eufor, c’est la France, l’ancienne puissance coloniale, qui fournira le gros du détachement européen au Tchad.

En théorie, la force européenne disposera également d’une chaîne de commandement et de facilités distinctes de l’opération française « Epervier », dont les soldats sont stationnés au Tchad, dans la capitale N’Djamena et dans la ville d’Abéché, à l’est. Via l’opération « Epervier », née d’un accord bilatéral signé en 1976, la France possède quelque 1.200 soldats au Tchad, dont la mission est de « garantir la souveraineté de l’Etat tchadien ».

Le mandat de l’Eufor précise toutefois que ses soldats seront uniquement chargés d’assurer la protection de quelque 400.000 personnes réfugiées au Tchad, dont beaucoup ont en réalité fui les combats dans la province soudanaise voisine du Darfour en franchissant la frontière entre le Soudan et le Tchad.

Néanmoins, un certain degré d’interdépendance entre les deux missions n’est pas exclu, les troupes de « Epervier » pouvant fournir assistance à l’Eufor en termes de carburant, de transports aériens ou d’aide médicale.

« D’un côté, il est logique que la France guide cette opération », explique David Mozersky, membre de ‘International Crisis Group’, une ONG qui milite en faveur de la résolution des conflits.

« Les Français possèdent déjà des troupes sur place dans une base située dans l’est du Tchad, mais il est important qu’il s’agisse plus que d’une opération française et qu’elle puisse se déployer sous le drapeau de l’UE », dit-il à IPS. « Il faut qu’elle se différencie de l’opération française existante ».

L’UE a officiellement approuvé l’envoi de troupes de l’Eufor en octobre dernier, mais la plupart des gouvernements des 27 pays ont jusqu’à présent rechigné à fournir des soldats. La Suède, les Pays-Bas, la Pologne, l’Autriche et l’Irlande devraient ainsi être les principaux contributeurs de ce détachement de maintien de la paix.

L’Irlande, qui compte envoyer 450 soldats, a récemment appelé ses partenaires européens à fournir toutes les ressources nécessaires afin que l’Eufor puisse mener à bien cette opération. Depuis cet appel, « il y a eu quelques mouvements » de la part d’autres partenaires européens, a indiqué Willie O’Dea, le ministre irlandais de la Défense.

L’Irlande a envisagé d’envoyer un détachement de 50 rangers de son armée au Tchad, mais leur départ a été reporté au début de l’année 2008, en raison de préoccupations liées au manque de soutien logistique et aérien. Le reste du contingent irlandais devra être déployé aux alentours des mois de février-mars. Selon William O’Dea, il faudra au moins trois hélicoptères destinés aux évacuations médicales à Abéché, où seront stationnées les troupes irlandaises.

Bien que le vice-président de la Commission européenne, Günter Verheugen, ait promis de faire « tout ce qui était envisageable » pour envoyer la force promise au Tchad, plusieurs parlementaires européens se montrent sceptiques, comme le socialiste belge Alain Hutchinson, qui appelle les Etats membres à « démontrer qu’il s’agira bien d’une force européenne ».

« Le droit humanitaire a été bafoué durant les affrontements au Tchad et au Soudan », estime le député, ajoutant que plusieurs mois après avoir été approuvée, la force de l’Eufor « n’est pas encore déployée ».

Pour l’eurodéputé espagnol des Verts, Raül Romeya, « la force est excessivement liée à la France, ce qui pourrait avoir un effet défavorable ». Il se dit également préoccupé par les attaques de milices Janjaweed, suspectées d’être soutenues par le gouvernement soudanais dans la province du Darfour et accusées d’incursions au Tchad.

Selon lui, ce sont les actes de violence commis notamment à l’égard des femmes qui sont intolérables. « C’est l’un des tristes exemples de la manière dont les femmes sont utilisées en temps de guerre. Le viol est devenu une arme de guerre, notamment dans les camps de réfugiés, mais également ailleurs dans le pays », dit-il.

Pour Mary Lou McDonald, une députée issue de la gauche irlandaise du Sinn Fein, la « nécessité une intervention au Tchad ne fait absolument aucun doute » parce que la « misère dans cette partie de notre monde est devenue intolérable », dit-elle. Mais elle met en garde contre une mission dominée par la France, car elle serait « presque provocatrice » et « vraiment imprudente ».

Quant au conservateur allemand Bernd Posselt, il estime que les gouvernements européens mettent beaucoup trop de temps à déployer cette mission. « Nous avons besoin de l’expérience de la France, mais nous devons également impliquer l’Union africaine et la Ligue arabe. Pour le moment, elles semblent réticentes à s’engager, mais cela ne doit pas nous éloigner de l’objectif ».

David Cronin


Commentaires sur facebook