N’Djamena toujours saisie de peur – Afp
Le soir, les rues sablonneuses de N’Djamena se vident vite et deviennent aussi silencieuses que le désert qui entoure la capitale tchadienne, des heures avant le couvre-feu imposé à partir de minuit.
« Les gens ont peur, trop trop peur« , raconte Mahamat, chauffeur de taxi qui refuse de rouler après la tombée de la nuit.
Les combats dans la capitale entre l’armée tchadienne et les rebelles qui n’ont pu renverser le président Idriss Deby Itno ont certes cessé depuis 19 jours, mais l’onde de choc semble traumatiser tous les habitants. « Si encore ils s’étaient battus à l’extérieur de la ville, mais, non, ils ont pris tout le monde en otage, ce sont des lâches« , souffle un habitant. La vox populi, effrayée, monte comme une plainte sans fin.
« La paix, on veut la paix, nous, les sudistes, ça nous suffit de vivre tranquilles« , dit Louis, un serveur. Sudistes, nordistes, la ligne de fracture apparaît vite dans les discours. Depuis 30 ans, qu’ils soient d’ethnies gorane comme Hissein Habré ou zaghawa comme son tombeur Idriss Deby, ce sont les nordistes qui embrasent le pays par leurs batailles et coups de force incessants.
Lorsque le soleil décline, les habitants se pressent pour rentrer chez eux, à pied, en vélo, en moto, croisant les pick-up poussiéreux de l’armée tchadienne hérissés de roquettes, chargés de combattants. Beaucoup empruntent le pont sur le fleuve Chari qui mène à Kousseri, au Cameroun, pour dormir sous les étoiles mais en sécurité. Au matin, ils reviennent travailler dans N’Djamena, et retrouver leurs maisons.
Cette inquiétude est alimentée par les exactions signalées des soldats, des toro-boros, rebelles soudanais venus à la rescousse du pouvoir, et qui sont aussi des zaghawas. « On les reconnaît, ils ne parlent pas français », explique Mahamat.
Leurs camionnettes siglées JEM (Mouvement pour la justice et l’égalité), visibles dans N’Djamena depuis la fin des combats se sont faites plus discrètes ces derniers jours.
Aux exactions s’ajoutent les rumeurs d’un retour des rebelles, des combats donc, dans une capitale où les autorités ne cherchent pas à rassurer les habitants.
Beaucoup commentent les enlèvements des trois chefs de l’opposition par la Garde présidentielle, selon leurs proches, et le fait que le sort de deux d’entre eux, Ibni Oumar Mahamat Saleh et Ngarlejy Yorongar, reste inconnu. La plupart pensent qu’ils sont morts, d’autant que le gouvernement dit « ne pas avoir de nouvelles« .
La rumeur parle aussi de cadavres jetés dans le Chari, aux basses eaux en cette période sèche.
Dans ce climat d’insécurité alourdi par l’Etat d’urgence du 15 février qui permet les perquisitions à domicile et musèle la presse, dans la misère d’un pays riche en pétrole mais qui se classe parmi les derniers selon l’indice de développement humain de l’ONU, un décret présidentiel pris le même jour est passé presque inaperçu.
Ce décret n°192 prévoit la suspension des procédures de passation des marchés publics et de contrôle des dépenses publiques. « Nous ne sommes pas dupes, ça permettra au pouvoir d’attribuer les marchés publics à ses amis« , constate un opposant, sous couvert d’anonymat.
Les hommes d’affaires reviennent. Au bar de l’un des grands hôtels, se côtoient marchands d’armes, délégation libyenne, pilotes ukrainiens d’avions cargo qui atterrissent la nuit, soldats français, irlandais, italiens de l’Eufor, la Force européenne qui commence à se déployer pour les réfugiés et déplacés du Darfour.
Mais les équipages d’Air France, qui a repris la liaison Paris-N’Djamena, ne dorment toujours pas dans la capitale pour des raisons de sécurité.
Sur l’avenue de Gaulle, artère des banques et des commerces où les combats ont fait rage, des employés municipaux abattent les arbres centenaires qui l’ombrageaient. « C’est pour éviter que les rebelles ne s’abritent derrière quand ils reviendront« , explique l’un d’eux