Idriss Déby met la pression sur Paris via l’Eufor – LC544
Pour N’Djamena, Eufor doit lutter contre la pénétration des rebelles à la frontière. Paris craignant une désertion de ses partenaires européens prend, de son côté, ses distances avec le régime. Enquête de terrain.
Ce n’est pas seulement au plus fort de la dernière incursion rebelle, le 15 juin, qu’Idriss Déby Itno a cru devoir « s’interroger sur l’efficacité de l’Eufor et l’utilité de sa présence au Tchad ». Intervenant à la radiotélévision nationale, le président tchadien avait alors reproché à la force européenne d’avoir « coopéré » avec ses ennemis venus du Soudan en « laissant emporter les véhicules des humanitaires, incendier leurs stocks de vivres et de carburant et [en] fermant les yeux devant le massacre programmé des populations civiles et des réfugiés ».
Or, selon nos informations, le représentant spécial du chef de l’Etat auprès de l’Eufor, le Dr Moctar Moussa, a adressé, dès le 27 mai, un courrier de vives protestations au général Jean-Philippe Ganascia, le commandant français des troupes européennes sur place. N’Djamena reprochait au général Ganascia ses déclarations répétitives sur le caractère « neutre » de l’Eufor et le refus de la force européenne de « coordonner » ses actions avec l’armée nationale. Il faisait par ailleurs état de trois incidents ayant éveillé la méfiance des autorités tchadiennes : le 9 mai, quatre soldats de l’Eufor en mission de reconnaissance à Moundou – la capitale du Sud, très éloignée de la zone opérationnelle de la force européenne – avaient été interceptés et placés en garde à vue par la gendarmerie tchadienne ; le 19 mai, des forces spéciales françaises avaient à leur tour mené une mission de reconnaissance entre Adré et Adé, proche de la frontière soudanaise, dont les autorités locales n’étaient pas informées (alors que l’Eufor avait prévenu N’Djamena) ; enfin, dans la semaine du 19 mai, cette fois sans prévenir personne, des forces spéciales irlandaises sont entrées en contact avec les rebelles aux alentour de Moudeina, dans la région du Dar Sila, plus au sud, soit précisément la zone d’où devait pénétrer au Tchad, le 11 juin, la principale colonne rebelle… Dans ce climat de lourde suspicion, le président Déby va-t-il donner son feu vert à une opération élargie des Nations unies qui doit assurer la relève de l’Eufor à la mi-mars 2009 ? « C’est peu probable », se lamente un haut responsable européen. « Actuellement, on est déjà content qu’il ne déclare pas l’Eufor non grata et nous demande de partir ».