Pour quelle paix prétendent-ils lutter ?

Enoch DJONDANGA défaut d’avoir de vrais faits nouveaux d’actualité sur le Tchad notre …., nous allons divaguer un peu. Car la visite du groupe de ‘politico-militaires’ retraités conduit par l’ex-président Goukouni Oueddeï, fils du Derdeï Oueddeï Kicheidémi et ancien leader de la tendance Forces Armées Populaires (FAP) naguère proche de la Libye, nous a rappelé des tas de souvenirs que nous voudrions sommairement explorer ici.

Nous nous livrons à cet exercice en raison de l’ignorance de l’écrasante majorité des jeunes tchadiens qui ne connaissent presque rien de la période précédent la prise du pouvoir par Hissène Habré en juin 1982.

Si la presse et les témoins ne se donnent pas la peine de rappeler certaines choses essentielles pour l’information des couches victimes les plus concernées par le drame tchadien, cet évènement risque d’être considéré comme l’une de ces mises en scènes dont nos politiques sont devenus des maîtres dans l’art, aux yeux du public.

Nous choisissons la méthode de caricature des profils, très subjective mais vivante et sensible, pour mieux exprimer la problématique de la paix au Tchad actuel.

Antoine Bangui : ce routier infatigable de la scène politique, exilé quasi-permanent, était déjà l’un des plus proches collaborateurs du président Tombalbaye, quand nous n’étions que des bambins. Vu son âge, il y a certainement fort à parier qu’il soit, lui, l’interlocuteur indiqué des tenants du pouvoir actuel qui sont, pour la plupart, d’une autre génération. Et encore plus difficile à trouver des sujets communs avec la génération montante actuelle. Mais tout ceci n’est que subjectif ? Les causes, si causes il y a, comme des virus, meurent difficilement.

Goukouni Oueddeï : le vieux maquisard surgi des grottes de Yebbi Bou dans les années 70, est certes plus connu pour avoir été étroitement lié à la guéguerre interminable qui décime depuis toujours le peuple tchadien. Présenté par certains comme celui qui aurait permis l’aventure libyenne dans le Nord du Tchad, et par d’autres comme un modéré, l’ex-président a surtout payé chèrement de sa personne cette position stratégiquement inconfortable et dut faire rallier ses derniers hommes aux FANT en 1987. Depuis lors, il se contente d’être un symbole d’une époque très confuse et meurtrière de notre histoire.

Adoum Togoï : l’un des plus anciens chefs militaires du FROLINAT. Le problème de ce général du maquis est qu’il ne s’est pas assez ouvert aux milieux autres que ceux des tribus de sa culture. Ainsi, rares sont les jeunes qui savent quelque chose de son parcours politique et de la véritable cause pour laquelle il se battrait depuis tant d’années. Il est, avec Mahamat Nouri, Taher Guinassou et d’autres moins connus, l’un des derniers gardiens vivants des mystères et de la spécificité régionale du Borkou – Ennedi – Tibesti, donc une personnalité qui inspire de la crainte, peut-être à tort.

Pour se donner une idée de l’ancienneté de ces deux chefs historiques du FROLINAT, les jeunes devraient savoir que lors de la prise en otage de la française Françoise Claustre par les hommes de la 2e Armée du FROLINAT basée au Tibesti, dans les années 70 du siècle passé, Goukouni Oueddeï, Hissène Habré et Adoum Togoï étaient rejoints par Togoï Okormi, sous-préfet de Bardaï et père du défunt Youssouf Togoïmi, fondateur du MDJT disloqué ! Face à ces personnalités, le président IDI fait plutôt figure de fils ! Les 60% actuels de la population tchadienne n’étaient pas encore nés et ne savent rien de tout cela. A l’époque, même l’armée de Tombalbaye ne disposait que des MAS36 complètement désuets. Mais la guerre continue aujourd’hui, avec des orgues de Staline, des chars et des hélicos. Quelles seront les armes de la paix ?

Abdelkérim Fidèle Moungar, ancien premier ministre de transition : ce bon fils de Doba, grand spécialiste de la chirurgie mais très versé dans la politique, avait eu la chance rarement accordée à une personnalité « sudiste » par la Françafrique, à savoir un soutien total et concret qui lui permit une émergence fulgurante sur la scène politique aux premières années de pouvoir du MPS. Malheureusement, il perdit rapidement ce capital, au point d’être presque oublié parmi la classe politique locale, n’eussent été ses apparitions sommaires et prospectives à N’Djaména. La manne de la région pétrolière paraîtrait aux yeux de beaucoup, un motif suffisant pour rebondir à nouveau.

Bourkou Louise N’Garadoumri : cette femme singulière, seule à diriger un parti politique, est d’un volontarisme et d’un courage qui force le respect. Elle fait manifestement contraste avec les autres briscards politiques qu’elle côtoie. On peut la considérer comme une personne sincère qui n’a pas vraiment eu le temps de faire ses marques, à cause des contradictions de notre société tchadienne. S’il y avait seulement cinq femmes engagées, comme elle, qui acceptent le sacrifice pour la cause de la paix, les choses pourraient effectivement bouger dans ce sens !

Adoum Yacoub, patron du FNTR : cet ancien leader d’un maquis de l’Est se trouve dans une position proche de celle du Dr Abba Sidick, à l’époque où tout le FROLINAT répondait encore de ce dernier. En ce sens que Adoum Yacoub ne s’est jamais vraiment mis dans la peau d’un chef de guerre, préférant mettre un peu plus les idées dans sa partition que les seuls coups de canons qu’affectaient les autres chefs maquisards. Dans ces conditions, il dut opérer le virage de l’abandon de la lutte armée et finit par nourrir autant de méfiance et d’aversion envers les rebelles qu’envers le pouvoir qu’il conteste. A l’épreuve du temps, son retour au pays, par une dynamique de paix, parait être un cheminement logique pour conclure sa carrière politique contestataire.

La plupart des autres membres de la délégation du président Goukouni Oueddeï s’inscrivent, d’une certaine manière, dans la combinaison des profils décrits ci haut. Après tant de trahisons vécues, de retournement de situation, de changement de parrains extérieurs, d’éloignement physique du pays et de la grande famille, et surtout de la menace de sombrer dans l’anonymat et l’oubli des jeunes générations montantes, la décision d’embrasser la paix à tout prix est une marque de sagesse à saluer. Car si le pouvoir est le point d’attraction et le rêve de la plupart de nos chefs politiques, après quelques coups d’essai (montage de rébellions armées surtout), pour beaucoup ce rêve n’a plus de sens ni de chance de s’accomplir. Autant ne pas tout sacrifier d’une vie, quand l’argent du pétrole coule plus vite que le brut lui-même dans le pipeline de Doba – Kribi ?

En d’autres termes, même si le secret était de mise sur le contenu de la démarche du président Goukouni Oueddeï, de toutes les manières elle devrait d’abord arranger la situation des promoteurs eux-mêmes. Ce sera tant mieux pour l’écrasante majorité du peuple tchadien qui en a marre de subir les éternelles ambitions de cette génération de dinosaures inamovibles de la scène politique. Qu’ils finissent leurs parcours tumultueux et confus dans la paix, c’est le peuple qui en profitera. Ne dit-on pas que les margouillats profitent de l’eau disposée pour abreuver la volaille ? Si seulement il y avait de moins en moins de risques que naissent de nouveaux chefs de guerre et aventuriers politicards dans notre pays, quel grand soulagement ?

Malheureusement, cette sortie du président Goukouni, qui n’est pas une mauvaise nouvelle en soi, avait été très maladroitement démenti quelques jours plus tôt par celui-là même qui serait le porte-parole d’un gouvernement dont il ignore les mécanismes de fonctionnement et les règles non écrites. Un communiqué salé du « porte-parole » du gouvernement avait été servi sur les médias publics, contre l’annonce faite par une radio privée de la visite imminente du groupe du président Goukouni à N’Djaména. A force de vouloir chercher partout de l’adversité pour se défouler et plaire au « patron », on finit par compromettre les plans de ce dernier. Le promoteur du verrouillage de la presse, sous couvert de l’état d’urgence pourra-t-il, à défaut de démissionner, au moins reconnaître que les faits de la vie publique d’un pays ne peuvent pas être consignés dans une bouteille comme un tabou par la seule volonté d’une poignée d’individus en mission ? Dans le fond, en quoi l’annonce de l’arrivée à N’Djaména des opposants tchadiens, même en poisson d’avril, pourrait être subversive pour la politique affichée du pouvoir actuel ? Finalement, c’est quoi la paix ?

Enoch DJONDANG
enochdjo@yahoo.fr


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