Tchad : le disparu qui embarrasse Paris – Libération

Après la rafle, en février, des opposants au président Déby, parmi lesquels Ibni Oumar Mahamat Saleh, une enquête met en cause le rôle de la France.

C’est un lourd secret qui lie Paris – à son corps défendant ? – au régime du président tchadien, Idriss Déby. L’un de ces épisodes troubles qui émaillent la longue et ténébreuse histoire de la Françafrique depuis la décolonisation.

Le 3 février au soir, à l’issue de violents combats à N’Djamena entre les forces loyalistes, soutenues par l’armée française, et des rebelles équipés par le Soudan, plusieurs caciques de l’opposition sont raflés à leur domicile par un escadron de militaires. Deux d’entre eux seront relâchés dans les semaines qui suivent. Mais pas Ibni Oumar Mahamat Saleh, 59 ans, le porte-parole de la Coordination des partis pour la défense de la Constitution (CPDC), l’un des principaux adversaires du régime. Ce mathématicien respecté, formé à l’université d’Orléans, a disparu.

La semaine dernière, une commission d’enquête, formée, à la demande de Paris, par des experts tchadiens et internationaux, a douché les derniers espoirs des proches d’Ibni, qui, en France, ont lancé une pétition. Après des semaines d’investigations et l’audition de près de 1 500 personnes, celle-ci a conclu, dans un rapport, au probable décès de l’opposant, tout en reconnaissant n’avoir obtenu aucune information précise sur son sort. L’omerta la plus totale règne à N’Djamena sur la disparition d’Ibni. «C’est bien la preuve que cette affaire est gérée directement par le clan du président Déby», note un opposant.

Le rapport ne dit pas autre chose : la rafle des trois opposants, qui s’est déroulée en deux heures, a été exécutée par «sept à dix militaires, de l’ethnie Zaghawa», dont est issu le président Déby. Elle ne peut résulter «d’une initiative personnelle d’un quelconque militaire subalterne». L’escadron agissait sur «ordre de sa hiérarchie ou des instances supérieures de l’Etat». Dès lors, «se pose la question du rôle du chef de l’Etat dans la chaîne de commandement». Un responsable tchadien renchérit : «Jamais un militaire, même de haut rang, n’oserait arrêter les principaux opposants sans en référer au chef.»

Défections. Plus loin, le rapport note que, «le 3 février, la présidence était le seul endroit opérationnel de la capitale, où les autorités s’étaient retranchées aux côtés du chef de l’Etat.» Notamment des membres de la famille d’Idriss Déby, son dernier carré de fidèles après des défections en cascade dans son entourage.

C’est ce jour-là que le soldat Déby, assiégé depuis la veille en son palais par environ 2 000 rebelles, redresse la situation, contre toute attente. Il met en déroute ses assaillants grâce aux vieux tanks M55 (de fabrication soviétique), qui tiennent les principaux axes, et à ses hélicoptères, pilotés par des mercenaires, qui pilonnent les rebelles. Dans l’après-midi, ces derniers décrochent. La contre-attaque peut commencer, l’heure est aux règlements de comptes.

La réputation de combattant d’un homme arrivé au pouvoir par la force n’est plus à faire. Mais ce «miracle» n’en est pas un : Déby a bénéficié du soutien discret, mais très efficace, de l’ancienne puissance coloniale, au nom d’un accord de coopération militaire datant de 1976. Impossible, en outre, de laisser tomber Déby alors que la force européenne (l’Eufor), portée à bout de bras par la France, se met enfin en place dans l’est du pays, aux frontières du Darfour. Si les hommes soutenus par le pouvoir soudanais (qui, en retour, accuse N’Djamena de soutenir les rebelles du Darfour) prennent le pouvoir, des mois d’efforts risquent d’être réduits à néant.

L’armée française sécurise l’aéroport d’où décollent les hélicoptères de Déby et où arrivent des munitions de la Libye. Mais ce n’est pas tout. Interrogé par la commission d’enquête, l’ex-ministre tchadien de la Défense, Mahamat Ali Abdallah Nassour, a affirmé que le centre opérationnel se trouvait à la présidence, où se tenaient le chef de l’Etat et les conseillers militaires français – qui organisaient la résistance, confirment des sources bien informées. Parmi eux, un officier de la DGSE, chargé d’encadrer la garde présidentielle.

Soupçon. Ces conseillers ont-ils eu connaissance de la décision de rafler les opposants ? Une chose est sûre : la France a été informée en temps réel. Devant la commission, l’ambassadeur de France à N’Djamena, Bruno Foucher, précise que son premier conseiller a reçu, dès le soir du 3 février, un appel du fils de l’un des trois opposants, Lol Mahamat Choua, «signalant l’arrestation de son père». Le diplomate ajoute : «Dès lors, le premier conseiller a tenté d’appeler tous les opposants pour s’assurer de leur intégrité.» Aujourd’hui, l’ambassadeur assure n’avoir jamais eu «le moindre indice» sur le sort réservé à Ibni. Au lendemain des arrestations, il faisait état devant des journalistes français, de «collusions» entre les opposants et les rebelles.

Selon toute vraisemblance, lbni est mort, assassiné ou des suites des mauvais traitements subis. La responsabilité des plus hautes autorités tchadiennes est engagée. La France, qui soutient Déby mais rejette toute responsabilité dans ce drame, avait plaidé pour la mise en place de la commission d’enquête. Par souci de cohérence et pour écarter tout soupçon de complicité, elle devrait demander de toute urgence l’ouverture d’une enquête judiciaire.

(1) Disponible sur www.fidh.org


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