Un pouvoir coupé du peuple

Les anciens ont défini un type d’Etat (La timocratie) où gouvernent des hommes dominés par la violence, par la colère, mûs par « l’ambition et l’amour des honneurs », « faits pour la guerre plutôt que la paix » et ce, « ayant l’habitude d’avoir toujours les armes à la main ». Le chef de cet Etat est orgueilleux, égoïste et entêté. Comment comprendre autrement les motivations de ceux qui nous gouvernent ?

Dans leur tête il n’y a de la place que pour penser la guerre. Non pas la guerre comme moyen mais la guerre pour la guerre. Sinon, après avoir dépensé mille milliards de F CFA, ils se seraient posé d’autres questions pour d’autres finalités. Sinon, après avoir décimé son armée, son ethnie et sa famille, un doute surgirait dans l’esprit du Président sur la finalité de cette guerre. Mais rien n’y fait. Il n’est question que de guerre. Et tous les sentiments subjectifs en sont les ingrédients : orgueil personnel, le désir du tout pouvoir, l’argent pour la famille et un peu pour le clan, désir de vengeance contre Timan et Nouri, bref la victoire ou la mort.

Ces sentiments très subjectifs sont en contradiction avec les deux missions que les tchadiens ont confiées à notre Président. En effet, au sortir de la CNS, le peuple représenté par ceux qui étaient à ce grand forum, a dit qu’il faut sortir définitivement le Tchad de la guerre et construire une société de paix par la construction d’un Etat de droit et un ancrage dans la démocratie. Où en est-on ?

La mission du dialogue avec les politico-militaires a été un échec. Non seulement les rebellions ne sont pas jugulées mais elles se sont multipliées et renforcées en hommes (désertions et ralliements) en armes (l’armement des rebelles est celui d’une armée d’un Etat) et en alliés. Manifestement le gouvernement actuel ne peut pas venir à bout des rebellions. Faut-il pour cela faire du Soudan le bouc émissaire pour chatouiller le patriotisme des tchadiens ? Le Chef de l’Etat l’a admis sans en tirer les leçons : le peuple n’est pas derrière son gouvernement, avait-il affirmé le jour de la Tabaski.

Et la construction de l’Etat de droit ? C’est aussi au peuple qu’il faut laisser la parole. Car qu’est ce que l’Etat pour le bas peuple ? Pour lui, l’Etat c’est le juge qu’il doit voir régulièrement pour les problèmes qu’il rencontre avec d’autres personnes. Sa propriété sur un terrain qui est nié. Un escroc qui lui a causé des préjudices moraux et matériels. Un malin qui lui a dérobé son bien ou a abusé de sa bonne foi ou de sa confiance. Il est en mesure de savoir par la loi naturelle révélée par la raison ou l’expérience que telle décision est juste ou injuste. Par les preuves que l’homme de la rue accumule sur les défaillances du juge, s’il n’a pas la force de le contester, dans sa conscience il en déduit que le juge est injuste, corrompu, à la botte de quelque autre autorité supérieure. Cela suffit pour dire qu’il n’existe pas d’Etat parce que le « Hakouma » doit décider, trancher toujours dans le sens de l’intérêt général ou de la vérité. Peut-on savoir l’opinion du peuple sur la justice sous le régime de Déby ? L’Etat c’est aussi l’autorité représentée par l’administration, le gendarme, le policier, le militaire. Dans toutes ses autorités se trouvent concentrer, à l’heure actuelle, les pouvoirs des commandants de brigade, des sous préfets, des chefs d’arrondissement, etc. Or que constate le pauvre citoyen ? Que ce sont des gens à qui il ne faut pas faire confiance. Ils vivent sur son dos par des exactions diverses et ne sont jamais inquiétés. Du coup ils portent sur leur front une inscription non visible mais lisible : faux. Faux policier, faux gendarme, faux militaire, faux commandant, faux gouverneur et faux ministre. Voilà ce qu’ils sont ceux qui sont chargés d’assurer notre sécurité et de réguler les multiples crises que sécrète cette administration dévoyée. L’Etat de droit, n’en parlons pas !

Quant à l’ancrage dans la démocratie, on n’en rigole ! Depuis quand ?

Ce n’est un secret pour personne que quand il s’agit d’élections, ce sont les membres de la CENI qui remplissent les urnes. C’est le Chef de l’Etat qui dit qu’il est élu alors qu’il ne l’est pas. Avec cet émiettement à l’infini des cantons et sultanats, la chefferie traditionnelle est appelée au secours pour rabattre aux bureaux de vote les électeurs. Comme du bétail. Car il faut faire semblant de voter ! L’œil extérieur est là pour apporter la caution internationale. Et pourtant les militaires sont dans les isoloirs pour dissuader qui voudrait mettre un autre bulletin que celui du pouvoir. Ces derniers temps, il y a eu une grande abstention des électeurs. Cela ne fait rien. On a voté à leur place. Bref les élections sont tout sauf quelque chose qui peut inquiéter ceux qui nous gouvernent. On vote ou on ne vote pas, ils sont là. Avec leurs cohortes de malversations, d’impunités et de récompenses pour les bêtises qu’ils ont commises.

A vrai dire, le Chef de l’Etat, dès le début, voulait à tout prix concentrer le pouvoir entre ses mains. Peu lui importait les moyens employés. Pourvu qu’il réussisse. Alors la violence, la corruption, la division, la guerre n’ont pas été du reste. Comment un peuple abusé, brimé, massacré, affamé, spolié, espionné, accusé, emprisonné peut-il être uni derrière son gouvernant et aimer son Président ? En utilisant les recettes de Machiavel pour asseoir et conserver le pouvoir, Idriss déby Itno devait aussi être dans les contradictions de l’éminence grise des princes et des tyrans : être haï ou être aimé. Ces sentiments sont dans l’âme des peuples qui ont vécu la tyrannie.

C’est pourquoi lorsqu’il s’est agi d’aller prier pour la paix, les tchadiens, toutes religions confondues, ont demandé à Dieu qu’il les délivre du tyran. Lorsqu’il s’est agi de manifester contre l’envahisseur soudanais, ils ont souhaité dans leur cœur que l’étranger chasse l’effronté, l’ingrat. Lorsqu’il s’est agi de pétitionner pour l’arrivée rapide des forces de l’Eufor, ils ont souhaité qu’elles traînent les pieds et que les rebelles défassent avec le dictateur.

Le pouvoir est vraiment coupé du peuple. Et le Président connaît toutes les raisons. Toute la question est de savoir s’il peut faire marche arrière pour s’attirer les faveurs des populations ? Le sentiment qui prévaut, comme le disait un auditeur d’une radio étrangère, « c’est qu’il faut un changement. Il faut que ce régime parte ». Ceci semble plutôt être une sentence. Pas une proposition ou un souhait. Dans pareil cas, la raison voudrait que les dirigeants cherchent une porte de sortie honorable. Le choix est bien mince. Ce que disent les rebelles semblent être la solution au moindre coût : une table ronde inclusive, une transition et de nouvelles élections. Qui dirait mieux ?

Evoquer ces arguments, c’est chatouiller les oreilles du Président. En réalité, le Chef de l’Etat ne pense qu’à lui-même, à ses intérêts, à ses ambitions. Au-dedans de lui-même, il n’y a pas d’autre désir que le pouvoir, le conserver et en jouir à son gré. Ce sont ces sentiments enfouis au cœur de Idriss déby Itno qui expliquent les blocages lors des négociations en vue de solutionner la crise actuelle du pays.

Kamis, Wardougou, Eriteïro et Nadji


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