Le lapsus des discours de la Tabaski et de Mao : un pas en avant, deux pas en arrière
L’exercice du pouvoir, dans un pays comme le nôtre, suppose un homme qui a des qualités et une bonne connaissance de sa société et des lois. Un génie ferait bien l’affaire ! Les dictateurs, grands et petits, qui peuplent nos terroirs, nos villes et nos rues l’auront vite compris ; eux qui, à défaut de savoir protéger leurs pouvoirs, violeront impunément principes, règles et lois croyant ainsi s’éterniser envers et contre tous.
Si la question des qualités est liée à la personne qui exerce le pouvoir, celle de la connaissance des hommes et des lois a été pensée par une foule de philosophes, sociologues et psychosociologues. Qui aura lu Platon, Aristote, Montesquieu, Machiavel, Weber, Lacan pour ne citer que ceux-ci, aura compris l’importance de la question de la méthode qui définit l’exercice du pouvoir, autrement dit les rapports entre gouvernés et gouvernants. Les lunettes de ces penseurs peuvent-elles nous servir à lire notre actualité ?
Notre Président, Idriss Déby Itno, a dit que trop de démocratie tuait la société et trop de liberté développerait l’anarchie. La deuxième affirmation touche la question essentielle de la liberté d’expression de laquelle dérivent presque toutes les autres libertés. Faut-il oui ou non restreindre la liberté d’expression et autres ? Oui, répond le pouvoir. Les états d’urgence qui ont été décrétés en sont les preuves. Mais Raoul Vaneigem a par exemple développé ses réflexions sur le sujet et a dit que « rien n’est sacré, tout peut se dire ». Sur le même sujet une autre autorité gouvernementale avait menacé récemment que ceux qui écrieraient du n’importe quoi, il casserait leur plume ! Oubliant du coup que la question de la liberté et de la démocratie – la matrice mère – est le fondement du régime actuel où il gouverne. C’est d’abord la philosophie et l’engagement du Chef de l’Etat : « ni or, ni argent….. mais la liberté ». Le même régime a décrété, lui-même, sans un vote populaire le 1er décembre « Journée de la liberté et de la démocratie ». Alors doit-on penser que le gouvernement reprend d’une main ce qu’il aurait « donné » de l’autre ? Doit-on penser que ce gouvernement se déjuge, renie ses engagements et fait marche arrière? Ou doit-on plutôt deviner son incapacité à enrayer l’anarchie alors qu’il avait dit que « la kermesse du désordre était terminée». Sinon, on ne peut scier la branche sur laquelle l’on est assis sans penser aux risques des accidents qui en découleraient. Encore faut-il avoir le bon sens, cette loi révélée par la raison et l’expérience de la vie ! Beaucoup d’entre nous ne l’ont pas mais le dire haut et fort serait perçu comme de la médisance faite par esprit de malignité ou par esprit de vengeance. C’est pourquoi il nous faut nous en tenir seulement aux discours des fêtes de la Tabaski et de Mao sur la méthode de gouvernement.
Il faut, d’entrée de jeu, souligner qu’il est temps de régénérer notre pauvre histoire, amollie par dix sept ans d’une démocratie rachitique et d’une lâcheté légalitaire, qui a produit tous ces chefs, grands et petits, qui n’ont pas hésité à nous montrer qu’ils étaient sans peur même lorsqu’ils violaient plusieurs commandements de Dieu – à commencer par ceux qui défendent de tuer, voler, mentir et adorer d’autres divinités que Lui. C’est l’opinion générale qui prévaut lorsqu’il s’agit d’apprécier les qualités de ceux qui nous gouvernent.
La population n’a pas été surprise de constater qu’à peine maîtres du pouvoir, tous ces Césars et autres Mobutu de villages, de petites ou grandes villes – ceux avec lesquels le public était en contact – bien loin de s’exposer, par excès de courage, à des conspirations vraies contre César, se sont mis sur la défensive, en prévision des conspirations imaginaires, même là où ces conspirations n’existaient pas : dans les conversations privées, dans les huis-clos des familles, bref partout où les femmes et les hommes pouvaient se rencontrer et échanger des propos et ce jusque entre les lignes des journaux. Bref, la DDS a repris du service. Et pourtant la majorité, sinon tout le monde, avait accueilli le nouveau pouvoir avec bienveillance et espoir : l’espoir d’une grande nouveauté qui allait commencer par restaurer chacun dans ses droits. Pourquoi donc répondre à cette sympathie par une méfiance injustifiée, destinée à devenir rapidement un tourment public….Pourquoi le pouvoir est-il devenu si ombrageux au point de penser que trop de liberté développerait l’anarchie ? Ne sont-ils pas satisfaits, tous ces petits et grands dictateurs, d’avoir le pouvoir et d’être soutenus avec une grande sympathie par la majorité, celle-ci d’habitude indifférente ?…. Que prétendent-ils encore ?… Que les 9 ou 10 millions de tchadiens fussent convaincus qu’ils étaient les plus parfaits, les purs, les insoupçonnables, les incontrôlables ?….
Non Messieurs ! A partir du moment où il a été clairement dit « ni or, ni argent….. mais la liberté » et soutenu que le 1er décembre est la « Journée de la liberté et de la démocratie », le Chef de l’Etat cesse d’être considéré, par son peuple, comme un lieutenant de Dieu, comme une personne « sacrée ». Son autorité ne peut manquer d’être soumise au libre examen, discutée et même contestée. Autrement dit à partir du moment où il n’est plus besoin, pour gouverner l’Etat, d’avoir des attributs ou des droits divins, et où il suffit d’être un homme, il devait exister, dans un nombre d’hommes sans cesse grandissant, une prétention à se gouverner eux-mêmes et à se partager la souveraineté. « L’idée de la démocratie devait naître, gagner et finalement produire une révolution». L’Etat moderne, né de cette révolution, est devenu presque partout la « chose de tous », c’est-à-dire une république, dans laquelle les institutions et les lois, dépouillées de tout prestige supraterrestre, ne sont plus, pour tous les citoyens, que l’expression d’une volonté nationale ou générale, par laquelle leurs intérêts sont ménagés et leur sécurité assurée. C’est pourquoi, la République est la fin des rois, des sultans et des califes. « L’Etat apparaît dans sa réalité juridique, c’est-à-dire simplement comme l’agent et l’ensemble de tous les rapports de droit que peuvent avoir, les uns avec les autres, les citoyens d’une même nation ». L’on est en droit, sans prétention de donner des leçons à qui que ce soit, de se demander quelle est la disposition d’esprit générale qui doit prédominer, dans cette démocratie, pour qu’elle se conserve, pour qu’elle ne s’affaiblisse pas, pour qu’elle ne finisse pas par se ruiner ?
Ce principe ne peut être, dans tous les cas, la crainte, comme dans la dictature où il suffit que le Grand Chef ait le « bras toujours levé » pour maintenir le peuple dans l’obéissance. Dans la démocratie, en effet, « c’est le peuple qui est lui-même son propre souverain ». Nul ne peut donc le contraindre à obéir aux lois s’il ne s’y contraint pas lui-même. Le principe de la démocratie c’est la vertu disait Montesquieu. Cette vertu, c’est un renoncement à soi-même. Qui est citoyen, dans une démocratie, doit renoncer à l’égoïsme et avoir « une préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre ». Le citoyen doit, non seulement se contraindre lui-même à obéir aux lois, qui sont ses propres lois, mais avoir « l’amour des lois », « l’amour de la patrie », « l’amour de la République ». Et l’amour de la République, explique toujours Montesquieu, comporte « l’amour de l’égalité et de la frugalité » par lequel chaque citoyen « borne son ambition au seul désir, au seul bonheur de rendre à sa patrie de plus grands services que les autres citoyens », et renonce à rechercher, pour son avantage propre, des richesses, des supériorités matérielles qui corrompraient la démocratie en y introduisant l’inégalité. Rien donc n’est plus difficile que la démocratie, et que nul gouvernement n’exige des citoyens plus de vertu. Seuls l’éducation et le bon exemple peuvent établir cette vertu et non la force, la menace, l’intimidation et la coercition.
Nous en faut-il plus pour nous mettre à l’écoute de notre pays et à l’école de la démocratie ? L’humilité serait la première vertu à nous tous pour ce progrès indispensable. La liberté et la démocratie sont les deux valeurs du développement des sociétés au 21ème siècle. De grâce ne reculons pas !
Avec le commencement de cette nouvelle année « paire », sans superstition aucune, nous osons espérer que notre pays retrouvera la paix afin de lui permettre d’amorcer le développement durable tant souhaité et attendu par notre peuple.
Kamis, Wardougou, Eriteïro et Nadji