Comment Al Bachir nous a-t-il livré à Idriss Deby ? – 3ème Partie

Adoum et Daoud Récit de Adoum Erdimi

Extradition vers le Tchad

Le mardi 12 juillet 2011, aux environs de 3 heures du matin, un gardien vint ouvrir la porte. J’étais éveillé car je n’ai pas fermé les yeux depuis qu’on m’a fait signer la décharge. Le gardien m’ordonna de prendre tous mes effets personnels et de le suivre. Je les ai ramassés rapidement et pris congé de mon ami Ibrahim Daoud dont la tristesse était lisible sur son visage. On me conduisit à la même place que la veille et on me demanda de prendre place sur le même banc. Il s’y trouvait environ 6 personnes qui semblaient attendre une autre.

J’en profitai pour demander l’autorisation de faire mes ablutions pour la prière de l’aube. On me le permit. Après les ablutions, deux jeunes hommes vinrent me demander de les suivre. On se dirigea vers la grande sortie. Mais Juste avant de franchir la porte de la sortie, on me mit des menottes aux mains. Quelques cinq véhicules étaient garés dehors, juste devant la porte mais moi et mes anges gardiens attendions à l’intérieur, juste à la sortie. Une dizaine des minutes plus tard, le reste de l’équipe arriva mais la grande porte était toujours à moitié fermée. Peut-être pour m’empêcher de voir la personne qui était derrière. Un geôlier partit chercher un minicar parmi les véhicules garés. On me demanda d’y monter. Quand j’avais pris place, on me banda les yeux avec la fameuse et horrible bande élastique noire qui m’a fait tant souffrir. Quelques instants après, j’ai senti qu’on y a fait monter dans la même voiture au moins une autre personne, je me suis dit un compagnon d’infortune. Le véhicule démarra et nous quittâmes pour une destination inconnue. Pendant ces instants, on sent que le rythme du cœur s’accélère, toute concentration sur un seul sujet devient presque impossible, tant sont nombreuses les questions que vous vous posez et pour lesquelles vous ne trouvez presque aucune bonne réponse. Après un trajet d’une quinzaine des minutes environ, j’ai compris qu’on était dans une zone aéroportuaire, confirmé en cela par la conversation téléphonique du chauffeur qu’on captait. Ayant les yeux bandés, la fonction de vision est immédiatement prise en charge par les autres sens, notamment l’ouïe qui subitement devient plus performante que d’habitude car elle ne laisse passer aucun signal sonore. Dans l’aire de l’aéroport, nous attendîmes environ une heure de temps. Vers 4h30, au moment où sont lancés les appels des muezzins pour la prière de l’aube, le véhicule s’approcha d’un avion. On nous fit descendre et y entrer dedans. Je reconnus tout de suite le vieux coucou Antonov des services secrets soudanais, connu de tous les opposants tchadiens au Soudan.

A peine entré dans l’avion, mes pieds furent aussi menottés. A cet instant toutes mes nombreuses questions s’estompèrent immédiatement, j’avais la quasi-certitude qu’on nous livrait au régime de Deby. Comme j’avais déjà fait mes ablutions, je me suis mis à prier dans l’avion sans vraiment connaitre la direction de la Mecque. Environ un quart d’heure plus tard, les réacteurs de l’avion se mirent en marcher. Il bougea, puis décolla et mis le cap dans une direction qui s’est avérée être plus tard N’djaména. Après deux heures environ de vol, nous atterrîmes dans une ville que j’ignore mais Daoud me dira plus tard que c’était El-Fasher. L’avion redécolla aussitôt. Le deuxième vol dura quelques 3 heures et l’avion amorça son atterrissage. Quand le coucou s’immobilisa, le pilote ukrainien cria à haute voix : «TCHAD !». A cet instant précis, une personne parmi les hommes chargés de nous livrer à la guillotine de Deby, vint me remettre mon téléphone et ma carte d’identité nationale tchadienne. Chapeau aux services secrets soudanais, car je me suis laissé dire que si c’était ailleurs, comme au Tchad par exemple, mon téléphone portable aurait depuis longtemps fait le bonheur d’un agent de services, où un membre de sa famille, ou éventuellement une dulcinée ou peut-être tout simplement revendu à vil prix au marché noir. Là, ce n’est pas le cas, on a certainement fait parler mon téléphone, recopier mon répertoire, analyser avec finesse mes appels téléphoniques, peut être avoir piégé mes correspondants réguliers. Et avant de nous livrer à la mort certaine, on me le rend, physiquement intact. Une autre manière de le transmettre à leurs collègues de l’ANS qui se préparait déjà à nous réserver un accueil «digne» de notre rang. En fait les services secrets soudanais se servaient de moi comme un facteur pour le transmettre à leurs homologues tchadiens. Quelle perfection dans le cynisme ! Je précise que depuis mon départ de la tristement célèbre prison soudanaise de Kober, j’avais les yeux bandés par cette terrible bande élastique noire qui m’a fait tant souffrir.

Ensuite nous entendions les premières salutations en arabe tchadien. Alors j’entendis des hommes parlant l’arabe tchadien avec un fort accent Zaghawa entrer dans l’avion. Un homme s’approcha de moi et m’ordonna de me lever. Ensuite il m’enroula un turban autour de la tête, sans avoir enlevé la bande élastique et me fIt tourner vers la sortie. Comme je ne pouvais rien voir, deux personnes m’aidèrent à descendre de l’avion et me firent entrer dans un véhicule. Quelques minutes plus tard, on y fit monter une autre personne, très probablement mon compagnon d’infortune de Kober. Le véhicule démarra et quitta immédiatement l’aéroport. Nous arrivâmes dans un lieu où on nous fit descendre et entrer dans une pièce. On avait toujours les mains et les pieds menottés, les yeux bandés et enturbannés. Aussitôt, nos nouveaux geôliers m’arrachèrent mon téléphone portable et ma carte d’identité nationale. Le postier a accompli sa mission: transmettre le colis envoyé par les services secrets soudanais à l’ANS de Deby. Ensuite on nous fit assoir sur une natte en plastique et nous retira le turban et la bande noire. J’ai eu des difficultés à ouvrir les yeux qui étaient bandés depuis plus de 6 heures. Pendant une fraction de seconde je sentis un énorme soulagement envahir mon corps et mon esprit. Même, si dans le seconde d’après je réalisais que ma situation s’est horriblement détériorée : entre un détenu à Kober et un prisonnier à l’ANS de Deby, c’est comme le ciel et la terre, c’est en quelque sorte passer de vie à trépas.

Je me retournai et vis pour la première fois le Colonel Daoud Ali Bouyénéou pourtant nous étions dans la même prison depuis 47 jours. C’est ici qu’il m’apprit les circonstances de son arrestation à El-Fasher.

L’arrestation du Colonel Daoud a eu lieu le 24 mai 2011 à El Fasher au Dar For, juste trois jours après mon incarcération. En effet, une dizaine d’hommes des services secrets soudanais firent irruption très tôt le matin à son domicile à El Fasher et le jetèrent précipitamment dans un véhicule et filèrent. C’est exactement, comme les enlèvements, dans les films. Il a été gardé pendant 24 heures à la prison d’El Fasher avant d’être transféré par avion à Khartoum le 25 mai 2011. A l’aéroport, il a été cueilli par les hommes de Guirechabi qui lui passent sur place des menottes aux mains et aux pieds. Ensuite il fut transféré au service de la documentation pour subir le même interrogatoire que moi, et puis il fut acheminé à la prison de Kober toujours mains et pieds menottés. A Kober, il suivit la même procédure de traitement que moi où on l’enferma dans une cellule. Le Colonel Daoud a été séquestré seul pendant plus de 25 jours. Il avait beaucoup souffert d’hémorragie nasale et d’insomnie. Les médicaments que les soudanais lui avaient prescrits, avaient encore aggravé sa situation. Il a été pratiquement intoxiqué et portera certainement les séquelles encore pour longtemps. Le Colonel avait passé les trois dernières semaines à Kober avec deux prisonniers qui avaient été transférés de la prison périphérique de Khartoum. Ils l’avaient informé que dans la prison, d’où ils venaient, s’y trouvaient plus de 60 opposants tchadiens, parmi lesquels Mahamat Kodo Bani, CEMGA GABI et Mansour Abou Kora. Selon les mêmes sources, les tchadiens étaient régulièrement maltraités et torturés. Les conditions alimentaires et hygiéniques y étaient très mauvaises. Aux dernières nouvelles, le CEMGA GABI serait mis en grève de la faim et qu’il serait mis en quarantaine dans une cellule de 2 mètres carrés (le fameux ZINZAN).

La 4ème partie suivra


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