Paris marchande l’inculpation d’Omar Al-Bachir – Le Monde

Soulevant l’indignation des organisations de défense des droits de l’homme, la France, appuyée par le Royaume-Uni, envisage de faire suspendre les poursuites de la Cour pénale internationale (CPI) contre le président soudanais Omar Al-Bachir, accusé de « génocide » au Darfour (ouest du Soudan).

Soucieuse de faire passer la paix au Darfour avant la justice contre le dirigeant soudanais, la diplomatie française a demandé des contreparties à Khartoum : cesser les combats, négocier avec les rebelles, normaliser les relations avec le Tchad, coopérer avec l’ONU pour le déploiement de la force internationale de la Mission des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour (Minuad) et juger le ministre soudanais des affaires humanitaires, Ahmed Haroun, ainsi que le chef des milices « janjawids », Ali Kushayb, déjà inculpés par la CPI.

Les juges doivent se prononcer dans les prochaines semaines sur une demande de mandat d’arrêt déposée le 14 juillet par le procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, contre Omar Al-Bachir, premier chef d’Etat en exercice visé par la Cour. Le Conseil de sécurité de l’ONU a toutefois le pouvoir d’adopter une résolution invoquant l’article 16 des statuts de la CPI pour suspendre les poursuites pendant un an.

Selon des diplomates, sans le soutien de Paris et de Londres, une telle résolution, qui pourrait être portée par l’Afrique du Sud, n’a aucune chance d’être adoptée.

La diplomatie française, qui était à l’origine, en 2005, de la saisine par le Conseil de sécurité de la CPI sur le Darfour, semble avoir opéré un retournement. Inquiète de l’impasse du processus de paix et des répercussions régionales de ce conflit, la France a, début septembre, dépêché à Khartoum le conseiller diplomatique de l’Elysée pour l’Afrique, Bruno Joubert, qui s’est notamment entretenu avec le vice-président soudanais, Ali Osman Taha. Parallèlement, le Quai d’Orsay continue de réclamer une coopération inconditionnelle de Khartoum avec la CPI.

L’approche de l’Elysée a été de réclamer du pouvoir soudanais qu’il arrête et juge, au Soudan même, mais sous la supervision de la CPI, Ahmed Haroun et Ali Kushayb, alors que la Cour demande depuis 2007 qu’ils lui soient livrés à La Haye. Selon des sources proches de la CPI, un tel scénario serait irrecevable. Ces sources observent aussi qu’une « suspension » au titre de l’article 16 comporterait une grande incertitude : porterait-elle sur la seule poursuite qui viserait Omar Al-Bachir ou sur l’ensemble de l’enquête de la CPI sur Darfour ?

« Nous sommes reconnaissants à la France de s’engager pour régler les problèmes créés par le procureur de la CPI », a réagi l’ambassadeur du Soudan à l’ONU, Abdalmahmood Abdalhaleem Mohamad. Interrogé par Le Monde sur les conditions que Khartoum serait prêt à remplir, il répond : « Oui au déploiement sans limite de l’ONU, oui à l’aide humanitaire, oui au processus de paix, mais il n’y aura pas d’accord s’il s’agit de livrer nos citoyens : c’est notre ligne rouge. »

L’ambassadeur a ajouté qu’une délégation soudanaise pourrait se rendre prochainement à Paris pour poursuivre la discussion. Il a évoqué une possible rencontre entre Nicolas Sarkozy et Ali Osman Taha, le vice-président soudanais, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, qui commence le 22 septembre à New York.

Dans une lettre adressée, jeudi 18 septembre, à Nicolas Sarkozy, la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) et Amnesty International s’alarment de ce que « la France tenterait de négocier un compromis » qui représenterait « le plus grand recul dans l’histoire récente de la justice pénale internationale ». Selon les ONG mobilisées sur la question du Darfour, l’accord reviendrait à céder à un « chantage » du Soudan, qui « porterait un coup majeur à la crédibilité et aux capacités dissuasives de la justice pénale internationale ».

La France risque aussi de se placer en porte-à-faux vis-à-vis de l’Union européenne, qui a appelé à plusieurs reprises le Soudan à coopérer avec la CPI. Même Washington voit l’initiative française d’un mauvais œil et pourrait y opposer son veto. « Il est ironique que Washington, qui a déclaré un djihad contre la CPI, soit aujourd’hui son plus grand défenseur », estime Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch. M. Roth reproche à Paris de vouloir croire « aux promesses des menteurs en série de Khartoum ». Selon lui, la France aurait tort de « sacrifier » la justice au profit d’un processus de paix inexistant alors que les scénarios catastrophes, notamment la reprise des combats, que le recours à l’article 16 est censé éviter, « se sont déjà réalisés ».

L’initiative française intervient au moment où la Ligue arabe et l’Union africaine intensifient leurs efforts pour que l’article 16 soit invoqué. Le rôle du Qatar semble désormais peser aussi dans l’équation diplomatique. L’Elysée a récemment salué une initiative annoncée par cet émirat du Golfe visant à relancer les négociations de paix au Darfour. Lors de son récent voyage en Syrie, M. Sarkozy a évoqué la question de l’article 16 avec l’émir du Qatar.

Philippe Bolopion (New York, Nations unies) et Natalie Nougayrède


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