Echec sur toute la ligne
Ainsi, après plus de 40 années de lutte, le Sud Soudan s’est séparé officiellement et solennellement du Nord Soudan. Pendant plus de 55 ans, le Soudan, dirigé par une minorité arabisée et islamisée et composée de 3 principaux groupes (les djaali, les Shagui et les danagla), a mené une guerre de colonisation, de nettoyage ethnique, de pogrom, des crimes contre l’humanité, pour conserver les riches terres du Sud Soudan sans leurs populations. Historiquement, ces trois groupes sont issus d’un métissage des populations africaines – négroïdes principalement des nubiens, des peuls, des bornouans et des haussas – installées depuis des siècles et des arabes issus des migrations successives après l’islam.
Cette élite intellectuelle et mercantile a pratiqué une politique d’apartheid dès le départ à tous les niveaux. Soutenue en cela par une petite minorité des anciens mamlouks, elle a accaparé toutes les ressources du pays et est arrivée à faire accepter aux populations negro-africaines leurs conditions de citoyens de seconde classe. De ce fait, pour émerger dans le système discriminatoire mis en place, il faut exceller dans les différentes guerres, soit contre la colonisation soit pour l’expansion de l’Islam.
Et pourtant, le colonisateur anglais reconnaissait l’identité séparée de deux parties du Soudan, il y avait un gouverneur à Khartoum et un autre à Juba, capitale du Sud Soudan. Selon les anecdotes locales, le colonisateur, avant de plier bagage, a proposé l’indépendance au sud Soudan. Mais les élites de deux parties auraient décidé qu’il y aura un seul Soudan et que l’entente sera parfaite. Ce qui fut fait. Mais dans la réalité, le Sud Soudan n’a jamais accepté la domination du Nord, car les premières révoltes ont débuté en 1955 c’est-à-dire un an avant l’indépendance du Soudan.
Contrairement à beaucoup des Etats africains, le Soudan avait une histoire politique assez riche à la veille de son indépendance. C’était déjà un Etat constitué où le débat politique était très élevé. L’enseignement était d’ailleurs dispensé à travers tout le Nord. L’Université de Khartoum date de 1889 !
A l’indépendance, l’élite arabisante, éduquée dans les universités égyptiennes du Caire et d’Alexandrie et anglaises de Cambridge et d’Oxford, prit la direction du nouvel Etat. Elle fit du Soudan un pays arabe; de l’arabe, la seule et unique langue officielle ; l’Islam religion d’Etat et tous les soudanais musulmans, des arabes. Toutes les particularités locales sont ignorées. Pire, toute revendication identitaire est réprimée dans le sang ; c’est l’assimilation forcée. Les sud-soudanais, majoritairement chrétiens ou animistes et considérés purement et simplement des citoyens de seconde classe, refusèrent l’assimilation et revendiquèrent haut et fort le droit à la différence identitaire : ce furent Anyanya I et Anyanya II, des mouvements armés. Les accords d’Addis Abeba consacrèrent l’autonomie du Sud soudan ; mais les nordistes dénoncèrent les accords d’Addis Abeba, juste 5 ans après, et la création du SPLA s’en suivit. Et la partition du Soudan, 55 ans après son indépendance.
Les sudistes étaient prêts à vivre dans un soudan avec une autonomie interne ; refus net des nordistes. Ils étaient d’accord à vivre dans un soudan fédéral, refus catégorique. Eh bien, ce fut la séparation pure et simple. C’est un échec patent sur toute la ligne de la politique de cette minorité régnante de faire du Soudan, un Etat unitaire ou fédéral moderne. Echec d’une politique, d’une idéologie, déni d’identité et des particularités locales, échec d’une politique forcée d’assimilation. Échec sur toute la ligne.
Le Sud soudan est parti, le Darfour, le Kordofan et l’Est sont en ébullition, mais les dirigeants de Khartoum, fermes sur leur position idéologique raciste, campent et répètent : «nous sommes des arabes, le Soudan est un pays arabe et l’islam est la religion d’Etat, …,». Conséquence inéluctable ; après la défiguration de la carte du Soudan, c’est le Soudan qui sera défiguré pour peut être finir de ne plus exister en tant qu’Etat.
Le Tchad est-il le Soudan ? A cette question, Enoch Djondang, juriste et ex-Président de la Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme (LTDH) a déjà répondu sur le site Tchadactuel. Même si son article reflète le point de vue de la quasi-totalité des cadres du sud tchadien sur le sujet et qui se résume à ceci : minimiser ou carrément refuser de reconnaitre la responsabilité historique des cadres du sud dans le drame que connait le Tchad depuis 50 ans. En effet pour ces bonnes consciences, toute l’histoire contemporaine du Tchad commence à partir de 1978 où un certain Hissene Habré est devenu Premier Ministre. Il faut passer sous silence le rôle rétrograde et divisionniste de l’église tchadienne, la plus réactionnaire de toute l’Afrique, qui s’est focalisée excessivement et déraisonnablement sur le concept d’islamisation du Tchad, phénomène en réalité marginale et prôné par une petite minorité des néo-wahhabites venant de l’Arabie saoudite, phénomène étranger à la plupart des tchadiens qui pratiquent leur religion avec beaucoup de tolérance. Mais il faut quand même ajouter que si en 1960, ce ne fut pas un Sara chrétien qui devint Président mais plutôt un nordiste musulman et surtout si ce fut un certain Khoulamallah qui accéda à la magistrature suprême, les choses seraient très certainement différentes, et Dieu merci qu’il en fut ainsi !
Si à la veille d’indépendance, l’Est du Tchad écoute plus la radio soudanaise que la tchadienne, dans le Moyen Chari on parle plus le Sango que l’arabe tchadien, aujourd’hui le phénomène est complètement renversé. L’identité tchadienne s’est forgée, elle est devenue une réalité. Le reste est une question de mal gouvernance, déni de démocratie et de libertés publiques. Conséquences : le mal de vivre ensemble existe en sourdine mais l’envie de se séparer n’y est pas.
La mal gouvernance c’est l’accaparation de l’Etat, des biens publics par une minorité rapace et prédatrice. Une minorité qui piétine, marginalise et exclut les autres citoyens de la gestion de l’Etat. Les citoyens sont devenus des simples employés d’une entreprise appelée le Tchad et qui appartient à cette minorité. La mal gouvernance c’est aussi la concentration de tous les pouvoirs de l’Etat, du moins de ce qui reste de celui-ci, dans la capitale. C’est de N’djaména que part la plus petite décision gouvernementale concernant les populations d’Aouzou ou de Goré.
Il faut revenir à l’évidence, on ne peut plus continuer à gouverner de la même manière que les 50 années passées. Il faut tirer les leçons pour trouver des remèdes durables à ce double échec de la politique actuelle. Même si la bonne gouvernance démocratique et un système largement décentralisé sans aucune entrave bureaucratique, sont introduits au Tchad, pour autant il y a des particularités proprement tchadiennes, particularités qui caractérisent le clivage Nord – Sud: la religion, l’enseignement des langues, les coutumes, les multiples systèmes de valeurs, etc… . Ces systèmes cohabitent mais en certains points s’opposent diamétralement. Ces particularités tchadiennes ne peuvent trouver leur solution que dans le cadre d’une refonte radicale des institutions actuelles, en introduisant par exemple le système fédéral. La fédération sera le plus court chemin vers la démocratie, les libertés et surtout l’alternance démocratique. Contrairement à cette mauvaise idée, galvaudée par des hommes politiques à des fins électoralistes, la fédération pensée et conçue pour un Tchad nouveau, sera un outil de développement, d’interdépendance, d’affirmation de tous les tchadiens. Dans ce schéma du Tchad nouveau, les frustrations de toutes sortes que vivent actuellement les tchadiens seront tempérées, les questions qui opposent les uns aux autres trouveront leurs solutions localement.
Chacun sera responsable de son état fédéral et tout le monde sera responsable du Tchad.
Beremadji Félix
N’djaména