Les proches des six condamnés entre indignation et désespoir – Le Figaro
Jacques Wilmart, le pilote belge qui avait été incarcéré au Tchad avant de bénéficier d’un non-lieu, a qualifié d’ «immonde comédie» la condamnation des six Français.
Peu de temps après la lecture du verdict qui condamne les six Français membres de L’Arche de Zoé à huit ans de prison assortis de travaux forcés pour tentative d’enlèvement d’enfants, leurs proches ont dénoncé un verdict «dramatique» et souhaité une extradition «très rapide» des condamnés vers la France. «Aidez-moi ! Je veux qu’il rentre… Vous savez qu’il est innocent. Au secours !» s’est exclamée Antonia, l’épouse du médecin Philippe van Winkelberg, fondant en larmes en apprenant la décision de la justice tchadienne.
«C’était prévu qu’ils allaient être condamnés. Huit ans, c’est énorme ! C’est dramatique», a estimé Jeanine Lelouch, la mère d’Émilie, compagne et assistante d’Éric Breteau, leader de l’association.
«C’est complètement dément de prendre huit ans pour avoir voulu sauver des vies», soupire Christine Péligat, l’épouse d’Alain, logisticien de l’opération. Jacques Wilmart, le pilote belge qui avait été incarcéré au Tchad dans le cadre de l’affaire, avant de bénéficier d’un non-lieu, a qualifié d’ «immonde comédie» la condamnation des six Français.
L’Arche de Zoé : lourdes peines pour les Français
Reconnus coupables, les six prévenus ont écopé de huit ans de travaux forcés. Le Quai d’Orsay a annoncé peu après le verdict que Paris allait demander aux autorités tchadiennes leur «transfèrement en France».
Dans le box, Alain Péligat se met à pleurer. Nadia Mérimi s’effondre au sol, vite relevée par son avocat. Éric Breteau, imperturbable, vient de se coiffer de sa casquette signée Children Rescue et d’allumer une cigarette. Dans les couloirs du palais de justice, Me Gilbert Collard tonne : «Il n’y a pas de justice au Tchad. Je demande qu’ils puissent tous rentrer en France dès que possible.»
Il est 18 h 40, hier, et la cour criminelle de N’Djamena vient de condamner les six membres français de L’Arche de Zoé à huit ans de travaux forcés, assortis de dommages et intérêts qui, fixés à 4,12 milliards de francs CFA (environ 6 millions d’euros), seront versés aux familles des 103 enfants qui avaient été confiés à l’association.
Aux yeux des avocats de la défense, la sentence est d’autant plus lourde que les juges ont refusé d’établir une distinction entre les responsabilités des différents accusés. Nadia, l’infirmière, Dominique, le logisticien, ont donc été jugés coupables au même titre qu’Éric Breteau, le responsable de L’Arche de Zoé.
En début de journée, l’avocat général, Beassoum Ben Gassoro, a retracé les «manœuvres frauduleuses» menées par l’association «sous couvert d’intentions louables en apparence» , réservant ses attaques les plus rudes à Éric Breteau, «l’homme qui se croit plus intelligent que tous les autres». Contre chacun des six Français, il avait requis une peine comprise entre sept et onze ans de travaux forcés. À l’encontre de l’avis exprimé par le conseil de l’État tchadien, il avait en outre demandé la restitution du Boeing 757 à la compagnie espagnole Girjet. Enfin, il avait prié la cour d’ordonner que les 103 bambins toujours pris en charge par l’orphelinat d’Abéché soient rendus à leurs parents.
Me Collard «mouille» Bernard Kouchner
Dans un climat tendu, les cinq avocats de L’Arche de Zoé ont alors fait valoir les «bonnes intentions» qui ont, selon eux, animé les six Français et demandé leur acquittement. Premier conseil de la défense à intervenir, M e Abdou Lamian, du barreau de N’Djamena, a répondu à ses adversaires de la partie civile qui, lundi, avaient exprimé la colère de «l’Afrique humiliée» en dénonçant les « négriers » de L’Arche de Zoé.
« Je vous demande de juger les accusés non en fonction de la couleur de leur peau, mais en tant qu’êtres humains », a-t-il dit. Il a cherché à placer le gouvernement tchadien devant ses responsabilités en soulignant la misère qui sévit dans l’est du pays : «Il est du devoir de tout État qui se respecte de construire les infrastructures nécessaires à l’épanouissement de ses enfants.»
Saisissant la balle au bond, M e Céline Lorenzon revient ensuite sur les motivations des six Français et explique comment Éric Breteau, «homme au cœur immense, indigné de voir que des enfants meurent tous les jours au Darfour», a conçu son projet d’évacuation vers la France. Doit-on lui reprocher d’avoir voulu offrir une vie meilleure à de petits Africains ? Me Lorenzon ne le croit pas.
Chargé de porter la contre-attaque, voici maintenant Me Gilbert Collard, qui, pour les besoins de sa cause, n’hésite pas à «mouiller» le locataire du Quai d’Orsay. «À l’origine de cette affaire, plaide-t-il, on trouve une certaine doctrine française qui a été élaborée par Bernard Kouchner au Biafra et largement reprise depuis, notamment par Bernard-Henri Lévy.» Comprenez : le devoir d’ingérence suffirait, compte tenu du drame qui sévit au Darfour, à justifier l’équipée de ses clients. M e Collard cite une lettre adressée le 8 août à Rachida Dati et dans laquelle Breteau évoque une opération «originale» et «anticonformiste» , mais sans conteste «légitime» .
Doyen de la défense, Me Mario Stasi se présente le dernier pour brosser un émouvant portrait de Nadia Mérimi, l’infirmière de 31 ans, fille d’un père ouvrier et d’une mère assistante maternelle qui, après avoir soigné de petits malades du cancer à l’Institut Curie de Paris, «s’est lancée dans l’humanitaire parce qu’elle rêvait d’aider les enfants à vivre». «Aujourd’hui encore, elle me demande comment vont les 103 enfants parce qu’elle se fait du souci pour eux», conclut l’avocat.
Éric Breteau, invité à prendre la parole à l’ultime instant de son procès, se lève pour exprimer, du bout des lèvres, une amorce de regret. «Si ces enfants sont tchadiens et si véritablement ils ont des parents, alors nous en sommes navrés et désolés, car notre intention n’a jamais été de séparer des familles», lâche-t-il d’une voix étonnamment calme. Comme pour tempérer son propos, il ajoute : «Ce drame ne doit cependant pas nous faire oublier celui que vit chaque jour la population du Darfour.»