Arche de Zoé : l’heure du marchandage ? – L’Humanité

Tchad . Dans leurs plaidoiries, les avocats des parties civiles ont accusé lundi l’Arche de Zoé d’avoir bafoué les lois et la morale. Ils demandent d’importantes réparations financières.

Combien l’affaire de l’Arche de Zoé va-t-elle rapporter au Tchad ? En attendant le verdict, qui pourrait être prononcé aujourd’hui et fixer le montant final des réparations octroyées aux familles des enfants que l’association française a tenté d’emmener en France et à l’État tchadien, les parties civiles ont lundi fait monter les enchères. « En réparation, nous demandons qu’Éric Breteau soit déclaré coupable et le paiement pour chaque enfant de 650 millions de francs CFA, soit 1 million d’euros », a lancé Me Laminal Ndintanmadji de sa voix aiguë.

humiliation de « toute une nation »

Face aux juges et aux jurés de la cour criminelle de N’Djamena, la petite avocate parle de « préjudice incommensurable » et de l’humiliation de « toute une nation ». Lyrique, elle a rappelé les larmes des parents devant les photos de leurs enfants, leur désarrois « pour toute une confiance qu’ils ont donnée à cette ONG qui s’est dite humanitaire et qui ne l’était pas ». Elle évoque le « traumatisme » de ces parents, désormais traités par leur communauté comme des « vendeurs d’enfants ».

« La nationalité n’a aucune importance. Les gens ont été bernés », a estimé Me Magoir, pour les familles des 103 enfants. « Est-ce qu’une remise volontaire peut se traduire par une déportation », a-t-il souligné, en réponse à la défense, qui avait insisté sur le fait que les intermédiaires avaient trompé l’association en lui confiant des enfants présentés comme orphelins et soudanais.

Plusieurs avocats ont rappelé que l’association avait menti. Moins de quinze jours après avoir adressé un ordre de mission aux autorités tchadiennes pour un projet de centre d’accueil d’enfants vulnérables d’une durée de deux ans, elle commençait les démarches auprès de la société Cargo Leasing pour la location d’un avion. Présentés comme une autre preuve de manipulation, les contrats de deux ans établis avec les loueurs de voitures et de maisons à Abéché ont servi de base à une autre demande de réparation s’élevant à près de 300 000 millions de CFA, soit un demi-million d’euros.

L’opération de l’Arche de Zoé au Tchad est illégale, ont plaidé les parties civiles.

Philippe Houssiné, avocat de l’État tchadien, a longuement évoqué la convention de Genève de 1951 sur le droit des réfugiés, dont l’Arche s’est servie pour qualifier son opération de sauvetage des « orphelins du Darfour » de légale. Il a rappelé qu’en matière de droit des réfugiés c’est la loi du pays d’accueil, en l’occurrence le Tchad, qui s’applique.

MANIPULATION DES DIRIGEANTS DE L’ARCHE

Les attestations rédigées par Breteau et signées par Souleiman Ibrahim, l’intermédiaire soudanais, mentionnant que les enfants étaient confiés à l’Arche de Zoé ne la couvrent pas au niveau juridique. Selon la convention, seul le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) est habilité à réaliser ce type d’opération. La mention « définitivement » qui se trouve sur ces attestations n’existerait pas non plus en droit international. Quand elle a lieu, l’adoption ne peut se faire qu’au cas par cas et non « en masse », a souligné l’avocat.

« Les biens matériels qui ont servi à l’opération doivent être saisis », a conclu Me Housseinia, en s’appuyant sur la convention sur la criminalité organisée. Il a ainsi introduit une des revendications essentielles du Tchad : la confiscation du Boeing 757 de la compagnie espagnole Girjet qui devait servir à amener les 103 enfants en France.

Devant la cour, Me Meyer, l’avocat français de l’État tchadien, a étayé juridiquement cette confiscation en arguant que Girjet était en infraction avec le droit international. « Pour une évacuation sanitaire, le propriétaire aurait dû demander la liste des personnes qui étaient dans l’avion. » « Si Éric Breteau a toujours menti, c’est qu’il ne voulait pas donner cette liste qui engageait le propriétaire vis-à-vis de l’État tchadien. »

Après avoir commandé mi-septembre un avion de 180 places en affirmant que les passagers seraient choisis avec le HCR, a expliqué Me Meyer, Breteau a changé de discours. À partir de la mi-octobre, il a soutenu qu’il « n’est plus nécessaire de demander un supplément d’information puisqu’une femme extrêmement importante soutenait l’opération ». L’évocation de Cécilia Sarkozy aurait ainsi permis de mettre un terme à la curiosité d’un propriétaire « qui ne pensait qu’à louer son appareil ». « Breteau a voulu jouer, vous allez lui rappeler les règles », a tonné l’avocat. Il a expliqué que l’avion servirait de caution jusqu’au paiement des 4 milliards de francs CFA que le Tchad réclame solidairement de Breteau, de l’Arche et de Girjet.

SAISIE DE l’Avion revendiquée

Cette saisie de l’avion avait été planifiée de longue date. Déjà à la mi-novembre, la dizaine de parents réunis au commissariat d’Abéché réclamaient que l’avion reste sur place « pour le symbole », « pour la mémoire ». Déjà cet épisode laissait percer d’autres intentions, de nature plus financières, de la part des autorités. Cette question pourrait avoir été évoquée dans les négociations pour le retour des Français entre le président Sarkozy et son homologue Idriss Deby. Il sera en tout cas difficile pour Girjet, même en cas de contestation devant les tribunaux, de récupérer son avion bloqué à N’Djamena. L’affaire de l’Arche devrait donc être lucrative pour le président tchadien. Il est bien plus probable que les enfants et leurs familles ne touchent jamais le moindre centime.

Camille Bauer


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