Tchad : l’échec apparent de l’offensive des rebelles ne marque pas la fin du conflit – Le Monde

Stoppée par les forces loyalistes, la percée des rebelles tchadiens a été bloquée dans les sables de l’est du pays sans parvenir à menacer la capitale, N’Djamena. Samedi 9 mai, après deux jours de combats avec les forces gouvernementales, les rebelles de l’Union des forces de la résistance (UFR) ont commencé à abandonner le terrain, dans l’est du Tchad, invoquant un « repli tactique ». Partis du Soudan en colonnes de pick-up, lundi, ils n’avaient pénétré que d’une centaine de kilomètres en territoire tchadien avant d’être pratiquement encerclés, puis sévèrement frappés par une Armée nationale tchadienne (ANT) lourdement équipée de blindés et d’artillerie.

Certains éléments de l’UFR faisaient déjà route, samedi, vers la frontière, essayant de repasser dans le pays voisin, où se situent leurs bases arrière. Ils laissent derrière eux des groupes de rebelles épars et, sur les champs de bataille des environs d’Am-Dam, à 100 kilomètres au sud d’Abéché, un amoncellement de corps, de véhicules calcinés et de prisonniers. Même si des incertitudes pèsent encore sur les intentions d’autres groupes rebelles de la coalition, qui n’ont pas participé aux combats, cette phase de l’offensive de l’UFR semble terminée.

Vendredi soir, le porte-parole du gouvernement tchadien, Mahamat Hissène, donnait un « bilan actualisé mais toujours provisoire » des pertes rebelles : 225 tués, 212 prisonniers et 220 pick-up (l’étalon de la force armée dans cette guerre de mouvement) capturés ou détruits.

L’ANT n’aurait, selon lui, perdu que douze hommes. La rébellion n’avait pas encore, samedi matin, donné son propre bilan.Joint par téléphone à Khartoum, où des problèmes de santé l’ont retenu de participer à l’offensive, le colonel Adouma Hassaballah, l’un des principaux chefs rebelles, assurait néanmoins : « Nous nous sommes mis en retrait pour nous réorganiser. On va recompléter (les rangs) avec ceux qui sont restés dans les bases arrières et on réattaque ce soir. »

De nombreux observateurs tablent sur la fin d’une bataille, une de plus dans la longue chaîne des affrontements par procuration que se livrent le Tchad et le Soudan depuis 2005. La grande offensive annuelle des rebelles tchadiens, si elle est effectivement finie, aura duré moins d’une semaine, et ne sera parvenue à régler aucun des problèmes qui nourrissent le conflit entre les deux pouvoirs voisins, frères ennemis dont l’aventure commune remonte à près de deux décennies.

Idriss Déby, le président tchadien, est arrivé au pouvoir en décembre 1990 à la tête d’une rébellion qui, déjà, partait du Soudan et bénéficiait de l’appui de Khartoum, mais aussi de celui de la Libye et de la France. Au Soudan, un coup d’Etat venait de porter au pouvoir une junte dirigée par le général Omar Al Bachir, dont les islamistes du Front national islamique tiraient les ficelles dans l’ombre.

Des années durant, Idriss Déby a dû composer avec des agents soudanais dans son entourage, avant de s’en affranchir progressivement. Le Soudan, puis le Tchad, sont devenus des producteurs de pétrole (175 000 barils par jour pour le Tchad, environ 400 000 pour le Soudan), sans que le sort de leurs populations s’en trouve amélioré.

Au contraire, les pétrodollars ont facilité l’organisation logistique des rébellions croisées qui allaient bientôt naître tandis qu’éclatait la guerre civile au Darfour. La frustration des élites et des habitants de cette région de l’ouest du Soudan s’est muée en lutte armée en 2003, déclenchant une campagne de répression orchestrée par le pouvoir soudanais qui pourrait avoir fait, au total, près de 200 000 victimes directes et indirectes.

Certains rebelles du Darfour bénéficiaient de complicités au sein du pouvoir tchadien, en raison de solidarités ethniques, familiales ou claniques transfrontalières. Le Soudan, par mesure de rétorsion, a accueilli les rebelles professionnels tchadiens et les mécontents du système Déby pour leur donner les moyens de se lancer à l’assaut du pouvoir à N’Djamena et mettre fin, par le vide, à l’appui aux Darfouriens.

Au total, près d’une vingtaine d’attaques du Tchad ont eu lieu depuis 2005. En février 2008, les rebelles sont arrivés jusqu’à N’Djamena. Ils y ont été défaits en raison de leurs divisions internes, de la puissance de feu des blindés tchadiens et de l’appui de la France. Pendant que l’un des chefs de la coalition essayait de prendre la radio nationale pour s’y déclarer président, les chars d’Idriss Déby et ses hélicoptères repoussaient les autres groupes armés qui étaient parvenus à quelques centaines de mètres du Palais rose, la présidence.

Depuis, N’Djamena a été transformée en camp retranché. Un long fossé a été creusé autour de la ville, où ne subsistent que trois entrées fortement gardées. Des quartiers périphériques ont été détruits pour permettre à des blindés de manoeuvrer à l’intérieur de l’enceinte. La présidence a été protégée par une ceinture de blocs de béton en forme de créneaux, permettant à ses défenseurs de faire le coup de feu.

Dans la foulée, Khartoum était attaquée à son tour par les rebelles darfouriens du Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM), partis de leurs bases au Tchad, et dont le chef, Khalil Ibrahim, est un lointain parent par alliance du président Déby. Le JEM a renforcé ses troupes au cours des mois écoulés et projette de lancer d’autres attaques au Soudan depuis sa base d’Am-Djeress, dans le nord-est du Tchad. Selon plusieurs sources, N’Djamena envisage aussi de poursuivre les rebelles tchadiens en territoire soudanais.

Khartoum doit faire face à une situation nouvelle avec le mandat d’arrêt lancé par la Cour pénale internationale (CPI) contre le président Omar Al Bachir. Pour contrer la tentative d’obtenir une collaboration internationale qui permettrait son arrestation, le Soudan est contraint de chercher des soutiens.

Il en a trouvé auprès de l’Union africaine (UA). Pour préserver cet appui, Khartoum se trouve embarrassé par l’entretien de groupes rebelles sur son sol. Vendredi, l’UA a condamné « très fermement » les attaques des rebelles dans l’est du Tchad, son commissaire à la paix et à la sécurité, Ramtane Lamara, déclarant s’opposer à « tous les changements anticonstitutionnels de gouvernement et des actes de déstabilisation ».
Jean-Philippe Rémy


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