Les Brèves de N’djaména : Deby redécouvre la langue arabe (2ème partie)
La langue arabe est parlée, écrite et lue par la grande majorité du Nord. Le fait a été reconnu par le premier Président tchadien, mais ce sont les accords de Khartoum entre le CSM et les FAN qui ont officialisé l’utilisation de cette langue. Le fait est à mettre à l’actif de l’ex président Habré, alors Premier Ministre. Pour quels motifs ?
C’est la reconnaissance d’une réalité ou pour des intentions politiciennes, c’est selon. L’arabe devient un enjeu politique avec un GUNT fortement dominé par l’aile arabophone du Frolinat et sous protectorat libyen. Le premier clash entre le Nord et le Sud à cause de l’arabe a eu lieu en mai 1981, lors du Séminaire des cadres. Les débats furent passionnés et passionnels. Il a fallu l’intervention personnelle du Président Goukouni pour mettre la question entre parenthèse et débloquer la suite des débats.
En juin 1982, les FAN, sous la direction de H. Habré prennent le pouvoir à N’djaména. Tout en conservant le fait acquis, connaissant la situation socio-politique du pays, Habré ne donne aucune impulsion particulière à l’arabe. Il est officiel sur le papier mais pas plus qu’il ne l’était avant. Mais l’arabe se développe, progresse, se « bongorise » de lui-même et par lui-même : des écoles spontanées, des madrasas, des instituts, etc., et personne n’est gênée, jusqu’à ce que des individus barbus, aux djallabia écourtés jusqu’aux genoux, venus dans le sillage du MPS, au service de quelles officines on ne sait, prennent et l’arabe et l’islam en otage : « au Tchad, l’islam est mal pratiqué, l’arabe est mal parlé » vocifèrent-ils. Sous la férule d’un Imam plus politique que religieux et avec la complaisance active du parti au pouvoir, les barbus se lancent avec une arrogance et suffisance inouïes à la ré- islamisation et ré-arabisation du Tchad pour cible principale le sud du pays. Bilinguisme total ou rien ! L’arabe à tous les échelons de l’Etat et de la société ou rien.
D’énormes fonds sont drainés par l’Imam d’où on ne sait, pour accomplir la mission. A la place de l’islam sunnite malékite très tolérant du Tchad, les barbus tentent d’imposer l’islam wahhabite intégriste. La question de la place de l’arabe au Tchad refait surface avec acuité. Des « Khalwa », centre d’éducation islamique en fait d’endoctrinement, apparaissent en plein pays Sara. Le sud du pays s’en inquiète. Pour cette frange de la population, l’arabe a cessé d’être un outil de communication et de cohésion, il est désormais perçu comme un outil d’islamisation forcée et est largement récusé. A la conférence nationale souveraine, un haut cadre du sud disait « dans les années 60 au sud, celui qui parle l’arabe est admiré, considéré comme «un évolué », aujourd’hui un sudiste qui s’exprime en arabe est considéré dans la zone comme un collaborateur de ceux qui veulent imposer l’islam dans la région.» C’est tout dire.
Les Etats Généraux de l’Education tenus à N’djaména en 2004(?) ont mis un bémol à l’harcèlement des barbus pour imposer un bilinguisme total et intégral partout au Tchad. Ceux-ci recommandaient : « donner à la langue arabe l’importance qu’elle mérite conforment à sa place et son rôle dans la société tchadienne, officialiser et prendre en charge de toutes les écoles arabes spontanées, les aligner obligatoirement sur le programme officiel de l’Education nationale en vigueur ; introduire obligatoirement le français dans toutes les écoles arabes, etc. » Cette position consensuelle est très claire : le Tchad étant un pays d’abord et avant tout francophone, les lauréats dans la langue arabe doivent maitriser le français pour pouvoir travailler efficacement dans les différentes structures publique ou privées au Tchad ; par contre le choix est laissé aux francophones d’apprendre ou non l’arabe. Point d’imposer l’arabe partout ou le bilinguisme intégral.
Deby vient donc de briser ce consensus en faisant siennes et au-delà celles du gouvernement, les positions extrémistes des barbus par rapport à la langue arabe au Tchad. Cela risque de heurter une partie importante de la population et l’arabe qui pénétrait aisément par lui-même dans ce milieu risque d’être repoussé, de donner des arguments et des armes aux animateurs du « Mouvement pour l’Emancipation du Sud » (MES), lesquels animateurs sont tous, sans exception, de l’entourage de Deby, que ce soit de son cabinet, de son parti et/ou gouvernement.
Beremadji Félix
N’djaména