Analyse sur l’accord du 13 août et les perspectives – Ibni Oumar Mahamat Saleh ; N’Djaména, décembre 2007
Le 13 août 2007 est intervenue la signature de « l’Accord politique en vue du renforcement du processus démocratique au Tchad ». Accord obtenu après quatre (4) mois d’intenses et âpres discussions, entre les partis de la mouvance présidentielle et ceux de l’opposition démocratique, la CPDC en l’occurrence.
Il s’agit cependant d’un accord partiel dans la mesure où la dimension politico-militaire n’est pas prise en compte. D’une certaine manière, on peut espérer une mise en œuvre.
Sur le plan de la gestion et de l’organisation des processus électoraux, des dispositions et mécanismes pertinents renforçant la transparence des opérations et l’équité entre compétiteurs ont été retenus:
- CENI à composition paritaire équilibrée, soutien de l’Etat, réduction des coûts pour les acteurs et présence de ceux-ci dans toutes les étapes et dans toutes les institutions intervenant;
- mise en œuvre des recommandations et résolutions des états généraux de l’Armée ;
- dépolitisation et démilitarisation de l’Administration publique, et plus particulièrement de la Territoriale;
- rôle des médias, etc.
Sachant que c’est dans l’application des accords que souvent le bât blesse, l’Accord du 13 août 2007 a introduit des dispositifs de suivi et d’appui, ce qui est une nouveauté importante par rapport aux différents accords signés au Tchad et par rapport à la Conférence Nationale Souveraine (CNS).
Ce Comité de Suivi et d’Appui, associant les signataires, les institutions en charge ou impliquées dans l’exécution et les partenaires au développement du Tchad (UE, UA, ONU, OIF, France, RFA, USA, Suisse), est un véritable organe de veille et d’alerte qui se réunit chaque mois.
Un premier défi a été relevé et gagné. C’était celui de regrouper autour d’une table, dans une salle, des représentants du pouvoir et ceux de l’opposition pour des discussions franches sur les problèmes qui préoccupent les Tchadiens dans leur ensemble et convenir des solutions consensuelles. Cela est à mettre à l’actif de la communauté internationale, l’Union européenne en particulier, qui a défié tous les scepticismes pour inviter les uns et les autres à ces pourparlers.
Un deuxième défi a été relevé et gagné. C’était celui de convenir des solutions novatrices renforçant la démocratie et ouvrant des perspectives de paix durable, de construction d’un Etat de droit véritable afin de s’engager dans la voie de la bonne gouvernance et de la lutte contre la pauvreté. Cette victoire est à l’actif des négociateurs, à l’actif de la CPDC pour avoir demandé souvent avec témérité et pugnacité
Un troisième défi à relever demeure, et qu’il faut absolument gagner. C’est celui de l’exécution correcte et diligente. Dans le passé, de tels textes sont restés lettre morte et que cette non application soulignait un certain nombre de traits communs : le ralliement plutôt que l’accord politique, le démantèlement de l’opposition plutôt que sa reconnaissance, la réduction des partis politiques à des individus sommés d’occuper des postes et de s’enrichir avant d’être démis. Si le pouvoir essayait d’aller dans cette direction, cela serait la preuve qu’il a signé que pour amadouer les Européens avant l’opération Eufor. Mais en tout état de cause l’exécution complète de cet accord certes aux partis signataires et aux partenaires accompagnant la démarche mais aussi en grande partie à l’ensemble des acteurs politiques et sociaux tchadiens.
C’est dire qu’un chantier a été ouvert qui interpelle tous les Tchadiens. S’il est labouré avec lucidité et détermination, il peut apporter davantage de prospérité à notre peuple qui en a tant besoin.
De la mise en œuvre des différents accords
Le Président Deby n’a jamais envisagé de quitter le pouvoir. Il a accepté la limitation du nombre de mandats préconisés par la CNS et reprise dans la Constitution de 1996 du bout des lèvres, pour gagner du temps, en espérant que les données vont changer et feront de lui le seul et unique aspirant à la tête de l’Etat.
Voyant cette perspective s’éloigner, il s’est résolu à élaborer une stratégie de passage en force pour modifier la Constitution en recherchant le soutien de la communauté internationale et ce à travers les menées subversives transfrontalières.
Cette stratégie a eu pour conséquences la mise à mal des alliances avec le MPS, la radicalisation de l’opposition démocratique, l’implosion du clan, la recrudescence des rébellions armées et le développement de l’insécurité dans toute la sous région.
Devant la dégradation croissante de la situation et les drames humanitaires que cette dégradation engendre et devant les réactions que ces tragédies humanitaires suscitent sur le plan international, le pouvoir s’est vu contraint d’engager des pourparlers avec les différentes catégories qui contestent son hégémonie et sa gouvernance. Une série d’accords sont conclus ou sont en voie de l’être ; entre le pouvoir et les groupes en rébellion armée, entre le pouvoir et l’opposition démocratique.
L’objectif étant la conservation coûte que coûte du pouvoir, l’entame des pourparlers et la conclusion de accords ne sont envisagées que dans la mesure où elles se traduiraient en fait par des ralliements.
Le dialogue avec la classe politique de l’intérieur ne devrait donc avoir de sens que s’il devait permettre de « dompter » les principaux leaders de l’opposition. Il n’était pas envisageable de conclure un accord qui consacrerait une différenciation nette entre la mouvance présidentielle par les abus et l’usure du pouvoir d’une part, et l’opposition plus cohérente, mieux organisée et plus porteuse des aspirations populaires au changement d’autre part.
De même, le dialogue avec les politico-militaires ne devrait avoir de sens que s’il devait permettre la réconciliation entre les frères brouillés, reconnaissant leurs torts respectifs.
La perspicacité de la CPDC a contrarié les objectifs attendus du dialogue intérieur. La différenciation mouvance/opposition est restée vivace. Aussi, devra t’on s’attendre à des obstacles dans l’exécution de l’Accord du 13 août. Le pouvoir s’acharnera à empêcher le bon fonctionnement du Comité de suivi et d’appui ; il s’attellera à disloquer la CPDC et le Comité de suivi et d’appui par l’usage de la recette bien connue du « bâton et de la carotte » : d’un côté les intimidations et les menaces de clochardisation, de l’autre côté la corruption directe ou indirecte.
Des efforts seront faits dans le sens de la résolution des réticences de certaines franges de l’opposition armée : tentatives de « laver le linge sale en famille », menaces de clochardisation et corruption.
L’objectif du pouvoir étant d’éviter par tous les moyens des élections libres, transparentes et démocratiques, les courants résolument engagés pour une véritable alternance démocratique devront :
- pousser avec lucidité et détermination à l’exécution optimale de l’accord du 13 août 2007 ;
- rechercher une réelle synergie entre l’Accord du 13 août et les autres accords ;
- constituer un front uni pour les échéances électorales à venir, avec définition d’un programme commun non seulement en vue de l’obtention d’une majorité à la future assemblée nationale, mais aussi en vue de la présidentielle.
Pousser à l’exécution de l’Accord du 13 août. Cela passe par :
- tirer le meilleur parti de l’implication de la communauté internationale dans la Comité de suivi et d’appui ;
- une mobilisation et une vigilance de tous les instants de la CPDC ;
- une implication des forces sociales dans le soutien à l’Accord.
Rechercher une synergie entre l’Accord du 13 août et les autres. Il y aurait lieu de rechercher à ce que :
- les clauses des autres accords relatives à la réforme des forces de défense et de sécurité s’agencent avec la mise en œuvre des résolutions des états généraux de l’armée ;
- les dispositions relatives à la participation de tous à la gestion des affaires publiques soient appliquées à une hauteur permettant aux uns et aux autres de peser réellement dans la marche de l’Etat ;
- des concertations informelles ou occasionnelles se tiennent entre les différents courants de l’opposition engagés dans ces accords aux fins de pressions communes ; lesquelles concertations pourraient devenir plus formelles au fur et à mesure de l’approche des échéances électorales.
Constituer un front uni d’un nombre significatif de partis de la CPDC. Cela suppose :
- une identification de quelques partis de la CPDC à même de convenir d’une convergence politique et stratégique, ainsi que d’une efficiente cohésion sur le plan organisationnel ;
- l’entreprise d’un travail systématique de mobilisation et d’organisation sur le terrain ;
- l’élaboration d’une carte de complémentarité électorale et d’une stratégie en vue du contrôle du scrutin ;
- la définition de thèmes de campagne pour les élections.
Rupture du processus des accords
Les différents accords étant acceptés par le pouvoir avec l’espoir de les vider de leurs substances, le scénario d’une rupture dans le processus de mise en œuvre des accords n’est pas à écarter. Cette rupture pourrait provenir soit du refus de l’application de l’Accord politique du 13 août 2007, soit du non aboutissement du processus de Tripoli. L’initiative de Libreville étant tournée en dérision.
1- le refus de s’engager dans la voie de la mise en œuvre de l’Accord politique du 13 août se traduirait notamment par :
- la non prise du décret accordant un statut clair rendant opérationnel le Comité de Suivi et d’Appui ;
- la non mise à la disposition du Comité de suivi et d’appui des moyens matériels, humains et financiers nécessaires à l’accomplissement de sa mission ;
- la persistance des entraves dues au gouvernement.
2- La mise à mal de l’Accord du 13 août pourrait entraîner :
- Des réactions, voire des dénonciations de la part de la CPDC ;
- Des situations inconfortables pour certains partis de la mouvance présidentielle ;
- Autant de nuages qui ne manqueront pas de mettre dans l’embarras la communauté internationale ; celle-ci ayant bâti la stratégie de son intervention au Tchad autour de cet Accord parrainé par elle.
3- L’absence d’entente sur les « zones d’ombre » de l’Accord intervenu entre le gouvernement et les mouvements rebelles, ainsi que sur les modalités d’application des « grandes lignes » de cet Accord :
- La question de cantonnement des éléments rebelles est délicate pour le pouvoir ; celui-ci tient à éviter absolument des regroupements hostiles fortement armés, alors que l’intégration des forces du FUC s’avère être une équation insoluble, aux conséquences difficilement maîtrisables.
- Les chefs rebelles réclament d’être accompagnés par des éléments de protection issus de leurs propres troupes. Ces éléments de protection pourraient se chiffrer à des centaines d’hommes armés, voire des milliers, hors du contrôle de l’armée dite régulière. Ce qui équivaudrait à une infiltration massive d’éléments armés hostiles.
- L’implication significative des éléments rebelles dans les rouages de l’Etat, ajoutée à celle des groupes ayant conclu des accords, paraît inacceptable pour les caciques du pouvoir. Des tiraillements sont inévitables.
4- La non résolution des « zones d’ombre » dans les négociations de Tripoli aurait pour conséquence la reprise des hostilités à l’Est. L’ANT serait-elle dans des dispositions psychologiques et morales lui permettant de faire face, d’autant que le FUC montre de plus en plus de signe de retour en rébellion ?
5- Avec la persistance de la situation au Darfour, l’embarras sera encore plus grand au niveau de la communauté internationale, contrainte de faire pression pour une sortie politique de crise durable.
6- La CPDC devrait dans ce contexte faire preuve de fermeté et réclamer :
- L’application de l’Accord du 13 août, dans son esprit et dans sa lettre ;
- La jonction des différentes initiatives de réconciliation.
7- Le Comité de suivi et d’appui devrait maintenir la pression pour :
- Maintenir le consensus avec certains partis de la mouvance présidentielle ;
- Impliquer davantage la communauté internationale pour une solution politique inclusive et durable.
8- Le scénario de rupture des processus nés des accords pourrait s’avérer catastrophique pour le pouvoir, si les autres acteurs nationaux font preuve de cohésion et surtout de fermeté. En tout état de cause, ses marges de manœuvre iront s’amenuisant.
9- Une tout autre attitude de complaisance serait fatale non seulement aux acteurs engagés, mais aussi et surtout à l’espoir de développement du processus démocratique. Alors la violence aveugle sera la seule issue.
Dr. Ibni Oumar Mahamat Saleh, SG du PLD
N’Djaména, décembre 2007