Une justice de couleur – Agoravox

J’ai l’impression qu’on a traité le Tchad et sa justice comme on utilise l’expression « homme de couleur » : avec un respect ostensible et une supériorité subtile.
Qu’on m’entende bien : je comprends la peine, voire l’indignation des familles des condamnés, je suis heureux que ceux-ci soient transférés en France pour y purger leur peine.

Je n’ai pas été scandalisé par les multiples déclarations médiatiques, au Tchad, avant et durant le procès, des avocats de la défense, notamment de Me Gilbert Collard qui s’en est donné à coeur joie, assuré d’avoir un soutien facile. Je relève avec plaisir que le seul qui ne s’est pas abandonné là-bas à cette débauche fut le bâtonnier Mario Stasi qui, sous toutes latitudes, garde dignité, respect et tenue. Je n’ai pas été surpris par les protestations dénonçant le verdict de huit ans de travaux forcés et vitupérant la justice tchadienne. Sans rire, elles m’ont rappelé celles que de plus en plus s’autorise le barreau quand, en France, il veut influencer le cours d’un procès ou mobiliser à son issue, quand la décision rendue n’est pas conforme à ses voeux.

Pourtant, derrière cette contestation classique et en quelque sorte sans frontières, j’ai ressenti des insinuations, une condescendance, presque du mépris enrobé dans une apparente courtoisie, des polémiques qui ne se rapportaient pas seulement à l’administration d’une justice sans doute critiquable, mais à une sorte d’état qui rendait cet Etat naturellement inapte à la souveraineté et au jugement. Cela fleurait, sans vouloir abuser du terme, le colonialisme judiciaire. Lorsque, à l’évidence, des pays disposent de moyens aussi clairement disproportionnés, la seule manière d’instaurer une égalité, même de surface, de sauvegarder, coûte que coûte, les droits de l’homme ici et là-bas, de ne pas offenser les citoyens du Tchad au nom de la citoyenneté française réside dans le style, dans la forme, dans l’hommage que le langage doit savoir rendre, en toutes circonstances, à la pauvreté honorable, à la bonne volonté estimable. Puis-je dire que je n’ai pas perçu cette volonté de ne pas blesser, ce refus de profiter de sa force et de son confort pour ne pas accabler, avec une infinie démagogie, l’autre et ses trop évidentes faiblesses ?

La justice tchadienne aurait été trop expéditive ? Que n’aurait-on pas soutenu si l’affaire de l’arche de Zoé avait été instruite durant des années et tranchée après un interminable délai ?

On a tourné en dérision l’avocat général qui, pour tous les accusés, a requis de sept à onze ans de travaux forcés. On n’a pas compris, ou pas voulu comprendre, que cet espace si large qu’il proposait pour la peine invitait les magistrats, au moins implicitement, à varier les sanctions au regard de cet intervalle lucidement requis. L’arrêt de huit ans serait un déni de justice pour la plupart des avocats ? Ils auraient été plus crédibles si cette outrance ne leur était pas habituelle, même après une administration remarquable de la justice.

Connaît-on, enfin, beaucoup d’Etats qui auraient accepté aussi aisément, en dépit d’une forte opposition populaire, de faciliter le transfert de condamnés dans leur pays d’origine en tenant pour rien un sens de la souveraineté à plusieurs reprises battu en brèche ?

Une justice de couleur. Un respect ostensible, une supériorité subtile. L’arrogance mal dissimulée de l’homme blanc. J’ai pensé à mes collègues tchadiens et j’ai partagé leur humiliation rentrée ou affichée.

Une interrogation pour finir. Une association aurait commis les mêmes actes, pour rester neutre, en France ? Celle-ci aurait-elle toléré l’intrusion du Tchad dans le fonctionnement de ses institutions ? La réponse étant évidemment négative, il faut bien admettre que le « deux poids deux mesures » résulte seulement de l’inégalité des statuts, des pays, des revenus et des images.

La démocratie véritable, pourtant, c’est de penser et d’agir comme si.


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