A N’Djamena, mensonges contre mensonges – L’Humanité

Tchad . Au deuxième jour du procès de l’association pour enlèvement, inculpés et témoins se sont renvoyé les uns aux autres la responsabilité du fiasco.

Entré libre comme simple témoin, Mahamat Eritero est ressorti samedi menotté du tribunal de N’Djamena. « Je le mets en détention jusqu’à lundi pour qu’il reste à la disposition du ministère public », a expliqué le président de la cour criminelle, Ngarhondo Djidé. Les deux points levés en signe de victoire, Me Lorenzo, avocate de l’Arche de Zoé depuis le début de l’opération, s’est alors tournée vers le box des accusés. Éric Breteau, le président de l’association, lui a répondu par un large sourire et un hochement de tête. Au deuxième jour du procès pour enlèvement des six Fran- -çais et de quatre de leurs intermédiaires locaux, ce coup de tonnerre est un succès pour l’Arche.

Une mise en détention surprise

« Ça fait deux mois que j’attends d’être confronté à M. Eritero et je vais savourer ce moment », avait d’ailleurs lancé Éric Breteau en venant déposer à la barre. Face à la contradiction, l’argumentation d’Eritero, ancien commandant de l’armée et Zaghawa, l’ethnie du président tchadien, s’est écroulée. Celui qui s’était présenté comme un simple loueur de voitures est apparu, lors des confrontations, comme le principal responsable de l’envoi à l’Arche de 15 enfants originaires de Tiné, ville située sur la frontière entre le Tchad et le Soudan. Connaissant personnellement le sous-préfet de la ville pour avoir été son garde du corps dans l’armée, c’est lui qui a transmis les demandes de l’association, à qui il a ramené les enfants en prétendant qu’il s’agissait d’orphelins soudanais. L’arrestation, même momentanée, de cet homme, dont la non-inculpation souligne les protections, marque une prise d’indépendance de la justice tchadienne, d’ordinaire empêchée de sanctionner un Zaghawa. Me Padaré, un des avocats des Français, laisse entendre que les autorités locales se sont organisées avec Mahamat Eritero pour extorquer ses clients.

En fin de journée, un deuxième coup de théâtre est venu apporter de l’eau au moulin de l’Arche de Zoé. Convoqué comme témoin, Moktar Fadul, l’employé de l’association qui a fait le lien avec Eritero, sort de sa poche une facture émise par la municipalité de Tiné et datée du 23 octobre. Ce document, qu’il n’a pas eu le temps de remettre à Breteau avant son arrestation, réclame à l’association française le remboursement des frais occasionnés par la recherche, pourtant jamais effectuée, des enfants au Soudan. La révélation est un revers pour le maire et le secrétaire général de la mairie de Tiné, inculpés de complicité d’enlèvement, qui avaient plaidé leur innocence.

Les français marquent des points

Pour les membres de l’Arche, la journée a été bonne. Dans la matinée, Souleimane Ibrahim Adam, accusé lui aussi par Breteau d’avoir trompé les Français sur l’origine des 63 enfants qu’il avait amenés dans leur base d’Adré, l’autre ville fron- – – talière où l’Arche a opé- ré, a multiplié les contradictions et les erreurs. Soudanais d’origine, il affirme avoir fui les attaques dans son village du Darfour, alors qu’il est présent au Tchad depuis six ans, bien avant le début du conflit dans sa région natale. Perdu, ne comprenant pas le français, otage d’une traduction tellement imprécise qu’elle fait réagir le public, protégé seulement par un avo- cat jeune et commis d’office, Souleimane s’est enfoncé dans des incohérences.

Combien de ses enfants a-t-il envoyé à l’Arche ? Il répond quatre garçons, puis précise que trois sont des

neveux, avant de dire qu’il n’a que des filles et que l’on comprenne que le dernier est son petit-fils. Me Lorenzo donne le coup de grâce au vieil homme qui soutient que les enfants allaient quitter la base d’Adré. « Pour- quoi avez-vous continué à amener des enfants à la base d’Adré jusqu’à la mi-novembre alors que les premiers transferts vers Abéché ont commencé le 25 septembre ? » Souleimane se contente de répéter que le jour où il a trouvé les locaux de l’Arche à Adré vides, il s’est précipité à Abéché pour savoir ce qu’étaient devenus les enfants. Dans le box des accusés, les Français marquent des points.

Camille Bauer


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