Une obsession qui ne s’explique pas

Dans la semaine du 12 Septembre 2011, Deby avait pris deux décrets. Le premier nomme à des postes de responsabilités au Ministère des Mines différentes personnes parmi lesquelles Timan Deby. C’est le décret 916.

Moins de 24h plus tard, le second est signé portant le même numéro et nommant le fils de Timan au même poste que son père nommé à la veille ! Le décret nommant le fils est accessible sur le site de la Présidence, celui du père n’en est plus si le titre y est ! Pourquoi toute cette cacophonie ? S’agit-il de nommer un fils jugé pas très proche de son père au moment où celui-ci a des problèmes avec I. Deby ou plutôt s’agit-il d’un pas de ce dernier vers Timan ? On est en droit de pencher pour la seconde hypothèse.

En effet depuis l’arrivée du chef du MJE au Darfour, la crinière de Timan s’est dressée très haut et celle de Deby s’est abaissée lamentablement et Idriss chercherait une occasion pour se rapprocher de Timan or celui-ci n’a qu’une seule demande : qu’on lui restitue son titre. Mais pourquoi les chamailleries de deux frères deviennent une affaire d’Etat ? Comment peut-on comprendre l’attachement quasi obsessionnel des Deby au titre traditionnel ? Pourquoi une fonction annihilée par les textes de la république, pris sous le même Deby, une fonction devenue quasiment désuète, sans aucun rôle, ni prestige d’antan, est devenu au centre d’une querelle familiale, d’une affaire d’Etat ? Qu’apporte le titre du « Sultan » à un Président de la République? Tous les problèmes que connaissent le Canton et sa population découlent de l’appropriation et de la confiscation du titre par les Deby. Au début du règne d’Idriss, des voix s’étaient levées pour lui suggérer de nommer un autre ayant droit s’il veut la paix et la cohésion de la région ; la réponse est restée mémorable : « nous tenons à ce titre plus que celui du President de la République».

La recherche du titre traditionnel n’est pas la préoccupation du seul Idriss Deby. Déjà en son temps le vieux Deby avait passé toute sa vie à la recherche de ce même titre. Il s’est querellé avec tous les chefs de canton successifs, particulièrement avec l’avant dernier, Arim Djerbo. Il s’était exilé volontairement au Soudan où il s’était fait nommé « Oumda » de sa communauté à Chigueug Karo. Revenu au Bilia, après le décès d’Arim Djerbo, il s’est mis au service du nouveau chef de canton Diguo Bederio imposé par l’administration, en devenant Chef de fraction, alors que tous les chefs de fractions en titre avaient été déportés et emprisonnés à Faya Largeau, parce qu’ils avaient refusé de faire allégeance au nouveau chef de Canton. Pendant les années troubles de la rébellion, où presque toute la population avait quitté la région y compris le Chef de Canton titulaire, à cause de la sècheresse mais surtout à cause de la présence des éléments de la 1ère armée du Frolinat, le vieux était un des rares à y rester et collaborer avec la rébellion. Plus tard, quand la guerre de 9 mois a éclaté, le vieux a pris fait et cause pour les Fan de Habré avec l’espoir d’être nommé Chef de Canton. Habré le lui avait promis mais à condition que sa famille en particulier et le Bilia en général se mettent au service des FAN. Le Vieux n’a pas failli à cette mission ; la preuve est que quelqu’un comme feu Ibrahim Mahamat Itno n’aurait jamais regagné les FAN sans la pression de son vieil oncle. Les FAN ayant perdu la bataille de N’djaména, ce fut le retrait vers l’Est. Le vieux décéda avant que la promesse de Habré ne fût réalisée. Ainsi, contrairement à certaines allégations, le Vieux Deby n’a jamais été nommé chef de Canton Bilia ni par l’administration, ni par la rébellion moins encore par la communauté Bilia. Après les cérémonies mortuaires, les parents présents ont nommé Timan Deby en remplacement de son père décédé, en qualité de Chef de fraction. Usant de leur rôle et de leur pouvoir grandiloquents au sein des FAN, les Deby ont fait propager que Habré a nommé Timan Deby Chef de canton Bilia, alors que c’est complètement faux : usurpation du titre et détournement de la parole du Chef. Vu les circonstances, fin politicien, Habré n’a pas officiellement démenti l’annonce, alors que tout le monde savait qu’il n’en est rien et aussi ce n’était pas vraiment l’essentiel à ces moments. Mais le fait accompli prit forme. A la victoire des FAN, les Deby ont fait un assaut généralisé auprès de Habré pour officialiser par un texte la nomination de Timan comme Chef du canton ; ces assauts ont été contenus par le Ministre de l’Intérieur en la personne de Tahir Guinassou et le Préfet du BET Elhadj Abderrahmane Bourdami, qui ont expliqué-étant ressortissants du même terroir- à Habré les tenants et les aboutissants du problème qui n’est pas aussi simple que les Deby pensent. Habré, bien briefé par ses collaborateurs refusa de se compromettre dans une telle impasse. Il fallait être Habré pour contenir ces assauts! Jusqu’aux évènements du 1er avril 1989 (la révolte de Hassane Djamouss), aucun ressortissant Bilia ne reconnaissait en Timan Dey son Chef de canton, et il n’en était pas d’ailleurs. Après les évènements du 1er avril, en représailles à la famille Deby, Habré nomma par un texte le challenger de Timan, le fils du Chef de Canton défunt, lequel texte n’a jamais été abrogé et Abderrahmane Diguo Bederio peut aujourd’hui brandir ce texte et se proclamer Chef du Canton Bilia. Parallèlement le MPS dans ses grottes du Darfour avait nommé comme chef de Canton de Bilia Mr ALI Bouyénéou Mye, malheureusement il fut tué aux combats de Tiné. A la victoire du MPS, les cadres civiles et militaires du canton suggérèrent à Deby que, malgré les pressions de sa famille, le problème du canton n’est pas prioritaire et qu’il fallait attendre le moment opportun pour le régler conformément à la tradition. Mais à la surprise générale, Deby passa outre et nomma son frère par un texte comme Chef du canton Bilia. La grogne et la révolte des Bilia contre les Deby datent de cette période. Le refus du fait accompli a été et demeure net. Jamais les Bilia n’ont reconnu en Timan Deby leur Chef de Canton ; et tous les problèmes que connait le canton depuis l’arrivée (1982) de ces gens au pouvoir sont liés à cet accaparation frauduleuse, à cette usurpation, et à cet abus du pourvoir. Avec leur folie de grandeur acquise, le canton est transformé en sultanat, un titre qui n’existe pas dans la tradition Bilia.

Partout où ils passent, les Deby s’accapare, nationalisent le bien commun. Comme ils le font actuellement avec le Tchad, ils en ont fait de la même manière avec le canton Bilia. Il n’est jamais passé dans leur tête que le Canton est le bien commun de toute la communauté Bilia, qu’il y a des procédures très bien établies pour nommer un Chef de canton. Or Le Canton est devenu la propriété privée des Deby, jamais aucune autre personne, militaire ou civile n’a été consultée ou associée. Tout se dit, se règle, se décide uniquement et exclusivement au sein de la famille, les autres sont tout simplement des sujets, au mieux des exécutants. C’est même un tabou que de parler du cantonnât.

Faute d’adhésion, de reconnaissance, et de légitimité, le cantonna du Bilia des Deby est une coquille vide.

Dans l’histoire du Canton, les Deby n’avaient pas joué aucun rôle particulier. Ils sont des ayant droits comme tous les autres ni plus ni moins; et personne leur dénie le droit d’accéder aux titre et fonction de Chef de canton, mais le rejet est total de la façon dont ils ont accaparé ce canton et s’y accrochent depuis. Timan Deby a été imposé par Idriss Deby et en l’écartant plus tard, Deby a fauté doublement : sur le plan administratif c’est un coup d’Etat, sur le plan traditionnel, c’est un coup de force. Les deux manières sont illégales et condamnables. Le coup de force contre Timan a eu lieu au domicile privé de Deby en présence de toute la famille Itno présente à N’djaména, y compris la gente féminine, mais aucune autre personne de Bilia n’y a été conviée, c’est dire à quel point l’appropriation et l’exclusion sont totales. Ce coup de force d’Idriss contre Timan laissera des traces indélébiles même à l’intérieur de la famille Deby. Des fissures béantes ont apparu, des secrets de familles ont été dévoilés, la rupture entre Timan et certains de ses demi frères est irrémédiablement consommée.

Timan Deby est en rébellion ouverte, il revendique son titre usurpé. Il a le droit avec lui car il bénéficie de la légalité des textes. Par contre, le titre d’Idriss Deby est illégal et illégitime et en mal de reconnaissance locale. Timan, qui n’a pas pu assoir une légitimité locale pendant les 20 ans du règne des Deby, est en train de l’acquérir. En effet les Bilia, certes résignés mais désapprouvent totalement le coup de force d’Idriss. Seuls le bâton et la carotte du président Deby qui les ont fait taire. Mais Deby est toujours à la quête du superlatif : President de la République, généralissime de l’Armée, Sultan du Bilia, Dr H.C. de l’Université du Benin et Bientôt Roi des Rois africains en l’absence de l’autre ? Mais à quel prix ?

Correspondance Particulière


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