Delphine Djiaribe « Il faut enfin entamer un dialogue » – L’Humanité

L’opposante Delphine Djiaribe, avocate et défenseure des droits de l’homme, dresse un bilan accablant de la situation tchadienne.

Quelle est la situation au Tchad ?

Delphine Djiaribe. Ce qui se passe actuellement est très grave. Les violations des droits de l’homme ont refait surface. Nous avons même des échos de viols et d’exactions commises par le MJE (groupe rebelle du Darfour soudanais lié à Deby), qui a volé au secours du président tchadien et est resté à N’djamena. Il y a en plus cet état d’urgence qui limite le champ d’activité des journalistes.

Aurait-t-on pu éviter cette situation ?

Delphine Djiaribe. Cela aurait été possible en empruntant le chemin d’une résolution politique de la crise. C’est-à-dire, en entamant un dialogue qui aurait mis autour de la table tous les acteurs politiques : les partis d’opposition, ceux alliés du pouvoir, les politico-armés (terme qui désigne les opposants armés) mais également la société civile et les confessions religieuses. Il s’agirait de traiter d’une façon efficace la question des élections, pour en faire un processus crédible et acceptable par tous. Mais il faut aussi se pencher sur le problème sécuritaire, réfléchir à comment désarmer, démobiliser et réintégrer les ex-combattants des rébellions armées. Enfin, il faut s’atteler à la question de la réconciliation nationale, pour faire cesser les appels aux différences ethniques, religieuses ou régionales.

Pourquoi cette solution n’a pas été adoptée ?

Delphine Djiaribe. La société civile n’a pas cessé d’appeler à ce dialogue, mais nous n’avons pas été écoutés. Le gouvernement tchadien, appuyé par la France et l’UE a persisté dans sa logique de mater la rébellion. Malheureusement, les évènements récents ont montré les limites de cette politique. L’histoire socio-politique du Tchad montre qu’une victoire militaire n’est jamais définitive au Tchad.

La France et l’UE prônent un dialogue concentré uniquement sur les questions électorales (cf. l’accord du 13 août signé entre le gouvernement et l’opposition) et refusent d’ouvrir un dialogue avec les politico-militaires, qu’ils qualifient de bandits. Justement, nous voulons amener ces bandits autour d’une table pour que le problème soit résolu une bonne fois pour toutes.

Car jusqu’à présent, le pouvoir a signé de nombreux accords parcellaires avec des rébellions et à chaque fois, il a déclaré l’amnistie générale, reversé leurs soldats dans l’armée et promu leurs chefs à des postes importants. Le plus souvent, ça ne dure pas. Au moindre problème, les rebelles reprennent le chemin des combats, ou se font assassiner par le régime.

La France pourrait-elle jouer un autre rôle ?

Delphine Djiaribe. Si la France veut vraiment aider les Tchadiens, elle doit rompre avec son soutien inconditionnel à un régime qui ne répond plus aux aspirations des populations. Aujourd’hui la France continue de prôner la mise en oeuvre de l’accord du 13 août, mais elle devrait se rendre compte que cette politique a échoué. De plus, on ne voit pas comment on peut reprendre un dialogue dont les principaux acteurs ont été arrêtés. Nous devons entamer un processus beaucoup plus large. Nous pensons à l’ONU, assisté par un groupe mixte qui comprendrait des membres de l’UA.

Entretien réalisé par Camille Bauer


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